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À Desvres (62), la faïence a longtemps été un symbole de fierté et de prospérité locale. Dès le XVIIIe siècle, les artisans céramistes s’installent en nombre dans la région pour y exploiter les richesses locales : une argile de qualité, du bois pour chauffer les fours à céramique et la proximité de la mer pour faciliter les échanges commerciaux.
À son apogée, la ville de Desvres compte plusieurs manufactures de faïence, employant des milliers de personnes et exportant ses créations artistiques à travers le monde. Cette tradition s’est malheureusement éteinte progressivement au début des années 2000, avec la fermeture des dernières grandes manufactures. En cause : l’industrialisation du secteur de la céramique et l’évolution des goûts et des modes des consommateurs.
C’était sans compter sur Marion Leporcq, qui a choisi de relancer la faïence de Desvres en préservant les savoir-faire traditionnels, tout en apportant une touche de fraîcheur et de modernité aux motifs de la faïence « made in Desvres ». Avec son entreprise Des Rêves et le soutien de nombreux acteurs locaux, elle ambitionne ni plus ni moins « d’offrir une seconde vie à cet art local séculaire ».
Rien ne la prédestinait pourtant à devenir céramiste. Née à Lille, elle suit un parcours académique brillant : un bac littéraire, puis des études à Sciences Po Lyon, avant de travailler 15 ans chez Vinci, où elle gère les partenariats publics privés. Mais le 2 mai 2022 (jour de son anniversaire), sa vie prend un tournant inattendu lors d’un week-end entre amies à Desvres.
En visitant une friche industrielle, la friche Fourmaintraux, elle découvre la richesse historique de la faïence locale. « Je ne savais même pas qu’on fabriquait de la faïence ici ! », avoue-t-elle. Ce coup de cœur artistique la pousse à quitter son emploi à peine… dix jours plus tard.
Elle pense dans un premier temps s’associer à un ancien faïencier mais décide finalement de partir seule à l’aventure. Problème : la jeune femme n’y connaît rien à la céramique ! Déterminée à apprendre, elle commence à « traîner dans les cafés de Desvres », espérant rencontrer des anciens du métier.
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Grâce à cette démarche audacieuse, elle obtient les numéros de téléphone de plusieurs faïenciers expérimentés, notamment celui d’Anicet Delattre et de Denis Debette, qui acceptent de soutenir son projet et de lui apprendre l’art de la céramique. Elle suit en parallèle une formation à Paris pour apprendre à créer des moules en plâtre. Et en moins de neuf mois, son projet est sur les rails. « Bien sûr, on ne devient pas céramiste en un an. Il faut de l’humilité, reconnaît-elle. Mais j’ai très vite lancé une production. »
Marion Leporcq s’installe alors au sein du Village des métiers d’arts, à Longfossé, une pépinière d’entreprises ouverte en 2010. C’est dans cet espace de 2 200 m² entièrement dédié aux métiers d’art qu’elle réalise chaque pièce à la main : le coulage de l’argile dans des moules en plâtre, la peinture des motifs au pochoir, l’émaillage et enfin la cuisson dans des fours à céramique. « C’est un métier chronophage, entre les temps de séchage, les incertitudes liées à la cuisson et les essais erreurs en permanence », explique-t-elle. Rapidement, Marion comprend qu’elle ne peut pas avancer seule. En avril 2023, elle recrute Céline, une habitante de la région des Desvres, pour l’aider à produire une quarantaine de références. « J’ai reçu énormément de CV de candidatures pour venir m’épauler dans mon travail. Des CV des quatre coins de la France. Mais mon objectif est vraiment de créer des emplois locaux », souligne-t-elle.
Pour ses créations, Marion a puisé dans les archives du musée de la céramique de Desvres. Avec le soutien de Sarah Vallin, directrice du musée, et l’aide d’un directeur artistique, elle s’inspire et revisite des motifs typiques de la faïence de Desvres, comme le motif Rouen, qu’elle modernise pour l’adapter aux goûts contemporains. Ses mugs, assiettes, plats et carrelages, allient avec élégance l’esthétique classique à une fonctionnalité moderne : elles sont compatibles avec le lave-vaisselle, le micro-ondes et le four.
Si ses pièces séduisent déjà des particuliers et des grandes tables de la région des Hauts-de-France, Marion a des projets bien plus ambitieux. En mai 2024, elle est partie à New York pour participer à l’événement « Art de vivre à la française ». Là-bas, elle espère redonner à la faïence de Desvres la renommée qu’elle avait aux États-Unis dans les années 1950. « C’est une belle histoire qui pourrait se répéter », confie-t-elle avec enthousiasme.
Marion a également été lauréate du concours 101 Femmes entrepreneures, organisé par le ministère de l’Égalité femmes – hommes qui met à l’honneur l’engagement pour l’artisanat local.
À terme, Marion Leporcq souhaite aller encore plus loin : créer une véritable manufacture de faïence à Desvres, capable d’employer une dizaine de personnes. Une structure qui serait aussi un lieu de formation et de transmission. Parallèlement, elle travaille à obtenir une Indication géographique (IG) pour la faïence de Desvres, à l’image de la dentelle de Calais.
Avec son entreprise, joliment nommée « Des Rêves » en clin d’œil à Desvres, Marion Leporcq est vouée à devenir une figure essentielle de la renaissance de la faïence dans la région. « Mon ambition, c’est de remettre Desvres sur la carte des grandes faïenceries françaises. »
Et pour cela, elle ne se contente pas de rêver : elle agit.
Julien Caron