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Il faut écouter Pauline Lebecque parler des pucerons pour comprendre comment on peut ne pas se lasser de compter, depuis près de 20 ans, ces petites bêtes prélevées dans les champs des agriculteurs ou sur les parcelles d’essais qu’elle exploite avec ses collègues de la chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais.
Au pôle légumes de Lorgies, des panneaux invitent à un parcours à la rencontre de la biodiversité du site : le résultat du travail d’inventaire que la tout récemment quadragénaire a pu réaliser sur les 2,5 hectares de terrain de jeu qui entourent les bureaux. Le sien abrite une collection impressionnante de posters illustrés de bestioles diverses ainsi que des boîtes où papillons de nuit géants, scarabées plus gros que la main (ceux-là viennent d’Afrique) et autres plus petits insectes locaux sont épinglés.
Mais ce qui intéresse la Nordiste, ce sont bien les insectes vivants, pour ce qu’ils peuvent apporter comme contribution à l’écosystème en général, et à la pratique agricole en particulier.
Rien ne prédisposait Pauline Lebecque à compter tant d’insectes (et on précise que ce n’est qu’une part de son activité quotidienne) : née à Armentières, la gamine d’alors pense vaguement à devenir pharmacienne. « En réalité je ne savais pas trop ce que je voulais et j’ai fait un Deug puis une licence de biologie des organismes parce que j’aimais les SVT (sciences de la vie et de la terre) au lycée », se souvient l’entomologiste qui embraye sur un master d’expertise et management de l’environnement à l’université catholique de Lille.
C’est l’intervention de Sandrine Oste, actuelle directrice du pôle Clinique du végétal de la Fredon Hauts-de-France (l’organisme d’expertise végétale pour la santé de l’environnement), sur l’observation des ravageurs et des auxiliaires en production végétale qui marque le déclic : « J’ai demandé à faire un stage et j’ai passé trois mois à compter des pucerons sur des cultures relais de chrysanthèmes ainsi que sur des tilleuls dans un cimetière à Loos. » Des opérations méticuleuses qui requièrent naturellement une bonne dose de patience dont est équipée la jeune femme d’alors, et dont elle ne s’est pas départie depuis. Idem pour sa vue, excellente à en croire la facilité avec laquelle elle distingue à l’œil nu des insectes de quelques millimètres.
C’est donc ce premier stage qui immerge Pauline Lebecque dans l’incroyable richesse des insectes et qui marque sa première rencontre avec le puceron qui, si certaines de ses espèces peuvent transmettre des maladies aux végétaux, ne sont pas toutes nuisibles. « Et puis je trouve que c’est un insecte qui est beau, par comparaison à une araignée poilue avec plein d’yeux qui nous regardent bizarrement », formule celle qui, pour autant, se penche de plus en plus sur ces dernières, « parce qu’elles font d’excellents auxiliaires et parce qu’elles sont un marqueur de biodiversité très facile à comprendre ».
Son mémoire de fin d’études, Pauline Lebecque choisit de le faire sur une charte d’aménagement foncier rural déployée par le Département du Nord : « Moins de terrain et une dimension davantage juridique mais qui me plaît aussi – j’ai eu 17 je crois – et qui me permet de bien comprendre les rouages réglementaires : on ne sait vraiment pas assez à quelles contraintes les agriculteurs sont soumis », regrette-t-elle.
À 21 ans, la diplômée part compter les tâches de mildiou sur les poireaux, en plein champ, en décembre : elle manquera de s’y embourber plus d’une fois. C’est finalement à la Fredon Picardie qu’elle est embauchée pour un projet en partenariat avec Agro-Transfert ressources et territoires – cabinet de recherche et développement du milieu agricole : « Nous travaillions sur la virose de la pomme de terre par les pucerons. Je savais les identifier mais pas dans le détail de toutes les espèces – plus de 200 rien que pour les Hauts-de-France sur 500 recensées en France – et je suis allée me former à plusieurs reprises à l’Inra (Institut national de la recherche pour l’agriculture et l’alimentation) de Rennes puis au Laboratoire national de santé des végétaux de Montpelier, où se trouvaient les spécialistes du puceron. » Et la jeune femme devient à son tour incollable.
Après 13 années à la Fredon basée à Amiens, où elle se penchera aussi sur les Bulletins de santé du végétal (BSV), Pauline Lebecque cherche à réduire la route qui la sépare notamment de son mari, travaillant au Port de Dunkerque. Elle postule à la chambre d’agriculture « sur un poste pas du tout fait pour moi, sur l’érosion. Lors de mes entretiens ils m’ont demandé ce qui me plairait vraiment et j’ai évoqué les insectes et la biodiversité. À l’époque le sujet était géré par une conseillère, aujourd’hui nous sommes cinq », situe-t-elle.
Désormais conseillère agronome spécialisée en biodiversité, Pauline Lebecque gère surtout l’expérimentation : la moitié de son travail est consacrée aux essais et constructions de protocole et l’autre au transfert de connaissances auprès des agriculteurs et des conseillers.
« Mon rôle est d’aider les agriculteurs à trouver des réponses face aux évolutions réglementaires (PAC, suppression des matières actives) et de favoriser la préservation de la biodiversité associée aux réalités de production », synthétise l’homoptériste : un mot savant qui permet de ne pas redire qu’elle est spécialiste des pucerons mais, vous l’aurez compris, pas seulement.
Justine Demade Pellorce