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« Ici, c’est le paradis des combattants. » Voilà un bon résumé de ce qu’est le cimetière de Cabaret rouge. Situé à Souchez dans le département du Pas-de-Calais, non loin du mémorial de Notre-Dame de Lorette, ce cimetière militaire du Commonwealth fait partie du réseau des cimetières CWGC (Commonwealth war grave commission) qui accueillent les combattants des nations du Commonwealth, entre autres. Mais pour que ce paradis terrestre le reste, il nécessite un entretien quotidien, minutieux, passionné et surtout, respectueux.
Rencontre avec Pascal-Louis Caillaut, responsable de la communication de la CWGC pour la zone France ; Pascal Bride, jardinier en charge de Cabaret rouge depuis 15 ans, et Dimitri Dubois, jardinier itinérant pour la CWGC.
Mais comment devient-on jardinier de cimetière militaire ? « Le hasard, indique Pascal Bride. Je venais de finir mon service militaire et j’avais un CAP mécanique en poche. Je ne trouvais pas de travail. Une personne de mon village connaissait quelqu’un à la CWGC et m’a recommandé. C’était il y a 32 ans et ça m’a plu. » Le hasard ? Si l’on veut… Le jardinier de 53 ans est un passionné de l’histoire de la Grande Guerre et est membre de l’association Le Souvenir français qui « entretient les tombes des morts pour la France qui sont abandonnées ».
L’entretien des cimetières du Commonwealth, c’est l’entretien de la terre mais aussi de la mémoire et des cœurs.
Pour Dimitri Dubois, 26 ans, travailler dans un cimetière n’était pas non plus une évidence. En revanche, « je voulais travailler avec la nature puisque j’ai fait un bac pro espaces verts et bûcheronnage », explique-t-il. Originaire de la région de Verdun et passionné par l’histoire de, cette fois, la Seconde Guerre Mondiale, il travaille quelques mois au cimetière américain de Verdun. Un premier pas dans le secteur des cimetières militaires qui le pousse à se renseigner. « Je suis tombé sur les offres d’emploi de la CWGC et j’ai atterri ici. » Il est désormais en CDI depuis le mois de janvier.
Quant à Pascal-Louis Caillaut, ce poste à la CWGC n’a aucun lien avec le hasard. « Je suis docteur en histoire au départ. Mais j’ai travaillé dans le secteur industriel pendant un certain temps. Je gagnais très bien ma vie mais j’ai eu besoin de donner un sens à mon travail et je suis passionné par l’histoire des deux guerres. Ça m’a semblé être une évidence. » On le perçoit donc, travailler dans des cimetières militaires induit souvent de s’intéresser à l’histoire et ce qu’elle implique : des morts au combat, dont le repos est un objectif pour les trois hommes.
Pour assurer ce repos éternel, la CWGC, contrairement à l’Allemagne, la France ou encore l’Italie et la Belgique, a décidé de ne pas rapatrier ses morts mais de les enterrer là où ils sont tombés. « C’est une philosophie qui a choqué à l’époque car pour les familles, cela voulait dire ne pas récupérer les corps et donc ne pas pouvoir les enterrer près d’elles. Mais pour la CWGC, enterrer ces hommes là où ils sont tombés, c’était aussi les enterrer dans le pays pour lequel ils s’étaient battus et donc faire durer leur mémoire », explique Pascal-Louis Caillaut.
Autre point, et pas des moindres, visuellement, toutes les tombes sont identiques, rangées dans des allées, toutes semblables. Pas de croix ou d’étoiles mais des pierres tombales blanches.
« L’idée était que, comme sur le champ de bataille, il n’y ait pas de distinctions d’ethnies, de religions ou de rangs, entre ces soldats. Les seules stèles légèrement différentes sont pour les soldats accueillis dans le cimetière mais qui n’étaient pas d’une nation du Commonwealth. »
Aussi, pour en savoir un peu plus sur les presque 4 000 tombes qui composent le cimetière de Cabaret rouge, il faut s’approcher et lire. « Toutes les stèles sont composées de la même manière. Le grade, le prénom et nom, le régiment, la date du décès, l’âge, le signe de religion – si le soldat en avait une – et une épitaphe si la famille l’a souhaitée », détaille Pascal-Louis Caillaut. Et pour ceux que l’on n’a pas pu identifier, la stèle porte la phrase « Known unto God », littéralement, « connu de Dieu ».
