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Mieux se comprendre pour mieux se respecter : voilà l’un des objectifs de Christine Aubry, la directrice de la chaire d’agricultures urbaines d’AgroParisTech. « L’agriculture urbaine existe depuis que les villes sont villes », remonte celle qui distingue « les agricultures intra-urbaine et périurbaine, qui ont été très nourricières dans les grandes villes françaises jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ».
À Paris par exemple, elles ont pu fournir 95 % de la nourriture, jusqu’à ce que la modernisation de l’agriculture – et son changement d’échelle – et le développement des transports – et la concurrence induite des fruits et légumes du sud – ne réduisent cette proportion. « Les jardins familiaux, qui s’étaient développés à la fin du XIXe siècle en parallèle de l’industrie, ont connu une forte baisse pendant les Trente glorieuses, l’essor de la grande distribution et la perte d’intérêt pour les produits de la terre, qui s’inverse depuis quelques années », chronologise Christine Aubry. Crise de la vache folle et montée en puissance des prescriptions environnementales ont conduit à un redéveloppement continu et rapide de l’agriculture urbaine depuis le début du XXIe siècle, encore accentué avec le covid qui a exacerbé, non seulement, cette envie de retour à la terre, mais aussi ce besoin de partage. Et c’est bien tout l’ADN de l’agriculture urbaine : produire du lien et de la conscience autant que des fruits et des légumes. Pas suffisante pour nourrir son monde, elle est néanmoins nécessaire.
« Aujourd’hui, l’intérêt de ces pratiques est davantage qualitatif : même si on ne produit pas beaucoup, elles permettent une éducation à l’alimentation, au goût des légumes et des fruits. Certains enfants ont besoin de comprendre que les tomates ne poussent pas dans des cartons, et qu’elles ne poussent pas toute l’année », observe Christine Aubry qui parle « d’analphabétisme agricole total ».
Elle va jusqu’à penser que certains de ces gamins, éclairés, « reconnectés au cycle du vivant », pourraient participer à écrire l’avenir de l’agriculture française. Celle des campagnes cette fois, car rien n’oppose ces approches, finalement très complémentaires. « Mon petit rêve, c’est qu’on forme des urbains pour qu’ils retournent à l’agriculture. L’agriculture urbaine est aussi une solution pour les campagnes », formule celle qui pense que l’enjeu du renouvellement passera plutôt par la densification des exploitations comme des personnes formées, que par l’agrandissement perpétuel des fermes.
L’agriculture urbaine, parce qu’elle réduit voire abolit le transport, permet, par exemple, de cultiver des produits plus fragiles, délaissés au profit de variétés plus résistantes mais moins goûteuses (on pense aux tomates anciennes). Voir et comprendre, goûter mais aussi apprivoiser. « Une étude réalisée à Marseille dans les quartiers nord (plus défavorisés, ndlr) a démontré que les femmes qui fréquentaient les jardins partagés achetaient 2 % de légumes de plus que les autres, c’est très bien. Par contre, si on crée le besoin, il faut pouvoir combler ce besoin », prévient la directrice de l’établissement d’enseignement supérieur d’agriculture, qui parle de problème de santé publique avec l’augmentation de la malbouffe, et avec elle les taux d’obésité ou de diabète infantiles qui flambent. Le potentiel de développement de ces pratiques est très différent selon la taille de la ville mais aussi sa densité et Marseille, avec ses 200 hectares de terres agricoles intra-muros, fait office de modèle. C’est plus compliqué à Paris, où on produit surtout sur les toits et où on répondrait à moins de 10 % des besoins en investissant l’ensemble des toits plats.
Exit, par contre, le mirage des fermes verticales. « Il y a eu beaucoup de buzz à un moment donné sur ces modèles de production indoor, très chers à l’installation, très coûteux en énergie. Ce qui peut être pertinent dans certains secteurs, comme les plantes cosmétiques ou pharmaceutiques, l’est beaucoup moins pour la production classique, ce qui explique que ça ait capoté. On est plutôt dans le domaine de la chimie verte que de l’agriculture. Ces pratiques peuvent avoir leur utilité, dans des bases de vie ou des stations spatiales notamment. Le problème c’est qu’il y a eu énormément d’argent investi, ce qui a pu contrarier les agriculteurs », partage la directrice de la chaire.
Pour revenir à l’agriculture urbaine, on notera évidemment les bénéfices pour la biodiversité, y compris sur les toitures. Une vie arrachée au béton. « Les jardins associatifs sont les champions de la biodiversité urbaine », milite Christine Aubry. Bénéfices qui s’ajoutent à la lutte contre les îlots de chaleur (même si les arbres restent les plus efficaces dans ce domaine), à la rétention de l’eau (y compris avec seulement 30 cm de sol ou de pseudo-sol). Sans oublier la valorisation des biodéchets, qui boucle la boucle.
L’écosystème humain n’est pas en reste dans l’agriculture urbaine, qui draine de nombreuses fonctions sociales : autour d’un jardin ou d’animaux, on va pouvoir créer de l’animation, du lien entre les personnes. C’est un terreau d’insertion également, là où l’agriculture traditionnelle est parfois réticente à l’embauche de certains profils, un pont peut être établi par là. « L’agriculture urbaine n’est pas un truc de bobos », prévient Christine Aubry, qui évoque son fort développement dans les quartiers populaires, à l’image du programme “quartiers fertiles” qui implique 98 collectivités françaises.
C’est d’ailleurs à Madagascar qu’elle a découvert cette propension à cultiver un peu partout dans la ville. Après une première vie à étudier le fonctionnement des grandes cultures en Picardie, elle est rentrée en France avec cette petite révélation en tête, traduite par la création de la chaire de recherche-action (c’est important) à AgroParisTech. « S’il peut y avoir une hostilité des agriculteurs envers ces approches, urbaines, il faut qu’ils en mesurent la complémentarité. L’échelle est incomparable et, aujourd’hui, les projets sont peu coûteux et peuvent rapporter gros. »
Justine Demade Pellorce