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« L’homme est lent, peu rigoureux et très intuitif. L’ordinateur est super rapide, très rigoureux et complètement con. » La citation de Gérard Berry, grand informaticien français, résume ce qui fait les forces et les faiblesses du cerveau humain et de la machine. Une relation étroitement entretenue, et qui s’amplifie à mesure que la technologie progresse.
La neuropsychologue Anaïs Degeorges a démontré, devant un parterre de têtes blanches mais aussi un bon groupe de lycéens lors d’une conférence proposée par l’association Défi autonomie senior (lire aussi l’encadré), que ce ne sont pas les technologies qui comptent, toutes « nouvelles » soient-elles, mais l’usage qu’on en fait. Un message de prévention jamais trop précoce.
Par « nouvelles technologies », la neuropsychologue entend internet en général, jusque dans ses plus récentes applications comme Chat GPT, à savoir l’intelligence artificielle, des « technologies qui s’approchent de plus en plus des techniques humaines ». Mais sont-elles comparables ? Non, car si elle est capable de simuler l’intelligence, elle ne peut pas accéder à l’émotion ni au sens que revêt l’émotion.
Aussi, le cerveau humain connaît une forme de plasticité qui lui permet, si une zone est atteinte par exemple, de faire prendre le relais par une autre, ce dont l’intelligence artificielle est incapable. Idem pour la conscience des choses, l’expérience du vécu… Cette question de l’intuition et de l’émotion est très importante dans ce qui distingue l’intelligence humaine de l’autre, artificielle.
Ceci dit, les nouvelles technologies sont-elles ou non dangereuses pour notre santé mentale ? Pas en tant que tel. « Chaque usage stimule des zones différentes du cerveau, compliqué donc de généraliser », pose d’emblée Anaïs Degeorges qui précise : « Toutes les évolutions sociétales ont entraîné des craintes, l’écriture était décriée par Socrate ; l’imprimerie par les érudits ou encore le chemin de fer, dont certains avançaient qu’il changerait les cellules du corps. Bien utilisées, les nouvelles technologies peuvent même être bénéfiques. Par contre, si mal ou trop utilisées, elles peuvent entraîner stress, anxiété… »
Les risques sont des effets comportementaux, psychologiques, sociaux, cognitifs (la faculté d’attention, de raisonnement, de mémorisation). « Ainsi, une utilisation équilibrée peut être stimulante, un abus risque de saturer la cognition par un nombre d’informations trop important », détaille la spécialiste.
Outre ces risques liés à une surconsommation, il y a aussi ceux résultant de l’immédiateté qu’induisent ces technologies et qui tend à nous rendre impuissants et frustrés car « nous ne savons plus attendre ». Nous, parents ou grands-parents, mais aussi les enfants qui naissent dans ce bain connecté et qu’il est d’autant plus important d’éduquer à la patience et à l’acceptation de la frustration.
Sur l’aspect addiction de ces nouvelles technologies, « aucune étude ne démontre une addiction de type chimique (qui peut modifier les neurones) contrairement à celle que peuvent provoquer l’alcool, la nicotine ou encore les drogues ». Par contre, « les nouvelles technologies peuvent amener à une perte de contrôle à partir du moment où on ne se fixe pas de règles quant à leur utilisation (durées, moments…) ».
D’autres conséquences résultent de l’utilisation des nouvelles technologies qu’il faut identifier, pour mieux les maîtriser. « L’effet Google par exemple : avec les moteurs de recherche, nous ne retenons plus les informations mais le chemin pour y arriver. On parle aussi d’amnésie numérique quand le numérique retient pour nous des informations (dates d’anniversaires, numéros de téléphone) que nous pouvons alors oublier et ainsi gagner de la place. » Ni bien ni mal, si cela permet de garder en tête des informations à plus forte valeur ajoutée après tout.
Le plus gros risque se situe peut-être dans le défaut d’attention qu’engendrent les nouvelles technologies, à partir du moment où elles nous sollicitent en continu et nous interrompent dans nos tâches. « Une source de dispersion qui détourne de l’objectif initial. Le cerveau n’est pas multitâche, même celui des femmes (!), et lorsque l’on fait plusieurs choses en même temps, on perd en compétences. » Sans oublier la question du temps dont on distingue le temps réel et le temps perçu qui est, face à un écran, complètement distordu.
Pour la neuropsychologue, ce qui se joue avec les nouvelles technologies est moins une dégradation qu’une adaptation. « Grâce à la plasticité du cerveau, les neurones s’organisent en réseau en fonction de l’environnement. Les outils numériques récents constituent cet environnement, qui va peu à peu être intégré au fil des générations, comme les grandes inventions ont pu le faire autrefois. Et le temps ainsi gagné pourra nous permettre d’explorer des choses plus sophistiquées », projette Anaïs Degeorges avec optimisme.
Justine Demade Pellorce