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« Objectif : se retrouver l’année prochaine, oublier cette année et passer à la suite. » Quand il conclut sa présentation, le directeur général de Nord Céréales n’oublie pas de rappeler les rares occasions de se réjouir toutefois, comme cette diversification de l’activité de l’exportateur céréalier dunkerquois récemment amorcée et qui lui permet de littéralement limiter la casse d’une année noire pour le blé français. « Une année comme on n’en avait pas vu depuis 40 ans », retracera plus tard Arthur Portier lors d’une intervention sur la dimension géopolitique du commerce de céréales (lire ci-dessous).
Le bilan de l’exercice 2023-2024 (du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024) s’achève pour Nord Céréales avec 2 070 947 tonnes exportées, puisque c’est son premier métier. Dans le détail on retient 1 609 506 tonnes de blé, 458 388 tonnes d’orge et 3 056 tonnes d’orge brasserie. Principales destinations : la Chine, avec près de 1,6 million de tonnes exportées sur les 2 millions de l’activité totale, l’Égypte (256 492 tonnes), le Maroc (146 235 tonnes) loin devant l’Algérie et ses 30 300 petites tonnes exportées à la défaveur de relations diplomatiques tendues (l’annonce l’été dernier de la reconnaissance de l’État français de l’appartenance du Sahara occidental au Maroc n’a légitimement pas plu aux Algériens qui en ont oublié de passer leurs commandes en blé français). L’Europe ne représente que 20 927 tonnes exportées sur l’exercice, soit 1 % de l’activité. C’est bien vers les pays tiers que se concentrent les efforts, alors même qu’une “simple” déclaration présidentielle suffit à faire changer le sens du vent. Que dire de l’élection d’un président américain ou de la guerre dans deux pays producteurs de blé.
N’oublions pas l’import qui, lancé en 2018, permet au groupe de diversifier ses activités : c’était 60 835 tonnes de pellets de bois et 74 846 tonnes de maïs sur l’exercice.
Le chiffre d’affaires de Nord céréales s’élève en 2023-2024 à 15,16 millions d’euros et un résultat net de 1,459 million d’euros. En ce qui concerne les filiales, 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires pour DKIE (export d’autres produits que les céréales) ; 2,5 millions d’euros tonnes pour BGDK (granulés) et 435 705 euros de CA pour Norceba.
Côté activité et investissements, on rappelle la construction du silo 9 (30 000 tonnes de stockage en plus pour un total de 330 000 tonnes à l’été 2025). La capacité d’exportation annuelle du site tourne entre 2 et 3 millions de tonnes. On note notamment l’importation et le stockage en moyenne de 150 000 à 200 000 tonnes de maïs chaque année – et Nord céréales lançait ce même 5 novembre son activité de séchage de maïs. Près de 3 000 tonnes de drêches de blé et 3 000 tonnes de pulpe de betterave ont été exportées en 2023-2024.
850 000 tonnes d’exportations contre 2 millions pour l’année précédente : voilà ce sur quoi table Nord Céréales à l’issue de l’exercice en cours. Moins 60 % de volume, c’est inédit. En cause les problèmes de rendements que l’on connaît (” – 25 à 30 % dans la région “, rappelle Joël Rattel le PDG de Nord Céréales qui précise encore que ” la qualité n’est pas toujours au rendez-vous, même si nous ne sommes pas les pires de France “) ; ” des problèmes de charançons aussi ” sans oublier le contexte géopolitique. ” L’une de nos faiblesses est l’export quasi-monoproduit du blé, nous espérons notamment nous développer sur l’orge de printemps “, projette le PDG qui rappelle l’importance des autres activités, d’import notamment, et annonce avoir des pistes ” pour les semaines à venir ” pour pallier ces années où les rendements ne sont pas au rendez-vous. En attendant, c’est réduction des coûts à tous les niveaux : énergie et manutention en raison de la baisse d’activité, maintenance, mais aussi ” du chômage partiel depuis le 1er octobre, comme sur les autres silos portuaires, avec l’objectif de redémarrer la prochaine campagne avec tout le monde en pleine forme “, croise des doigts le PDG. Bonne nouvelle, la planète compte toujours plus d’habitants, qu’il faudra continuer à nourrir. C’est à peu près la seule certitude, autant s’y accrocher.
Arthur Portier est agriculteur dans l’Oise, mais c’est en tant que consultant chez Argus média que le spécialiste en géopolitique agricole a exhorté l’assemblée à faire preuve de moins de naïveté. ” Entre les aléas météo et le contexte géopolitique, nous n’avons pas toutes les cartes en main. Et c’est bien pour cette raison qu’il faut maîtriser tout ce qui peut l’être, à commencer par la logistique “, a-t-il invité, rappelant que la France a la réputation méritée d’être fiable dans ses échanges.
Mais d’être aussi clairement trop naïve, a martelé l’observateur. ” Les organismes collecteurs et les exportateurs souhaitent plus de transparence ? “, glisse-t-il en référence à un rapide état des lieux des désidératas des uns et des autres quelques minutes plus tôt. ” De la transparence oui, entre nous, mais au niveau mondial c’est bien plus opaque. La Chine, la Russie, la Turquie se referment, elles se rétractent sur elles-mêmes quand nous, Français et Européens, continuons à mettre carte sur table. Nous vivons dans un monde de bisounours sauf que nous sommes entourés de requins, nous jouons le même jeu mais pas avec les mêmes règles “, poursuit-il.
Dans cet esprit, Arthur Portier invite à voir plus loin. Il rappelle, graphiques à l’appui, combien les stratégies des États sont établies sur le court terme, comme celle des agriculteurs eux-mêmes, dans lesquels il n’oublie pas de s’inscrire quand, suite au déclenchement de la guerre en Ukraine, le tournesol atteint des sommets à près de 1 000 € la tonne et comment tous s’y engouffrent (lui compris) pour finir par asphyxier une filière pas prête. ” Vous semez à 1 000 € la tonne et récoltez finalement à 600 € la tonne ce qui reste bien “, mais cette stratégie court-termiste est trop fragile. Comme celle de dépendre autant de la Chine pour les exportations en blé, pense-t-il. ” Aujourd’hui nous payons ces bonnes années d’export vers la Chine, qui se retrouve avec des stocks colossaux “, prévient l’expert. Une prise de position de Macron qui contrarie l’Algérie, un trio Trump-Poutine-Xi Jinping qui ” peut faire des étincelles “, les aléas climatiques… trop d’incertitudes pour foncer dans le mur. Et la nécessite de multiplier les stratégies.
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Justine Demade Pellorce