C’est aussi pour maintenir cette égalité que, par exemple, les photos déposées devant les tombes sont retirées par les jardiniers. « En 15 ans, je n’en ai pas jeté une. Elles sont toutes dans un classeur. Mais je ne peux pas les laisser sur les tombes car ça crée une inégalité vis-à-vis des autres soldats. » Cela étant dit, à l’entrée de chaque cimetière CWGC se trouve un casier en bronze dans lequel un registre est présent, permettant aux familles de trouver dans quelle allée se trouve leur défunt ancêtre.
Autre élément essentiel pour garantir le repos éternel de ces morts pour la France : l’entretien du cimetière, quotidien et à l’année.
« L’hiver, c’est élagage, traitement des stèles et préparation des plantations des printemps. Au printemps, on nettoie les platebandes, on reprend les tontes, on taille les arbustes et rosiers et bien sûr on plante. En été, on surveille les plantations et l’herbe et à l’automne c’est une combinaison des trois saisons précédentes », liste Pascal Bride.
Dans le détail, c’est plus compliqué que cette liste à la Prévert. En effet, entre avril et octobre, la tonte de la pelouse est faite une fois par semaine minimum car elle ne doit jamais dépasser les 3 cm de hauteur. Par ailleurs, pour tondre, les jardiniers utilisent une machine spécifique qui leur permet de créer des motifs précis dans la pelouse. « On devient vite très perfectionniste et si on voit un pissenlit, on va sortir la tondeuse », plaisante, à moitié, Dimitri Dubois.
Pour ce qui est des fleurs, des arbres et arbustes, rien n’est laissé au hasard. « On doit choisir nos plantes dans le catalogue de la CWGC puis les planter selon certains critères. Pour chaque allée, on va choisir une suite de plantes, avec une certaine couleur, qui se répète », explique Pascal Bride. Évidemment, on trouve beaucoup de rosiers mais aussi des plantes « antisplash », c’est-à-dire des plantes mises devant les stèles pour éviter que celles-ci ne soient éclaboussées par de la terre et aussi des plantes intermédiaires.
« Selon la règle, il faut qu’il y ait des fleurs toute l’année car la philosophie de la CWGC est que les cimetières ne doivent pas être des lieux tristes, mais des lieux de paix. » C’est d’ailleurs pour cela que des bancs et des chapelles sont installés dans le cimetière.
Pour ce qui est des arbres, leur choix peut être guidé par la nationalité la plus représentée dans un cimetière : des érables pour les Canadiens, des ginko biloba pour le cimetière chinois…
Grâce à cet entretien quotidien, les jardiniers de la CWG connaissent sur le bout des doigts le cimetière dont ils sont responsables. Pascal Bride pourrait être un excellent guide. « Je fais le tour des tombes régulièrement et pourtant, je découvre encore des choses. Par exemple, je suis tombé pour la première fois sur la tombe d’un soldat de 16 ans ! C’est le plus jeune du cimetière. » Quand on lui demande où sont les tombes néo-zélandaises, sud-africaines ou canadiennes, Pascal Bride parcourt les allées, sans hésitation et trouve.
Au fil des années, il a ainsi pu voir les us et coutumes de chacun. « On sait que des Néo-Zélandais sont venus récemment car des plumes ont été plantés devant les tombes des soldats de Nouvelle-Zélande. Les juifs posent un petit caillou sur le dessus de la stèle… »
Il connaît aussi les histoires derrière les tombes. « Quand des Canadiens viennent ici, c’est généralement pour voir deux choses : les tombes de deux frères morts au combat en même temps et enterrés côte à côte ; et la tombe du “soldat inconnu” qui a été exhumé pour être amené au Canada. » À noter d’ailleurs que cette pratique est rarissime car « on ne réveille pas un soldat qui dort », commente Pascal-Louis Caillaut.
Dans un coin du cimetière, la seule et unique tombe d’un soldat mort pendant la Seconde Guerre Mondiale et non la Première. « Un vieux du village m’avait dit que c’était un soldat qui s’était traîné jusque-là pour pouvoir mourir entouré d’autres soldats… » Dans un autre endroit, une tombe « ossuaire », rassemblant les ossements des divers combattants, non identifiés. Et puis, dominant le cimetière, une croix du sacrifice, qui est en fait un glaive, dont la taille dépend de la taille du cimetière.
Finalement, l’entretien des cimetières du Commonwealth, c’est l’entretien de la terre mais aussi de la mémoire et des cœurs. Pour Pascal Bride et Dimitri Dubois, ces allées parfaites, ces formes géométriques dans l’herbe, ces fleurs, ces tombes, tout ce qui fait le cimetière de Cabaret rouge, « ça en fait le plus beau bureau du monde ».
Eglantine Puel