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Les Alchimistes Hauts-de-France collectent les déchets alimentaires et les transforment en compost via, notamment, son site de compostage micro-industriel de Santes, dans la métropole lilloise.
Lundi 2 octobre 2023, ils sont cinq salariés à s’affairer sur site, au port de Santes. L’odeur de compost et de déchets, si elle est présente, est largement supportable sur ce site de compostage micro-industriel, dont l’objectif est de faire passer cette jeune entreprise à la vitesse supérieure.
Les Alchimistes, version Hauts-de-France, sont nés en 2020. À l’époque, Foucauld Watine et Lucas Gauthier créent leur société et se rattachent au réseau national. Un premier site voit le jour, quartier Saint-Sauveur à Lille. L’idée est simple : fournir un service de collecte de déchets alimentaires, les transformer en compost, puis commercialiser celui-ci. Avec une ambition environnementale revendiquée : celle de redonner au sol ce qu’il nous donne.
« Nos premiers clients ont été les restaurateurs dans l’hyper centre-ville de Lille », éclaire Benjamin Leclercq, directeur d’exploitation. L’entreprise collecte alors les biodéchets à vélo avant de les valoriser en compost directement sur le site, avec une capacité de 100 tonnes de collecte par an.
Sur le site de Santes, ouvert en 2022, cette capacité est de 2 000 tonnes par an, compare Benjamin Leclercq. Ce site micro-industriel était une nécessité pour voir l’entreprise grandir et ses capacités de collecte et de compostage s’étoffer.
Il permet aussi aux Alchimistes de proposer ses services à de multiples organismes, collectivités comme entreprises : restaurateurs, hôteliers, Ehpad, cantines scolaires… Même si Benjamin Lerclercq le rappelle : « L’objectif est de collecter et de composter. Mais de le faire avec un minimum de distance entre le point de collecte et le point de compostage. » Proche de Lille et d’une partie du bassin minier, mais à l’écart de la densité urbaine, le port de Santes coche ces cases.
Le procédé est plutôt simple. Si la collecte se fait toujours à vélo pour le site de Saint-Sauveur, elle se fait via des véhicules utilitaires pour le site de Santes. Les collecteurs effectuent généralement deux tournées par jour, entre 7 h et 15 h. Ils embarquent avec eux des bacs de compost vides et propres. Une fois chez le client, ils récupèrent les bacs remplis de biodéchets et les échangent avec des bacs propres.
« Tout est codé et tracé, explique Benjamin Leclercq. Chacun d’entre eux va collecter entre 5 et 6 tonnes de biodéchets par jour. » Une fois la tournée terminée, les collecteurs rejoignent le site de compostage de Santes. Là, les bacs sont d’abord pesés, car le poids entre en compte dans la facturation. Ensuite, ils sont vidés puis transportés vers une station de lavage où ils sont nettoyés et désinfectés. Les déchets, eux, sont triés à la main par un salarié.
Car si le client est censé avoir déjà trié (à la différence du compost domestique, poissons et viandes sont autorisés, par exemple), il se peut qu’il y ait des erreurs et qu’au milieu des déchets alimentaires se cachent bouts de plastique, couverts ou gants usagés. « On fait un sur-tri et on note la qualité du tri », continue Benjamin Leclercq. 1 étoile, 2 étoiles, 3 étoiles… Le but est d’aider le client et d’assurer un suivi, affirme-t-il. Mais c’est également un gage de qualité avec, si besoin, des pénalités financières car « un bon tri va garantir une bonne matière à composter ».
Selon le directeur d’exploitation, 90 % des bacs sont pour autant bien triés. L’opération dure seulement quelques minutes, puis « le flux propre est broyé, pressé et mélangé avec un structurant, qui sont des palettes broyées et non traitées, décrit le directeur d’exploitation. Les déchets alimentaires apportent de l’azote, le bois des palettes apporte du carbone qui va favoriser le compostage. »
Cette nouvelle mixture va alors suivre tout un chemin avant de devenir compost. Remplissage, fermentation, aération… Il y a plusieurs étapes à respecter scrupuleusement. « Notre compost est normé NFU 44-051, pour répondre aux exploitations en agriculture biologique. […] Sanitairement, on a des choses à respecter. » Chaque lot passe par la case hygiénisation. Le thermomètre doit afficher 70 degrés pendant 6 jours consécutifs. « Sans ça, il n’y a pas de commercialisation. »
Mais les pertes sont rares et entre le moment de la collecte et le moment où le compost est normé et prêt à être commercialisé, il se passe trois mois minimum. Un délai pour avoir un compost commercialisable selon Benjamin Leclercq, mais qu’il est possible de rallonger de quelques mois pour une qualité supérieure. À l’arrivée, le compost des Alchimistes est ainsi meilleur qu’un compost de déchets verts, mais un peu plus coûteux, affirme-t-il.
Les 150 tonnes de compost produites chaque année sont à destination, principalement, de maraîchers en agriculture biologique, de projets d’agriculture urbaine ou de particuliers. « On n’a pas la capacité pour les grosses exploitations », indique Benjamin Leclercq. La vente se fait sur place, dans des magasins comme les chaînes Biocoop ou le supermarché coopératif Superquinquin à Lille Fives.
