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Dans le fournil des Pains de la Tamelière, Bruno Lepreux remet le pain à sa juste place : celle d’un aliment essentiel, sain et nourrissant. Chez lui, pas de conservateur ni d’additif. Juste des farines biologiques, du levain naturel, des fermentations lentes et une cuisson au feu de bois. Car pour Bruno Lepreux, le pain est bien plus qu’une simple denrée alimentaire. C’est un produit noble et vivant, capable de « nourrir le corps et l’esprit », à condition bien sûr d’être « préparé avec des ingrédients de qualité, du temps et une bonne dose de savoir-faire ».
Respecter le pain et les personnes qui le consomment : voilà la philosophie du boulanger de Clarques (62).
« J’ai toujours aimé transformer la matière », se souvient Bruno Lepreux. « Bois, ferraille, farine… mes mains ont toujours cherché à façonner, créer, donner forme à quelque chose. » Né dans une famille modeste du bassin minier, Bruno Lepreux grandit entouré de valeurs simples et bercé par la musique. Dès l’âge de 4 ans, il apprend à jouer du clairon, puis de la trompette et du tuba. À l’âge de 21 ans, on lui propose même d’intégrer la Garde Républicaine comme musicien. Mais Bruno décline. Ses attaches familiales, ses valeurs et son goût pour le travail manuel le retiennent ailleurs.
Après un baccalauréat technique en construction mécanique obtenu en 1985, Bruno se lance dans la maintenance industrielle. Pendant près de 25 ans, il enchaîne les postes dans l’industrie : chez Les Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais d’abord, puis chez British Petroleum, puis chez DSM Food. Mais en 2011, un accident du travail brutal vient interrompre son parcours. Immobilisé pendant deux ans, il traverse une période de doute et d’introspection. « Je suis paradoxal, car j’ai toujours travaillé dans des industries polluantes, mais finalement je rêvais de m’en extraire et d’avoir une vie plus saine », confie-t-il. Cette pause forcée lui donne le temps de la réflexion. L’idée prend forme doucement dans sa tête puis émerge : il veut devenir artisan boulanger.
En 2013, Bruno rejoint le CFA d’Arras et obtient son CAP boulanger en une année. Mais la formation ne répond pas à ses attentes. « En CAP, on ne t’apprend pas à être artisan, on t’apprend à être un bon exécutant », regrette-t-il. Il découvre aussi une réalité décevante : « Beaucoup de tâches sont mécanisées, beaucoup d’ingrédients viennent de l’industrie et on ajoute trop de choses dans le pain. » À ses yeux, un bon pain ne devrait contenir que quatre ingrédients essentiels : « De l’eau, de la farine, du levain et un peu de sel. Sans aucun additif. »
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C’est finalement lors d’un stage chez Jean-Michel Messiaen, artisan boulanger à Clarques, que tout devient clair. « C’est à son contact que j’ai découvert le métier que je voulais vraiment faire : artisan boulanger avec panification sur levain et cuisson au feu de bois ». À ce moment précis, tout s’aligne : Bruno sait enfin quel pain il veut façonner et pourquoi.
À la suite de ce stage déterminant, Bruno se fait accompagner par la BGE, une structure d’accompagnement à la création d’entreprise. En attendant de trouver le lieu idéal, il multiplie les petits boulots dans des boulangeries industrielles, notamment chez Leclerc et Marie Blachère.
Puis il apprend que Jean-Michel Messiaen, chez qui il s’était formé, souhaite passer le flambeau. Après une période de réflexion et de négociation, Bruno rachète en 2019 le corps de ferme bicentenaire de 8 000 m², comprenant un fournil de 30 m² aménagé. Il s’installe en avril 2019, reprend la clientèle existante et aménage le lieu à son image. Une petite boutique voit le jour, où il propose également une sélection de produits locaux.
Bruno Lepreux développe peu à peu sa gamme : pain de campagne, pain paysan, pain au petit épeautre, pain de mie, brioche… mais surtout pas de pain blanc ! « Mon objectif, c’est de faire un pain bon pour la santé. Je veux amener mes clients vers des pains nourrissants, digestes. Et pour ça, rien de mieux que la panification sur levain naturel avec des farines les plus complètes possibles. »
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Aujourd’hui sa clientèle est fidèle, parfois même prête à parcourir des dizaines de kilomètres pour un de ses pains.« Beaucoup de mes clients ont des soucis de santé et viennent de plusieurs centaines de kilomètres car ils ne trouvent pas le pain qui leur correspond près de chez eux. »
Bruno Lepreux n’est pas seul dans l’aventure. Sa femme, Claudine Lepreux, joue un rôle clé dans la gestion administrative, la vente et la logistique de l’entreprise. « C’est un travail d’équipe, on travaille chaque jour à deux, main dans la main », précise le boulanger de Clarques. Le couple organise régulièrement des événements au sein de la ferme. En décembre dernier, le marché de Noël a d’ailleurs rencontré un franc succès, rassemblant une quinzaine de producteurs locaux. Toutes les deux semaines, la ferme accueille également un marché à la ferme, renforçant les liens avec les clients du territoire. Mais la majorité du pain vendu par Les Pains de la Tamelière repose sur un système de commande, avec deux créneaux hebdomadaires : le mercredi et le vendredi de 16 h 30 à 19 h 30. Et Bruno Lepreux s’assure toujours de prévoir un surplus pour les nouveaux clients : « Il n’y a rien de pire que de dire à un nouveau client : “Désolé, il n’y a plus de pain !” »
Depuis 2021, Bruno Lepreux partage également son savoir-faire avec de futurs boulangers grâce à un partenariat avec l’organisme de formation Savoir-faire et découverte. Il accueille un stagiaire à la fois, pour transmettre avec précision chaque étape du métier : du pétrissage de la pâte à la cuisson dans un four à gueulard, capable d’accueillir 90 pains à la fois.
Les pains sont tous fabriqués à partir de farines biologiques provenant de la coopérative Biocer (lire notre édition du 18 octobre 2024). Et Bruno Lepreux insiste sur l’importance de cette matière première : « À chaque fois que je reçois de la farine, je pense au travail nécessaire des agriculteurs et des meuniers pour qu’elle arrive jusqu’à moi. La farine, je la vois presque comme de l’or ! »
Julien Caron