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Un matin d’hiver brumeux. Dans les herbes folles, deux pompons blancs : des biches dérangées par la présence humaine. C’est qu’ici, au bout du chemin du marais, à Merckeghem (59), plus personne ne passe. Nous sommes quelques mètres après la bergerie, récemment construite, en hauteur ; après la petite longère blanche aux fenêtres de conte de fées et où la présence d’un mobile home, installé dans le jardin depuis l’hiver dernier, rappelle que l’endroit a été inondé, la maison abîmée.
Nous sommes quelques dizaines de mètres avant la première maison du Nord officiellement rachetée dans le cadre du fonds Barnier : ce dispositif qui permet aux propriétaires de se voir racheter leur maison par l’État (via l’établissement public foncier, EPF) afin d’écrire un nouveau chapitre. Ailleurs. C’est le choix qu’a fait une famille nordiste, aujourd’hui installée à quelques dizaines de kilomètres.
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À Merckeghem, la maison du bout du chemin du marais a été vidée. Le potager n’est plus que mauvaises herbes, la tondeuse prend la pluie et la cabane d’enfant se couvre de mousse, comme le trampoline. À quelques pas du fossé qui aura causé sa perte autant qu’il en a longtemps assuré la tranquillité, cette maison en briques est la première qui sera détruite, avant que la parcelle ne soit rendue à la nature. Aux biches, aux herbes folles bien sûr. Et à l’eau.
Une page se tourne pour une famille et marque d’une date et une adresse le phénomène enclenché du déplacement climatique : chemin du marais à Merckeghem, 27 novembre 2024 (c’est la date de l’acte de vente signé officiellement par les anciens propriétaires à l’EPF). On en parle partout à travers la planète, dans des proportions sans mesure (sécheresse, inondations, incendies meurtriers) : le réchauffement du climat multipliera ces phénomènes météorologiques extrêmes. Incapables de combattre les éléments, les hommes devront reculer. Cette première maison dans le Nord, c’est la traduction concrète de ce mouvement.
Dans la petite mairie du village, située sur les hauteurs de la commune, Danielle Vanmaele inscrit le nom de l’une de ses administrées sur sa liste : venue récupérer un rouleau de sacs-poubelle, elle vient de se greffer aux participants du concours de maisons illuminées. Dans le village de 600 âmes, la vie continue et « on se serait bien passé de ce statut de première commune concernée dans le Nord. Nous avons eu cinq maisons inondées chemin du marais, compte l’édile. Deux cas ont été plus sévères, avec la maison rachetée par l’EPF et celle d’une autre dame qui vit aujourd’hui dans un mobile home installé dans son jardin. » Car contrairement à l’autre famille, cette habitante-là n’a pas réussi à y trouver son compte.
« Pour que le fonds Barnier soit mobilisé, il faut que le montant d’indemnisation des travaux du bâtiment (hors équipements et meubles, ndlr) atteigne au moins 50 % de la valeur de la maison avant inondation », détaille la maire de la commune. « Il faudrait que l’estimation de la maison soit revue à la baisse pour qu’elle puisse prétendre au dispositif, mais elle n’arrive pas à se faire une raison. » Parce qu’il faut faire son deuil en quelque sorte : d’une maison, de ce qu’elle charrie de souvenirs et de projets. Faire son deuil pour renaître ailleurs, c’est le choix de ceux qui prétendent au fonds Barnier, activé sur la base du volontariat.
Comme pour Clément Berteloot et Amandine Caron, à Arques, dans le Pas-de-Calais. Avec 315 communes touchées, c’est là que les dégâts ont été les plus importants. Le nombre de maisons concernées par le fonds Barnier aussi, principalement situées à Blendecques et à Arques. Pour accélérer les démarches, la communauté d’agglomération du pays de Saint-Omer (Capso) a choisi de procéder au rachat puis de se faire rembourser par l’État : 19 maisons ont déjà été rachetées dans ce cadre.
Clément Berteloot habitait à Arques, au 34 de la rue Henri-Puype : la rue la plus touchée de la commune. « 33 rues inondées à Arques, 400 familles concernées, 21 bâtiments publics et 850 000 € de frais après des expertises au rabais » juste pour ces bâtiments, synthétise Benoît Roussel, le jeune maire. Blendecques, la commune voisine, aurait, elle, plus de 800 foyers touchés par les inondations.
Clément habitait depuis cinq ans avec sa compagne Amandine dans cette bâtisse de 1914 rachetée à son père et entièrement retapée par leurs soins. « Nous avons été propriétaires très jeunes (il avait 21 ans, elle tout juste 20, ndlr) parce que j’aime bien tout prévoir. » Forcément, la première inondation le 6 novembre 2023, puis la deuxième en janvier ne faisaient pas partie du tableau. « J’avais pourtant fait mon apprentissage au SmageAa (le syndicat de gestion des eaux, ndlr) et j’avais pu voir dans les archives que la maison pouvait être inondée, mais jamais dans cette mesure. » Et encore moins à deux reprises en deux mois.
