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C’est très rare mais le titre de cet article, c’est l’interviewé qui l’a trouvé : « J’ai un titre pour votre article : sol couvert sol prospère, sol nu sol perdu. C’est bien non ? » Oui c’est bien, car cela résume la philosophie de David Ducellier, 55 ans.
Depuis presque 30 ans, il adapte ses pratiques avec un objectif : préserver ses sols et leur biodiversité.
Né à Abbeville (80), David Ducellier a grandi sur la ferme familiale à Beauvoir-Wavans. « Je n’ai jamais eu de doute sur le fait que je voulais faire ce métier. De toute façon dans la fratrie j’étais le seul qui voulait reprendre, ça tombait bien ! »
Pour cela, il effectue un BTS en gestion des techniques agricoles et en gestion des exploitations en Seine-Maritime. Là-bas, une première ligne de conduite, qui ne le quittera pas, émerge : « Notre professeure de gestion nous disait tout le temps “chaque exploitation est différente et a des contraintes. Ce qu’il faut, c’est les transformer en atouts”. Ça m’a marqué ! »
C’est aussi pendant sa formation qu’il entend pour la première fois parler du non-labour : « Ce sont des copains qui m’en ont parlé. Pour moi c’était vraiment novateur car à l’époque, un agriculteur sans charrue ce n’était pas vraiment un agriculteur, plaisante le quinquagénaire. Dans les enseignements, le labour était fortement recommandé et on ne nous enseignait pas d’autres méthodes. »
Puis en 1995, il rencontre Claude Bourguignon, agronome, via une société de promotion du non-labour, justement. « C’est la révélation, le déclic. Il m’a fait prendre conscience que lorsque l’on retourne son sol, on détruit toute la vie à l’intérieur. Avant cela, on m’avait appris que le sol était juste un support, on ne connaissait pas nos sols ! »
Il faudra cependant attendre trois ans avant qu’il ne vende sa charrue. « Quand j’ai repris la ferme de mes beaux-parents, je me suis dit que c’était le bon moment pour me lancer. La chance que j’ai eue, c’est que mon père était ouvert sur le sujet, il n’y a pas eu de conflit donc j’avais déjà un peu expérimenté. Mon beau-père a été plus dur à convaincre… Mais quand il a vu qu’au bout de trois ans une ravine qui était sur le terrain avait disparu, il a fini par me croire ! »
« On m’a un peu pris pour un fou… On me prend encore un peu pour un fou aujourd’hui ! » Pourtant, avec 200 hectares et 80 vaches laitières, David Ducellier l’affirme : « Je me dégage un revenu. J’enrichis plus le sol que moi-même ! Ce n’est pas tous les mois facile, mais oui ce système est économiquement viable. » Et ce parce que selon lui, « au-delà de la biodiversité préservée, on fait des économies en termes de machinisme mais aussi en engrais, insecticides, pesticides, etc. »
1995. Il rencontre Claude Bourguignon et prend conscience de l’enjeu de la préservation des sols.
1998. Il reprend la ferme de ses beaux-parents et décide de changer ses pratiques.
2002. Il signe un Contrat territorial d’exploitation qui lui permet d’acheter un séchoir à foin.
2024. Il construit un second séchoir et installe une chaudière biomasse.
Car le non-labour s’inscrit dans un tout : « Le principe est de tout laisser au sol et d’avoir des sols toujours couverts, ou en tout cas le plus possible. Pour semer, soit j’utilise une machine qui scalpe et sème en surface soit un semoir en semis direct. Pour ce qui est de l’utilisation de produits phytosanitaires, c’est le moins possible car il faut aussi préserver la biodiversité en surface. »
Pour en arriver là, « je me suis formé chez des confrères en agriculture biologique. Pour moi, on a tous à apprendre les uns des autres ». D’ailleurs le bio, « j’y pense souvent, mais ce qui me freine c’est l’élevage car je n’ai pas assez de prairies permanentes… »
Aujourd’hui, l’activité de la ferme se décompose comme suit : 40 ha de blé, 20 ha d’escourgeons, 10 à 15 ha de colza associé (avec du trèfle blanc ou violet), 30 ha de maïs ensilage, 30 ha de luzerne et trèfle et enfin des prairies permanentes.
« Au départ, ces prairies je les ai vues comme des contraintes et puis je me suis rappelé ma prof de gestion, sourit David Ducellier. J’ai alors décidé de valoriser l’herbe en faisant du foin. » D’où la luzerne et le trèfle. « Pour cela, j’ai bénéficié d’une subvention dans le cadre d’un CTE (contrat territorial d’exploitation, ndlr) en 2002. La contrepartie était de mettre en place des couverts et de transformer des terres labourables en prairies temporaires. »
David Ducellier a eu le nez creux car, grâce à ce séchoir et son expertise acquise au fil des années, il produit un foin de qualité qu’il revend en partie : « C’est un complément de revenu et ça m’a permis aussi depuis deux ans de faire du lait à l’herbe sans OGM. Je n’achète plus de soja, que je remplace par du colza. J’ai aussi depuis deux ans le label Au cœur des sols. » Il fait également partie du programme Procross (croisement Holstein, montbéliarde et rouge, lire notre édition du 18 août 2023) depuis cinq ans.
À 55 ans, David Ducellier commence à penser à la suite. « Le conjoint d’une de mes filles est intéressé et travaille déjà sur la ferme. C’est un peu un soulagement. » Car tout ça, il l’a fait pour l’avenir : « Je ne veux pas qu’elles me disent un jour “tu as gagné de l’argent mais tu nous as laissé des cailloux !” Je veux leur laisser une ferme viable, avec des sols en bonne santé ! »
C’est pourquoi il continue d’investir et de se former : « En 2024 j’ai investi dans un second séchoir et une chaudière biomasse qui fonctionne à partir de copeaux de bois que j’obtiens avec mes haies (car oui, il plante des haies aussi, ndlr). Il faut toujours évoluer et revoir sa copie. Je vais à des conférences régulièrement aussi. Face à la nature on reste humble. »
Eglantine Puel