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La conférence-débat intitulée « Préparer les agriculteurs à transmettre leur ferme » a réuni une trentaine de participants vendredi 29 novembre à Le Wast (62). Parmi eux, des agriculteurs, des élus locaux, des techniciens, mais aussi des représentants de collectivités. L’objectif de cette rencontre organisée par Initiatives paysannes était de réfléchir collectivement aux défis que représente le renouvellement générationnel dans le monde agricole, dans un contexte régional où beaucoup d’exploitations risquent de disparaître dans les prochaines années.
En France, les chiffres sont alarmants. En dix ans, 100 000 exploitations agricoles ont disparu, ce qui équivaut à une perte de 180 fermes par semaine. Aujourd’hui, 25 % des agriculteurs en activité ont plus de 60 ans, ce qui signifie qu’un quart des fermes françaises est transmissible ou le sera bientôt.
Pourtant, pour dix départs à la retraite, seulement deux jeunes agriculteurs s’installent.
Pour animer la conférence-débat, Dominique Lataste, psychosociologue et chercheur associé à l’université Montpellier 3. Travaillant depuis plus de 20 ans sur les questions d’installation et de transmission des exploitations agricoles, il a invité les participants à réfléchir aux différents facteurs qui freinent la transmission des fermes. Pour cela, des ateliers en sous-groupes ont permis de recueillir et de structurer les idées des agriculteurs, techniciens et élus présents. Ces échanges ont fait ressortir quatre types de difficultés majeures.
D’abord, les difficultés économiques. Les jeunes repreneurs peinent à accéder aux financements nécessaires, les démarches administratives sont lourdes, et le prix élevé des terres agricoles constitue une barrière supplémentaire. Dans certaines régions, comme dans les Hauts-de-France, des contraintes économiques spécifiques comme les fumures ou les arrières fumures aggravent encore plus ces défis financiers.
Des difficultés générationnelles ont également été mises en avant, liés à l’évolution des mentalités et notamment le rapport au travail. Là où les générations précédentes plaçaient le travail au centre de leur existence, les jeunes privilégient aujourd’hui davantage l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle, rendant parfois le métier d’agriculteur moins attractif.
Les difficultés structurelles constituent selon les participants à la conférence un troisième frein. À titre d’exemple, plus de 70 % des agriculteurs vivent sur leur exploitation, mais les repreneurs potentiels ne souhaitent pas nécessairement acquérir les habitations qui s’y trouvent, ce qui complique les négociations.
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Mais Dominique Lataste a surtout insisté sur un point souvent négligé : les difficultés psychosociales. Selon lui, si les questions économiques et administratives sont prépondérantes, les dimensions humaines et émotionnelles de la transmission sont largement sous-estimées. Il explique que la transmission d’une ferme ne se résume pas à un transfert de capital, mais implique une véritable projection dans l’avenir. Or, pour de nombreux exploitants, la cession de leur ferme est un moment de rupture qui les oblige à redéfinir leur identité sociale. « S’ils ne sont plus cultivateurs, que sont-ils ? », interroge le chercheur. Beaucoup d’agriculteurs ont consacré leur vie entière à leur exploitation, parfois au détriment des loisirs ou d’autres activités, ce qui rend la perspective de la retraite particulièrement difficile à envisager.
Les agriculteurs considèrent souvent leur exploitation comme un patrimoine chargé d’histoires, voire « une extension d’eux-mêmes ». Cet attachement émotionnel à leur outil de travail peut freiner les négociations, d’autant que la transmission implique une rencontre entre deux projets : celui du cédant et celui du repreneur, qui peuvent avoir des visions très différentes de la ferme idéale. Le psychosociologue souligne l’importance du dialogue et du compromis, des démarches « qui prennent du temps et nécessitent un accompagnement spécifique ».
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Dominique Lataste a également évoqué un changement culturel survenu au cours des dernières décennies. Avant les années 1970, il allait de soi que les enfants reprenaient l’exploitation familiale. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : les parents encouragent souvent leurs enfants à faire des études supérieures ou à explorer d’autres voies. La reprise d’une ferme n’est donc plus une évidence et nécessite une initiative explicite de la part des jeunes.
Face à ces défis, des solutions existent, bien que leur mise en œuvre soit encore insuffisante. Les structures comme les chambres d’agriculture, la Safer ou Initiatives paysannes jouent un rôle clé en proposant des formations, des cafés-transmission et des accompagnements individuels. Toutefois, Dominique Lataste insiste sur la nécessité d’aller plus loin.
Il plaide pour un accompagnement renforcé sur les aspects psychologiques et sociologiques, au-delà des seuls aspects pratiques, juridiques ou fiscaux. Selon lui, il est essentiel d’aider les agriculteurs à surmonter les blocages émotionnels liés à la cession de leur ferme et, surtout, de les inciter à anticiper ce moment crucial. « La transmission est un résultat, mais c’est surtout un processus, qui peut parfois prendre plusieurs années. Plus elle est anticipée, plus elle a de chances d’aboutir », rappelle-t-il.
Cette conférence-débat a permis de mettre en lumière l’ampleur et la complexité des défis liés à la transmission des exploitations agricoles. Elle a aussi souligné l’urgence d’un accompagnement individualisé et anticipé, intégrant les dimensions humaines et émotionnelles, pour garantir la pérennité de l’agriculture et des territoires ruraux en France.
Une rencontre qui reflète la nécessité d’« une profonde réflexion collective ».
Julien Caron