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À l’écran, Peter Parker vient d’être mordu par une araignée mutante. « Vraisemblablement, ça ne l’a pas aidé », commente Jérôme Nicolas, médiateur scientifique pour le laboratoire Généthon. Originaire du Nord, le “Jamy” de l’ADN se lance chaque année dans son « Mille chercheurs tour » et va d’école en école parler thérapie génétique.
Face à lui, ce jour-là, des élèves de 3e du collège Paul-Éluard de Cysoing (59) et leur professeur de sciences de la vie et de la terre, François Lange. « L’araignée a ajouté un gène », interprète une élève. « Spiderman viole un certain nombre de règles de physiques élémentaires », concède le médiateur, mais le fait est qu’Hollywood s’inspire d’une base de réalité.
Nous sommes à quelques jours du Téléthon et les élèves viennent d’être promus. Ils sont équipés d’une série de feuilles de couleur et, tel Spiderman, prêts à sauver le monde. « Vous êtes une équipe de chercheurs. Vous prenez le contrôle de cette séance », annonce le scientifique. À l’écran, les visages de Benoît et Nicolas, père et fils, apparaissent. Nicolas a perdu la marche et ce sont à nos 3e de faire un choix : vont-ils se renseigner sur les antécédents familiaux et brandir leur carton bleu ? Ou se rendre chez le médecin et lever leur carton rouge ?
« Comme dit l’oncle de Peter Parker, quand on a des grands pouvoirs, on a de grandes responsabilités, ne rassure pas vraiment Jérôme Nicolas. Il n’y a pas de bons ou de mauvais choix. Mais il faut en assumer les conséquences. » La couleur bleue est majoritaire, les élèves découvrent dans l’arbre généalogique de Nicolas un oncle décédé à l’âge de 15 ans suspecté d’être atteint de la myopathie de Duchenne et un cousin qui ne marche pas à l’âge de 2 ans. Notre équipe souhaite-t-elle se rendre chez le médecin ou chez un spécialiste ? Le médiateur ajoute une règle. « Vos choix ont des conséquences sur l’échelle du temps », cite-t-il en empilant un cube en bois, symbole de l’attente pour la consultation avec un spécialiste, le choix « bleu » retenu par les élèves.
La sentence tombe. Nicolas est atteint d’une maladie neuromusculaire héréditaire. Pendant que s’écoule le délai d’analyse de ses tissus musculaires – trois mois et un nouveau cube sur la pile – nos enquêteurs se renseignent. Des maladies neuromusculaires, il en existe entre 6 à 8 000, elles touchent 3 millions de personnes en France. Lorsque parviennent les résultats et la confirmation qu’il s’agit de la myopathie de Duchenne, Benoît raconte son incrédulité, « K.-O. debout sur le ring », et le combat au quotidien, qui se poursuit tout en tentant, autant que faire se peut, de « voir le soleil quand il fait beau ».
« Il n’y a pas de traitement curatif à ce jour, reprend Jérôme Nicolas. Mais comme vous êtes des battants, vous écoutez le médecin. » Aujourd’hui, en trois mois on identifie à quel endroit se situe le gène responsable de la maladie de Duchenne, explique-t-il aux 3e qui viennent d’opter pour ce choix en tendant le carton rouge vers le ciel. Le temps défile, les cubes s’empilent. Nos élèves choisissent de traiter les symptômes de Nicolas. Des séances de kinésithérapie le soulagent, des médicaments soignent son problème cardiaque, une chirurgie « boulonne » sa colonne vertébrale et favorise respiration et digestion. « Vous venez de doubler son espérance de vie », félicite le médiateur qui prévient qu’elle atteint désormais 35 ans. Silence dans la salle.
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De choix en choix, les élèves se lancent en quête d’un traitement et consultent le laboratoire de recherche de Stéphane. « Comme tous les chercheurs, il a plein d’idées », taquine l’animateur. « Grosso modo, il s’agit d’un ctrl F pour chercher la séquence dans l’ADN, ctrl X pour la couper puis suppr pour la supprimer », compare-t-il à l’aide d’arguments informatiques. « Sauf qu’après un an de recherche, la technologie de Stéphane est certes géniale mais pas assez mature. » « Il déconne Stéphane », réagissent les élèves.
Retour à la recherche de solution. « Un an plus tard, après des tests concluants sur une souris, vous fabriquez de la dystrophine (une protéine essentielle à la solidité et à la résistance des fibres musculaires, ndlr). Vous écrivez un article en anglais, vous êtes la première équipe à soigner des souris atteintes de myopathie de Duchenne. Vous êtes promu, une fondation vous envoie un gros chèque, vous êtes au sommet de votre gloire », déroule Jérôme Nicolas.
Grand pouvoir, grande responsabilité, rappelle-t-il, en écho aux recommandations de l’oncle du super-héros. Car on n’a jamais testé le produit chez un humain ni même sur de gros muscles. « On teste sur un bœuf ? », propose un élève. Ce sera un chien et les images à l’écran sont incroyables. À gauche, l’animal malade. À droite, le même à qui l’on a injecté le produit et qui franchit allègrement un obstacle. Les élèves sont sidérés et s’emballent.
Trois années sont nécessaires pour répondre aux questions de l’agence du médicament, apprend le médiateur en superposant de nouveaux cubes, car, rappelle-t-il, le produit n’a jamais été testé sur l’humain. La fabrication du produit prend une année supplémentaire puis un dossier de 1 500 pages est nécessaire pour autoriser son développement clinique. « On a donc fabriqué un médicament qui ressemble à un virus avec un “gène médicament”, on l’injecte chez une personne malade dans l’espoir qu’il pénètre dans le noyau et produise de la dystrophine », récapitule l’expert qui introduit un doute chez les élèves : comment réagira le système immunitaire ?
La course contre la montre se poursuit et l’équipe d’élèves saisit son carton jaune pour organiser un Téléthon. « Vous faites 3 millions de crêpes, vous mobilisez 5 millions de Français et vous récoltez 85 à 90 millions d’euros », caricature l’intervenant. De quoi financer un à deux essais cliniques par an. L’essai clinique démarre. Sans Nicolas, désormais trop âgé. Les élèves sont dépités mais découvrent le visage de Sacha. « En exclusivité mondiale, je vous présente celui qui faisait partie de l’essai clinique », reprend Jérôme Nicolas. La mère de l’enfant raconte le choc qui l’a anéantie dans ce cabinet médical à l’annonce de la maladie. Et cet « espoir énorme » de la thérapie génique. Une seule injection et son fils grimpait les escaliers un petit mois plus tard.
Sacha est parmi les témoins de cette édition 2024 du Téléthon. Quant à Nicolas, il a aujourd’hui 22 ans, est étudiant, et ne marche plus. « Il est lucide sur le fait que les traitements seront pour la génération après lui, témoigne Jérôme Nicolas. Lui gagnera du temps sur la maladie. »
« Combien de temps a-t-on pris pour notre mission ? », interroge justement un élève : 15 à 16 ans, répond le médiateur, posant délicatement le dernier cube en haut de la pile. Les élèves se lèvent, posent leurs feuilles de couleur sur les chaises et quittent la salle. Une autre équipe de chercheurs leur succède, prête à s’engager dans une nouvelle course contre la montre.
Louise Tesse