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À la ferme du Major, “on crée de l’énergie”

25-10-2023

Actualité

Bien dans ses bottes

La ferme d’insertion du Major, à Raismes, emploie 40 hommes et femmes éloignés de l’emploi. Ils y acquièrent des savoir-faire techniques et surtout un savoir-être, afin de “retrouver une place dans la société”.

Matinée poireaux pour les employés de la ferme d’insertion du Major, qui en conditionnent ce jour-là une demi-tonne. © M. L.

Dans le hall de la ferme d’insertion du Major, à Raismes (59), c’est l’odeur, légèrement persistante du poireau qui accueille. Une commande de 500 kg est en préparation, en cette fraîche matinée de la fin octobre. Parmi les 17 hectares attenants au corps de ferme – dont 6 en bio et 11 en cours de conversion – une équipe d’employés arrache soigneusement les légumes.

Une autre est au conditionnement : on trie, on lave, on pèse, on met en cageot. Une dernière équipe, enfin, est d’ores et déjà en livraison. “Une demi-tonne de poireaux, ça va prendre du temps. Aujourd’hui on se consacre à ça et ensuite, les activités maraîchères pourront reprendre”, précise Bruno Godon, chef de culture.

Un support à l’insertion

L’encadrant, à la veste d’un orange fluorescent, forme les salariés ” de la manière la plus complète et professionnelle possible “. “Je leur apprends un maximum de techniques, afin qu’ils puissent intégrer des exploitations s’ils le souhaitent”, explique ce titulaire d’un BTS agricole et d’un diplôme d’État d’animateur. Il sait bien, toutefois, que parmi les 40 employés qui composent son équipe – 20 femmes et 20 hommes, âgés de 18 à 62 ans, en situation de précarité et éloignés de l’emploi – tous ne sont pas destinés au maraîchage. “Cette activité n’est finalement qu’un support à l’insertion”, explique-t-il.

L’idée est d’acquérir un “savoir-être”, indispensable en entreprise : être ponctuel, assidu, présentable. Mais aussi de regagner de la confiance en soi et de se resocialiser. “Ce sont souvent des personnes très isolées, avec qui il faut reprendre les bases, précise Bruno Godon. Par le travail, on tente de faire en sorte qu’ils retrouvent une place dans la société”. Il s’agit, parfois, d’individus dont c’est le premier emploi. Des mères de famille célibataires bien souvent, qui ont consacré leur vie à élever leurs enfants et vivent une séparation. Ou d’autres profils, qui ont davantage “les codes” : des chefs d’entreprise en faillite, des seniors proches de la retraite, que les sociétés n’embauchent plus.

Des histoires qui finissent bien

Tous bénéficient d’un parcours sur deux ans maximum (sauf exception), durant lesquels s’enchaînent les CDD d’insertion renouvelables. Ils travaillent 24, 28 ou 32 heures par semaine, selon “les besoins et la motivation”, rémunérées au Smic horaire. En parallèle, ils planchent sur un projet professionnel qui leur est propre, aidés par un conseiller en insertion professionnelle, qui offre des réponses individualisées aux problématiques de chacun. Car il arrive qu’au détour d’une pesée, les encadrants réalisent qu’un tel ne sait pas lire, qu’un autre peine à compter. Des référents “addiction” sont également désignés.

À la mi-octobre, 40 % des employés de l’activité maraîchage embauchés en 2023 avaient bénéficié d’une “sortie dynamique”. C’est-à-dire qu’ils ont quitté la ferme avec une proposition d’emploi ou de formation. “Un bon chiffre” au regard de la situation grandement précaire de certains, estime Bruno Godon. Isabelle Sanchez est présente pour attester que parfois, les histoires se finissent bien.

Maman célibataire de trois enfants, elle ne connaissait que le bénévolat et le RSA. En 2018, elle entend parler de la ferme du Major et l’intègre. D’abord au sein du pôle transformation alimentaire (qui n’existe plus), puis à la gestion des stocks et au secrétariat. Après 18 mois d’insertion, elle finit par signer un “vrai” contrat. Cinq ans plus tard, elle est encadrante au conditionnement et permet à d’autres de s’épanouir. Des femmes bien souvent, qu’elle appelle “(s) es dames”.

Il y a un quelque chose de rassasiant, de gratifiant plutôt, dans la culture de la terre. “On crée de la nourriture. On crée de l’énergie”, lance Bruno Godon. Du visuel, du concret, du plaisir. D’autant plus présents avec les cultures rapides, “comme le radis, qui pousse en trois semaines et que les employés ont le temps de semer et de voir pousser“, ajoute l’encadrant. La ferme produit presque exclusivement des légumes : une quarantaine de variétés, dont des anciennes, topinambour, courge shiatsu et chou kale en tête. Quelques exotismes, aussi, comme la patate douce, cultivée sous serre. “Beaucoup de salariés ont découvert ici des légumes qu’ils n’avaient jamais vus ailleurs”, se félicite Bruno Godon.

Le triptyque gagnant

Initialement, les récoltes étaient surtout distribuées aux particuliers sous forme de paniers à retirer chaque semaine dans différents points de vente ou directement à la ferme. “Leur composition évolue selon les saisons et on en évalue la valeur en fonction”, rapporte Yann Coquerelle, chargé de développement pour l’association Ageval, qui gère l’activité maraîchère. Le prix d’entrée est généralement fixé autour d’une quinzaine d’euros, pour 7 kg de légumes.

Depuis quelques mois, de nouveaux partenariats sont développés. “Avec des restaurateurs du Grand Valenciennois, des institutions, qui nous ouvrent les portes des restaurants scolaires et des cantines municipales”, détaille Yann Coquerelle. Une bonne partie de la production va aussi à de grands distributeurs bio. Leur cahier des charges, très précis sur les calibres, quantités et autres défauts, exige une rigueur des plus professionnelles. L’objectif d’une diversification des ventes est d’écouler le stock, que Yann Coquerelle estime entre 40 et 50 tonnes annuelles. “C’est important, pour l’équilibre financier”, rappelle-t-il, tout en évoquant le “triptyque gagnant” : des produits “ultra-frais de qualité, locaux, à un prix abordable”. Jamais d’interminables séjours au frigo : les poireaux récoltés ce matin seront livrés le surlendemain au plus tard.

Et pour les produits un peu étranges, dont la taille et l’allure n’entrent pas dans les normes – mais dont la qualité est garantie – ils sont distribués gratuitement à l’association Prim’Toit, qui promeut l’insertion par le logement, ou directement aux salariés de la ferme, qui peuvent ainsi “déguster le fruit de leur travail”, se réjouit Yann Coquerelle.

Marion Lecas


Le groupe Adeli

Créée en 1991, la ferme du Major a longtemps appartenu à l’association SOS Villages d’enfants. Le groupe d’associations Adeli la reprend à l’été 2020. Adeli est composé de cinq associations : Ageval, Prim’Toit, Adaci, Cap-Il et Entr’aide. Sur la ferme du Major, Prim’Toit prévoit de réhabiliter le bâti en logements d’insertion, quand Ageval a repris l’activité maraîchage et y a installé un pôle BTP. Par ailleurs, sur d’autres sites, Ageval encadre de nombreuses activités d’insertion dans le numérique, la couture, l’entretien des espaces verts, la propreté urbaine qui représentent, cumulées, 62 % de “sorties dynamiques”.

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