Mais comme tout va très vite chez les Alchimistes, l’entreprise commence à vendre son compost dans la grande distribution depuis peu et les projets sont multiples. Portés par la vague de la loi Agec qui arrive et le développement du secteur, Les Alchimistes grandissent vite. Ils comptent aujourd’hui une vingtaine de salariés, recrutés pour certains via des parcours de réinsertion professionnelle. Ils proposent de la formation et accompagnent les professionnels et collectivités dans la collecte et la valorisation de leurs déchets alimentaires.
Ils viennent aussi d’ouvrir une plateforme de collecte à Roubaix et ils sont maintenant présents dans le bassin minier, de Bruay-la-Buissière jusqu’à Haveluy. « Mais le but à terme est que les camions roulent le moins possible », réagit Benjamin Leclercq, conscient que l’entreprise se doit aussi de respecter ses valeurs environnementales. Un projet de troisième site de compostage, entre Douai et Valenciennes, est ainsi dans les clous. « Il y a tout à faire, il y a un vrai avenir sur la valorisation des biodéchets », sourit-il.
Avec la loi Agec, l’environnement du compostage en plein bouleversement
Le compostage obligatoire pour tous au 1er janvier 2024 ? Pas tout à fait. Il faut en tout cas nuancer, insiste Thomas Devys, maître composteur au Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) Flandre Maritime. Car l’obligation n’est pas pour les particuliers, mais pour les collectivités territoriales, qui vont devoir fournir à tous les citoyens une solution de tri à la source des biodéchets. Cet objectif est inscrit dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, plus communément appelée loi Agec.
Les professionnels sont déjà soumis à une obligation de tri à la source de leurs biodéchets. Depuis le 1er janvier 2023, ceux qui produisent au moins 5 tonnes de biodéchets par an sont dans l’obligation de les trier et les valoriser. Mais d’ici quelques mois, tous les professionnels, peu importe la masse de déchets alimentaires produits, devront mettre en place le tri à la source. Ils ne devront plus mélanger leurs déchets alimentaires avec le tout-venant.
Pour les particuliers, c’est différent. Plusieurs solutions peuvent être envisagées comme des sites de compostage partagé à l’échelle de quartiers, ou encore un ramassage porte à porte, chaque collectivité s’organisant à sa manière. L’échéance se rapprochant, collectivités et professionnels s’y attellent, mais selon plusieurs parties prenantes locales, beaucoup auront du retard. Ce constat est d’ailleurs partagé par trois ONG environnementales qui appellent les collectivités à accélérer le mouvement dans un communiqué commun. Tout l’environnement autour du compostage est ainsi en effervescence, à l’image de la professionnalisation du secteur ou de marchés nouveaux qui s’ouvrent. Les Alchimistes Hauts-de-France l’ont bien anticipé et ils sont pour l’instant parmi les seuls acteurs de ce marché, à cette échelle en tout cas.Essai transformé à Haveluy, près de Denain et Valenciennes
Pour les élus et techniciens d’Haveluy, commune d’un peu plus de 3 300 habitants près de Valenciennes (59), la question de l’application de la loi Agec s’est posée au printemps dernier. Comment y répondre pour le restaurant scolaire qui a servi en moyenne 220 repas par jour lors de l’année scolaire 2022-2023 ? Le choix s’est porté sur le service proposé par Les Alchimistes avec un premier test avant les vacances scolaires, renouvelé depuis la rentrée. « Le mardi soir, nos agents mettent nos deux bacs (de 120 litres, ndlr) dehors, décrit Mathias Sabos, adjoint au directeur général des services. Puis le ramassage se fait le mercredi matin et on récupère deux autres bacs propres. La rotation s’effectue bien. »
Globalement, le premier bilan est positif. « C’est super intéressant. On sait où terminent les déchets alimentaires, ça ne peut être que bénéfique, confirme Driss Lebadder, adjoint à l’environnement, au cadre de vie et à la sécurité. On a aussi motivé les enfants à bien sélectionner les déchets. On les habitue à réaliser les bons gestes. » Car la commune du Valenciennois ne se limite pas à ce ramassage. Le tri des déchets alimentaires est un fil rouge depuis quelques années selon Mathias Sabos. Une campagne d’affichage a été mise en place avec des smileys pour permettre aux enfants de jauger leur faim et limiter le gaspillage. La cantine a aussi été réaménagée pour faciliter le tri des enfants.
La commune a beaucoup communiqué et a formé élèves et personnel. Les Alchimistes y ont participé aussi. Un gros point positif pour Mathias Sabos : « On est bien accompagnés. Le premier jour, deux animatrices sont venues montrer et expliquer aux enfants ce qu’est le compost. » Quelques jours avant, c’étaient les agents qui avaient été formés aux bons gestes à adopter, à la différence entre compostage individuel et industriel. « Pour réaliser le tri ensuite, c’est plus rassurant », explique Mathias Sabos. Avec un coût d’environ 1 500 euros hors taxe par an pour la commune, le service a un prix, « mais honnêtement, ça reste raisonnable » affirme-t-il.Kévin Saroul