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Les premiers pas semblaient prometteurs : le « négociateur » Michel Barnier jouait une musique différente, presque apaisée dans une Assemblée nationale marquée par les batailles de la précédente législature.
Temporairement à l’abri d’une censure du Rassemblement National (RN), il entamait alors une danse budgétaire qui se termine de la pire des manières, avec une censure attendue*, pour la deuxième fois seulement de la Ve République.
Lorsqu’il monte à la tribune de l’Assemblée nationale le 1er octobre pour sa déclaration de politique générale, l’expérimenté Michel Barnier, qui a négocié le Brexit au nom de l’Union européenne, ne cache pas la difficulté de la tâche. « Jamais un Premier ministre n’a disposé d’aussi peu de temps pour présenter un budget. »
Il sait aussi qu’il est là grâce à l’approbation tacite du RN. Marine Le Pen salue son « sens de la courtoisie », mais elle ne manque pas de lister ses demandes.
Moins de 15 jours plus tard, le gouvernement annonce un futur texte immigration. « Je trouve la ficelle un peu grosse », grince déjà l’ancien ministre macroniste Roland Lescure.
Car Michel Barnier crispe rapidement une macronie contrainte à la cohabitation avec ses adversaires Les Républicains (LR). Comme lorsqu’il reprend de volée son prédécesseur Gabriel Attal d’une pique tout en flegme dans l’hémicycle. « Je serai, monsieur Attal, très attentif à vos propositions d’économies », dit-il, applaudi par ce dernier, « afin de faire face au déficit que j’ai trouvé en arrivant », précise-t-il, applaudi par la gauche et le RN. « Ça a fait marrer mais se fâcher avec celui qui est censé être le premier soutien […] c’est pas comme ça que j’aborderais une négociation », sourira un cadre lepéniste.
Mi-octobre, un élu LR l’ayant bien connu au Parlement européen lit l’avenir de Michel Barnier : « Il est tactique, assez secret, donc plutôt discret sur la stratégie » mais « il est raide, susceptible, rancunier… Il va vouloir durer, donc va rester vague. Et va détester les moments où il va devoir trancher. »
« Barnier ne nous répond pas », persifle un ancien ministre macroniste, reflétant un sentiment général des députés Ensemble pour la République (EPR) sur leurs propositions budgétaires. À Matignon on insiste : les portes sont ouvertes et les idées bonnes à prendre, si elles sont financées.
Mais la fragile coalition se saborde par des luttes fratricides sur des postes clés à l’Assemblée, entre les troupes de Gabriel Attal, et celles de Laurent Wauquiez. Les deux hommes sont considérés comme des présidentiables, mais jurent que leurs destins ne comptent pas, et que l’échec de Michel Barnier n’aurait d’intérêt pour personne.
Las, les chefs macronistes qui profitaient de leur 11-Novembre s’étrangleront devant TF1 quand un arbitrage de Michel Barnier sur le sensible report de revalorisation de retraites est annoncé par… Laurent Wauquiez. « Je pense que Barnier est mort (ce) soir là », rembobine un haut gradé du socle commun.
La coalition, démotivée, avait déjà largement séché les premiers débats budgétaires, laissant le champ libre à la gauche et au RN pour réécrire le texte. Les chefs de groupe rectifieront un peu le tir, mais le gouvernement a de toute façon choisi de laisser l’Assemblée tripartite ferrailler, pour se concentrer ensuite sur le travail avec la majorité sénatoriale de droite et du centre, plus favorable.
« Wauquiez a joué très perso […] Attal a aussi été odieux dans la négociation. Barnier a dû leur répondre. Il en a oublié de parler à Le Pen et à Vallaud », estime un député LR.
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Le 13 novembre, les procureurs requièrent contre Marine Le Pen une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. La décision ne sera rendue qu’en mars 2025, et Marine Le Pen dément toute influence sur ses décisions politiques. Mais une question résonne dans les couloirs du Palais Bourbon : « Du coup tu penses qu’elle censure ? »
L’ex-macroniste Sacha Houlié parie que oui : « Si elle se fait condamner, elle pourra dire que c’est parce qu’on lui reproche d’avoir déstabilisé le pays ». « J’y crois pas une seconde », martèle un cadre macroniste qui invoque une « théorie de la dinde »: « À 15 jours de Noël risquer de plonger le pays sans budget c’est compliqué ».
Mais le RN, échaudé par le manque de réponses sur des propositions budgétaires présentées mi-octobre, n’attendra pas.
Il pousse les feux sur le budget de la Sécurité sociale, insistant sur son opposition à l’indexation repoussée des pensions de retraite, aux mesures touchant les cotisations patronales, et aux déremboursements de médicaments.
Le 20 novembre, le tempo s’emballe. Marine Le Pen prévient d’une censure si le pouvoir d’achat des Français est impacté. « Nous n’avons pas été entendus, nous n’avons même pas été écoutés », gronde-t-elle, avant d’être reçue à Matignon la semaine du 25, comme les autres chefs de groupes parlementaires.
Le 26 novembre, Michel Barnier prend l’opinion à témoin sur TF1, et lance un avis de « tempête » sur les marchés en cas de censure. Son gouvernement engage une offensive médiatique contre les socialistes, François Hollande en tête, en les appelant à la « responsabilité ». « Il a choisi, au fond, de faire du RN son interlocuteur privilégié, pour ne pas dire exclusif », rétorquera le chef des députés PS Boris Vallaud au Figaro.
Le 28 novembre, le RN fait savoir que le budget de la Sécu sur lequel se sont accordés députés et sénateurs vaut censure.
Dans une dernière semaine folle, Michel Barnier multiplie les concessions : sur les taxes d’électricité, sur l’aide médicale d’État pour les sans-papiers, et sur les remboursements de médicaments.
Selon des cadres de la coalition qui l’ont vu lundi, il estimait que ces concessions dissuaderaient le RN à censurer. Lorsque Marine Le Pen lui confirme par téléphone qu’elle reste inflexible, c’est la douche froide. « Je ne croyais pas qu’elle oserait », lâche-t-il. Michel Barnier dégaine son premier 49.3 sans beaucoup d’espoir d’échapper à la chute de son gouvernement.
À J-1 Emmanuel Macron est en Arabie Saoudite. Il dit ne pas « croire » à la censure mais appelle à ne « pas faire peur aux gens » en brandissant des risques de crise financière. Pas franchement le lancement rêvé pour Michel Barnier, qui tente le soir un dernier appel à la « responsabilité » sur TF1 et France 2. « Ce dont j’ai besoin c’est du temps. »
Afp