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« Si la chanson se souvient de moi comme du grand saint Éloi qui dit au roi Dagobert qu’il avait sa culotte à l’envers, on me prête d’autres faits d’armes. Certains sont vrais, d’autres légendaires. Je vais vous raconter. » Voilà comment pourrait commencer l’autoportrait de saint Éloi, né Éloi vers 588 dans le Limousin. C’était à Cadillac et s’il sera choisi comme saint patron des mécaniciens, c’est pour une autre raison que cette référence automobile. C’est son goût pour le travail des métaux qui conduira le jeune homme en apprentissage chez un orfèvre de Limoges.
Peu de temps après il se rend à Paris et entre au service d’un orfèvre renommé qui reçoit des commandes du palais royal. Il se fait remarquer pour son habileté et est choisi pour fabriquer le trône royal incrusté d’or et de pierres précieuses du roi Clotaire. Avec le reste d’or qu’on lui avait confié, il fabrique un second trône témoignant ainsi d’une très grande honnêteté. « Tout ça est vrai », promettrait Éloi. Le roi le prend à son service, séduit par son honnêteté scrupuleuse et sa grande piété.
Il devient un conseiller très écouté et est même chargé de gérer les finances royales. Il continue à réaliser de nombreuses pièces d’orfèvrerie. À la mort de Clotaire en 629, son fils monte sur le trône, un certain Dagobert. Vous connaissez la chanson. Celui-ci nomme Éloi ministre de la Chancellerie, avant qu’il n’entre dans les ordres en 633. Éloi devient évêque de Noyon (Oise) et Tournai en 641, fonde les abbayes de Solignac au sud de Limoges, puis de Sainte-Aure, à Paris, un couvent féminin dédié à l’apôtre de l’aquitaine Saint-Martial de Limoges.
« Je ne suis pas du genre à oublier mes racines », préciserait le saint homme qui crée ensuite de nombreux monastères : Gand, Péronne, Chauny, Ourscamp, Homblières. Toujours entouré de pauvres, qu’il soulage, il rachète aussi des esclaves pour les libérer, c’est un prédicateur intarissable donnant toujours l’exemple de la sainteté. Il meurt le 1er décembre 659 à Noyon, vénéré de tous.
Il est immédiatement élevé au rang de saint et se retrouve saint patron de tout un tas de professions, liées à lui par les matériaux mais aussi les savoir-faire : orfèvres, batteurs d’or (fabricants de fines feuilles d’or servant à l’ornementation), doreurs sur cuivre (pour les armures), sonnetiers (les fabricants de sonnettes), taillandiers (fabricants d’outils et fers tranchants utilisés par les cultivateurs et certains artisans) et serruriers, forgerons et maréchaux-ferrants, les selliers, les maquignons (marchands de chevaux), les mécaniciens ou les horlogers. Aussi les charretiers et muletiers, les fermiers, laboureurs et valets de ferme.
« Est-ce à Floursies, dans le Nord, que les agriculteurs venaient avec leurs chevaux de labour pour recevoir ma bénédiction ? Je ne me souviens plus mais l’eau de la fontaine aurait gardé le pouvoir de soigner les bêtes malades. À votre avis, légende ? » De nos jours, la tradition se perpétue pour les chevaux de loisirs.
« Les deux réalités ouvrière et agricole qui structurent notre diocèse sont placées sous le patronage d’un même saint », disait l’évêque de Cambrai dans l’un de ses récents prêches en référence à l’inventaire à la Prévert des professions sous la protection de saint Éloi.
Le personnage réel est devenu, au fil des siècles, un héros de légendes et l’un des saints les plus populaires de la chrétienté occidentale. On dit qu’avant d’être maître orfèvre, il aurait été maréchal-ferrant. Un jour, afin de ferrer plus à l’aise le sabot d’un cheval rétif, il lui aurait coupé la patte, l’aurait placée sur son enclume et l’aurait rajustée sans difficulté ! Souvent représenté avec des tenailles et un marteau surmonté d’une couronne, une enclume et un fer à cheval, il est aussi le saint patron des métallurgistes et des mécaniciens de l’Armée de l’air. Sans oublier les bijoutiers, les cheminots belges, les informaticiens, les plombiers, les serruriers, les sidérurgistes, les vétérinaires.
« Ça fait beaucoup de monde sous ma protection mais j’assume. J’ai toujours été du côté de la matière, qu’elle soit en fusion ou organique, qu’elle soit désormais numérique ou ultra-technologique. Ce n’est pas maintenant que je vais arrêter. » Pour ne prendre qu’une corporation au hasard, les agriculteurs, ils célèbrent encore en masse le saint patron à l’occasion de la date anniversaire de sa mort (lire page 27). « Mais je marque votre paysage toute l’année si vous y prêtez un peu attention », prévient le Limousin.
Regardez du côté de Dunkerque, où celle que l’on surnomme la cathédrale des sables s’appelle en fait église Saint-Éloi. « Vous saviez que parmi d’autres légendes farfelues, on me prête la fondation de la ville de Dunkerque, rien que ça, parce que j’aurais participé à la lutte contre les Vikings et y aurais fondé une église. Je vous le dis, c’est farfelu. »
Et dans l’Artois, à Villers-Sir-Simon, l’église ne porte-t-elle pas mon nom aussi ? Et à Caffiers ? Et à Lezennes ? Et… « Il paraît même que j’ai eu une cathédrale majestueuse dont il ne resterait que deux tours, classées monument historique depuis 1921 s’il vous plaît. Quelques kilomètres au nord d’Arras, au sommet du bien nommé mont Saint-Éloi. C’est pas le mont Saint-Michel mais après tout, je ne suis pas à ça près si mon bon Michel veut que je l’aide un peu. »
Justine Demade Pellorce
Relire la rencontre avec Mathieu Gervais sur le rapport de la ruralité à la religion