Quand ils ont dû quitter la maison la première fois, Clément a juste eu le temps de sauver sa moto et la télé. Quand l’eau est revenue deux mois plus tard, il n’y avait plus rien à sauver. Depuis, ils vivent chez des amis. Mais la page va se tourner, définitivement dit-il, le 18 décembre quand le jeune couple emménagera dans sa nouvelle maison, à Campagne-lès-Wardrecques, à quelques kilomètres de là. Parce que si tous les projets du jeune couple « sont tombés en miettes » il y a un an, Clément l’affirme : « Aujourd’hui c’est une anecdote. »
Alors que son père l’avait incité à vendre dès la première inondation, sans état d’âme, lui avait pourtant dû attendre la deuxième crue, puis d’entendre parler du fonds Barnier avant de l’imaginer. « On s’était dit que comme c’est l’État qui rachète, on toucherait une misère », avoue le jeune homme qui dépose un dossier, « pour voir ».
Estimation, vérification par les Domaines (service chargé de la politique immobilière de l’État), négociation avec les banques (parce que le jeune couple n’est plus dans la même situation professionnelle, que les taux bancaires ne sont plus les mêmes et que le jeune homme est décidé à ne pas perdre au change), le tout soutenu par l’ancien ministre Christophe Béchu (côté banques) et le président de Région Xavier Bertrand (côté assurances), salue Clément Berteloot : la décision de vendre est prise en avril dernier et le rachat par la Capso signé mi-novembre.
Rue Henri-Puype, seules trois ou quatre maisons sur la trentaine qui longent la Basse-Meldyck, ce canal de l’Aa qui est sorti de son lit à plusieurs reprises l’an dernier, ont encore les volets ouverts. Les étais et les noms s’effacent sur les boîtes aux lettres. « Nous allons rendre cette rue à la nature », prévient pourtant le maire qui veut éviter « le mitage », dit-il, avec une maison ouverte sur deux. Ou dix.
À Arques, on a toujours vécu avec l’eau : les industries verrières ont profité du canal à grand gabarit. Et on continuera, un projet de doublement de l’écluse des Fontinettes est acté : 300 millions d’euros investis par les Voies navigables de France (VNF). On reculera juste un peu. « Mon premier adjoint est concerné par le fonds Barnier et a racheté de l’autre côté de la ville. Ma voisine vend, elle aussi. Nous avons 9 600 habitants et avons continué à accueillir 175 nouvelles familles en 2024 », se satisfait Benoît Roussel qui explique avoir reconstruit sur les friches industrielles ou commerciales – sept hectares – et favoriser le logement social où ont notamment été relogés en priorité les locataires inondés, d’Arques mais aussi de Blendecques.
Le maire qui rappelle qu’Arques avait été inondée en 2002 déjà « mais pas à ce niveau-là ». Il parle de ce restaurant voisin de l’hôtel de ville, Le Bon coin, inondé l’hiver dernier et qui n’a rouvert que fin novembre ; il parle de l’école du centre qui n’a récupéré sa salle de motricité qu’en septembre ; il parle encore des Restos du cœur qui n’ont toujours pas réintégré leur local, pour lequel les assurances ont donné l’accord de réparer trois murs, pas le quatrième. Le temps long et les galères administratives pour les collectivités aussi.
Si la perte de quelques familles est gérable pour une ville de presque 10 000 habitants, c’est une autre histoire pour une petite commune. Et à Merckeghem, la perte d’une seule famille, c’est quatre habitants en moins, « dont une petite élève à l’école du village », regrette Danielle Vanmaele.
La maire de la commune, jamais inondée jusqu’ici, a préparé son édito pour le journal communal de fin d’année. Elle y espère des jours meilleurs et liste les actions menées depuis les dernières inondations : curage de tous les fossés, mise en place d’une deuxième pompe par la section des wateringues chemin du marais, faucardage de la Becque, le cours d’eau qui traverse le village, installation de clapets anti-retour… Aussi actés, les travaux sur la vanne 12 au niveau de Bergues qui, hors-service, ne permettait plus d’évacuer 40 % de l’eau qui arrive à Merckeghem.
Encore l’acquisition de pompes par la CCHF (communauté de communes des Hauts de Flandre) et cette étude en cours, sur le lac de Bellevue. « Quand je suis arrivée dans la commune, il y a un peu moins de 50 ans, on en parlait déjà, remonte l’élue. Je m’imaginais un mignon petit lac avec des bateaux. Il s’agissait en fait d’un lac de rétention, où l’eau pourrait être stockée avant d’être répartie. » Une étude avait été menée, une quarantaine d’hectares rachetés par l’État mais, sans avancement, les agriculteurs ont cultivé, installé des prairies. Voilà le projet relancé.
« Les trois quarts de la commune sont en zone vulnérable des pieds de coteaux des wateringues du Nord », résumé la maire qui explique toujours informer les aspirants nouveaux habitants sur les risques même si l’eau n’était jamais montée jusque-là. « Et aujourd’hui un permis de construction de garage ou d’extension de 17 m2 est refusé », observe-t-elle. À ses côtés, un habitant ne comprend pas comment on peut, « dans le même temps, continuer à construire comme ça, du côté de Dunkerque ». Il pense aux méga usines ou aux réacteurs nucléaires installés au bord de l’eau, sous le niveau de la mer. Et il se dit qu’on a peut-être touché le fond. Tout court.
Justine Demade Pellorce
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