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Cet été, Terres et Territoires vous emmène à la découverte des milieux naturels du Nord-Pas de Calais avec le Conservatoire botanique national de Bailleul. Aujourd’hui, direction les terrils qui accueillent des espèces « exotiques » qui y ont trouvé un peu de chez elles.
De 1757, avec la création de la Compagnie des mines d’Anzin, au 21 décembre 1990, avec la remontée de la dernière « gaillette » depuis la fosse n° 9 – 9 bis à Oignies, le Nord-Pas de Calais a extrait du charbon. En 233 ans, les mineurs ont sorti trois milliards de tonnes de pierre, dont 2,3 milliards de tonnes de charbon. Sont restées 700 millions de tonnes de schiste et de grès : les terrils.
On en compte officiellement 200 dans le bassin minier du Nord-Pas de Calais. « On entend souvent des chiffres plus importants, autour de 300, mais en réalité il y en a qui ont été regroupés quand d’autres ont disparus, avance Vianney Fouquet, chargé de mission au Conservatoire botanique national (CBN) de Bailleul. Le bassin minier du Nord-Pas de Calais s’étend sur 120 km de long et au maximum 12 km de large. Mais si on prend l’ensemble de la chaîne minière, qui va jusqu’en Allemagne, alors on dénombre plus de 1 000 terrils. »
Vestiges historiques incontestables, les terrils – et c’est moins connu – sont aussi « un patrimoine naturel unique. On a déposé sur une plaine fraîche et limoneuse, des tas de cailloux acides qui s’assèchent et se réchauffent vite. Les terrils sont un arche de Noé pour les espèces qui apprécient ces conditions. »
Mais que l’on trouve habituellement dans les milieux type « dunes » (lire notre édition du 26 juillet) ou « montagne ». « Par exemple, on y trouve un crapaud, le pélodyte ponctué, qui est habituellement plutôt une espèce méditerranéenne. On observe aussi du pavot cornu, une sorte de coquelicot jaune typique des dunes. Parallèlement, il y a aussi sur les terrils de la patience à feuilles rondes, une plante qu’on trouve dans les Alpes… » Grâce à la présence de coronille bigarée, on peut voir des zygènes (papillons). Les criquets œdipodes turquoise, habituellement de couleur sable et vivant dans les dunes, sont ici plutôt gris schiste, tout comme les grenouilles rousses, qui se sont mises aux couleurs locales.
Plus exotiques encore, à la faveur des graines apportées tantôt par les locaux tantôt par les touristes (sans qu’ils ne s’en rendent compte la plupart du temps), les terrils accueillent du séneçon du Cap (originaire d’Afrique du Sud), de la vergerette de Sumatra (qui vient étonamment d’Amérique du sud) ou des arbres à papillons (Asie). Les terrils hébergent aussi toutes sortes de plantes qui vivent habituellement dans les milieux type « friche », qui ont une bonne capacité à s’adapter à leur environnement, comme la vipérine.
Bref, « les terrils sont des éloges au cosmopolitisme », philosophe Vianney Fouquet.
Un cosmopolitisme qu’il convient de préserver. Charlotte Debrabant, chargée de mission pour Eden 62, s’occupe ainsi, avec des agents de l’association, de l’entretien du secteur du Béthunois dans lequel se trouvent notamment les terrils du Pays à part, sur la commune d’Haillicourt.
« Le plus gros de l’entretien se fait à la main. Pour cela, nous avons un partenariat avec l’établissement pénitentiaire de Béthune. On aurait pu avoir recours à de l’écopâturage mais cela voulait dire mettre des clôtures, etc. L’enjeu principal ici ce sont les pelouses sur schiste qui accueillent des espèces rares et menacées », explique-t-elle.
Et de poursuivre : « Le plus compliqué, c’est la gestion des conflits d’usage. Les terrils du Pays à part, par exemple, sont ouverts aux visiteurs et aux vélos. Donc il y a parfois conflit entre eux. Mais surtout, il y a conflit avec la préservation de la biodiversité du site. »
Durant notre visite, plusieurs fois, la chargée de mission a dû intervenir : des adolescents qui capturent un lézard, qui s’approchent des mares dans lesquelles se trouvent des têtards de crapauds calamite, un homme qui court derrière les cordons de sécurité pourtant présents…
« On fait régulièrement des campagnes de sensibilisation mais il y a encore du travail. Nous avons un médiateur qui fait des événements et des animations pour discuter avec les populations locales car parfois, elles ne comprennent pas bien qu’on interdise l’accès à certains sites. Elles nous répondent de temps en temps que les terrils, c’est le résultat du travail de leurs grands-pères… »
En 2012, le bassin minier est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Le 28 décembre 2016, l’État décide le classement de 78 terrils formant « la chaîne des terrils du Bassin minier du nord de la France » comme patrimoine national. Une double reconnaissance avec ses avantages et inconvénients pour les terrils.
Le principal avantage : ces classements actent que les terrils doivent être préservés, aussi bien pour l’histoire que pour la biodiversité. De fait, « cela a permis de mettre en place des documents de gestion afin de les garder dans l’état dans lequel ils étaient au moment du classement. C’est une bonne chose car depuis plusieurs années, il y a eu des idées qui ont pris forme sur les terrils… », décrit Charlotte Debrabant, évoquant sans les nommer le terril viticole d’Haillicourt ou la piste de ski du terril de Nœux-les-Mines.
Mais qui dit classement dit généralement attrait renforcé et le fait est que le nombre de touristes et / ou visiteurs locaux a augmenté en quelques années. « Aux terrils du Pays à part, on accueille environ 90 000 visiteurs par an. Cela a surtout augmenté depuis l’installation d’un nouvel escalier en 2019. » « La majorité vient pour faire du sport, profiter de la vue… » Et il faut dire que la vue est époustouflante du haut du terril aménagé du site du Pays à part. Perché à 178 mètres de haut, le visiteur peut observer les fameux terrils jumeaux, le terril viticole d’Haillicourt et au loin, les monts des Flandre, « comme si deux cordillères se répondaient : celle des monts de Flandres et celle des terrils », sourit Vianney Fouquet.
Dans les années 1990, certains terrils se sont vus retirer leurs pointes par crainte d’un effondrement. Une crainte légitime car selon les informations de Vianney Fouquet, il y aurait l’équivalent de 600 000 piscines olympiques vides (soit 2 km3) sous le bassin minier. « Quand l’activité minière a cessé, une partie des 100 000 kilomètres de galeries a été re-remplie naturellement par les nappes grâce à l’arrêt des pompages. Mais d’autres ont été rebouchées par l’Homme, et d’autres tout simplement pas. »
Eglantine Puel