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« On a toujours eu tendance à beaucoup parler de renaturation, mais les campagnes occupent 90 % du territoire. C’est par là qu’il faut commencer. » Philippe Carton est agriculteur “retraité” et maire de la petite commune rurale de Frévin-Capelle (62) depuis 2001. Il est également vice-président du Scota, le Scot, ou schéma de cohérence territoriale de l’Arrageois, qui regroupe 206 communes, et vice-président de la communauté de communes Campagnes de l’Artois – 96 communes – où il a logiquement en charge le plan climat – air – énergie territorial. Encore vice-président du syndicat des eaux local ou du Sage Scarpe-Amont : un inventaire qui traduit l’engagement de l’homme mais aussi l’interconnexion des sujets.
Ce village de 400 habitants, il le connaît comme s’il y était né – c’est le cas – et comme si son père et son grand-père en avaient été maire avant lui, et c’est encore le cas. Maire de grand-père en petit-fils pour une raison logique, pense-t-il : « Faire le lien entre l’activité agricole et les élus du territoire. » C’est, d’une certaine façon, l’objectif des Scot, à savoir faire coïncider des objectifs et des contraintes. Ici comme ailleurs, les agriculteurs ont fondu comme neige au soleil et alors qu’on en a compté jusqu’à 18 « aux grandes heures », au milieu des années 60, il n’en reste que deux aujourd’hui.
Pour Philippe Carton plutôt que de vouloir mettre du vert partout où il n’y en a pas, il faut commencer par préserver celui qui existe. « Actuellement, les agriculteurs ont encore des dérogations pour retourner les prairies autour du village, ça fait bondir les gens. Les élevages diminuent, les terres sont fertiles. Moi je les comprends. » Et s’il déplore les conséquences écologiques de telles pratiques, notamment en termes d’érosion et de qualité des eaux, il les explique par le manque de rémunération de ces prairies et des services qu’elles rendent. « Le Scota avait travaillé avec la Région à la mise en place de Maec (mesures agro-environnementales compensatoires, ndlr), mais plus on avance plus ça se complique et beaucoup d’agriculteurs lâchent l’affaire. Les aides ne sont pas à la hauteur et les démarches sont trop lourdes. »
Pour l’agriculteur à la retraite, « il faudrait pouvoir superposer les aides de la PAC à celles des collectivités qui bénéficient des services rendus ». Pour lui, le Sage, schéma d’aménagement et de gestion de l’eau, porté par l’Agence de l’eau, pourrait permettre cette superposition à laquelle les communes abonderaient. « Ici par exemple, nous sommes concernés par le ruissellement. Il faudrait travailler avec les agriculteurs sur leurs plans d’assolements, éviter les grandes surfaces et plutôt favoriser la culture par bandes, faire des zones tampon autour des champs de pommes de terre… » Et pour ça, que l’agriculteur s’y retrouve, sinon il n’ira pas.
« La commune ou la communauté de communes a aussi son rôle à jouer, nous avons planté 1,5 kilomètre de haies et de fascines, par exemple. Nous stockons aussi de gros ballots de paille dans un coin du village, qui permettent de dévier les éventuelles coulées de boue. Au niveau intercommunal, nous avons lancé des plans communaux d’évaluation des risques du ruissellement, envoyé des courriers et diffusé des conseils pratiques. »
Les échelles ont toutes leur responsabilité, pense le maire qui rappelle que le Sradet, le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, définit les objectifs au niveau régional, qui sont déployés par les Scot puis à travers les PLUi et les PLU (plans locaux d’urbanisme intercommunaux ou non). Et en amont, l’État qui prend en main les gros dossiers comme la question du trait de côte ou le projet du canal Seine-Nord (lire aussi en page 11) en ce qui nous concerne. Ce dernier, ce n’est pas moins de 1 200 hectares d’emprise sur le Scota, « un bel outil avec des retombées économiques liées aux installations d’entreprises, aux plateformes, aux logements. Avec la loi ZAN (zéro artificialisation nette d’ici 2050, ndlr), des collectivités vont toutefois se poser la question d’accepter l’implantation de grands entrepôts avec cinq personnes dedans au détriment de plus petites entreprises qui emploient davantage », prédit l’élu local.
Alors comment se traduisent les objectifs de la loi ZAN sur les territoires ? « Le Scota est en cours de refonte, il sera prêt pour 2026-2027 et prévoit la réduction de 65 % de la consommation pour atteindre les objectifs fixés. Le prochain palier est la réduction de 50 % de la consommation de terres d’ici 2031. Dans les villes, on construit en hauteur et dans les campagnes on réduit la taille des terrains, avec des jardins individuels plus petits », liste l’élu.
La norme est de 16 terrains à l’hectare, soit une superficie moyenne de 600 m2 contre 1 000 m2 il y a peu. « L’idéal serait de bâtir des maisons regroupées, mais ce n’est pas tellement la philosophie à la campagne », reconnaît Philippe Carton qui prévient quand même que « le plus gros enjeu va être de garder de la place pour l’industrie. Et si une nouvelle usine se construit, on évitera de l’entourer d’un grand terrain avec des parkings et des bureaux qui s’étalent. Il faut aussi développer le photovoltaïque sur les friches, à l’instar de l’installation de panneaux rendue obligatoire pour tout projet de plus de 500 m2. Mais attention, pas de fermes solaires ! », prévient l’agriculteur retraité.
L’élu local intègre les enjeux, et regrette toutefois certaines incohérences. « On compte par exemple 3 000 m2 d’implantation pour une éolienne alors que l’emprise réelle est dix fois moindre », milite-t-il. Pour le sexagénaire, les plus grosses erreurs ont été de remplacer les fossés par des tuyaux et de construire des sous-sols où il n’aurait pas fallu et, au contraire, de bâtir certaines maisons sans seuils là où ils s’imposent pourtant. Une série de manquements au bon sens.
Impossible de revenir en arrière, mais les leviers existent (ou devraient exister davantage à l’image des services rendus, pour notre agriculteur) pour diminuer la catastrophe et éviter de passer au rouge.
Justine Demade Pellorce