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“L’Authie est historiquement une frontière “, débute Laurent Chochois, directeur du Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) du Val d’Authie. Une frontière pour son bonheur et surtout son malheur. Car à partir de la Guerre de Cent Ans, le fleuve côtier devient un lieu d’affrontement et un enjeu stratégique. Les XVIe et XVIIe siècles en marquent peut-être l’apogée avec la Guerre de Trente Ans entre les rois de France d’un côté, et les Habsbourg de l’autre.
Les deux rives de l’Authie voient fleurir les forteresses comme celle de Doullens, alors considérée comme l’une des plus grandes du royaume. “Tout cela dure jusqu’en 1659, quand l’Artois est rattaché à la France par le traité des Pyrénées”, continue Laurent Chochois. Devenue française, l’Authie n’en reste pas moins, pour autant, une frontière : elle devient la délimitation entre la Somme et le Pas-de-Calais.
L’Authie n’a jamais été un grand fleuve de navigation. Ce sont d’abord les routes qui le longent qui ont participé au développement de son bassin-versant. Aujourd’hui, d’ailleurs, il est facile de suivre son cours et de passer de village en village, d’Authie proche de sa source, à Nampont, pas loin de son embouchure. L’agriculture y est encore et toujours omniprésente. “C’est une activité agricole un peu basique, observe Céline Fontaine, du CPIE du Val d’Authie. De l’élevage en fond de vallée. Des grandes cultures quand on remonte sur le plateau.” Les surfaces agricoles recouvrent 75 % du bassin-versant selon ses estimations. La zone est peu densément peuplée, et se balader le long de l’Authie revient à une alternance entre petits villages et champs cultivés. Pendant longtemps, de nombreuses activités ont pour autant fleuri au long de son cours. “Moulin à huile, moulin à papier, moulin à textile, moulin à farine… Il y avait un moulin tous les deux kilomètres et demi”, affirme Pascal Sailliot, le président de la Fédération de pêche du Pas-de-Calais. Aujourd’hui, un seul subsiste et a même été rénové récemment pour produire à nouveau de la farine, celui de Maintenay, près de l’abbaye de Valloires.
Pour faire fonctionner ces moulins, “on a beaucoup changé l’écoulement de l’Authie”, ajoute Pascal Sailliot. Tout comme on a pu le modifier pour les activités agricoles qui, elles aussi, ont fortement marqué la vallée. “Tout au long de l’Authie, on trouve des châteaux comme celui de Remaisnil ou de Dompierre-sur-Authie. Mais aussi de belles bâtisses et fermes, ce qui symbolise la richesse de ce territoire et notamment des exploitants agricoles.”
Grand amoureux des territoires d’eau, Pascal Sailliot s’est naturellement attaché à l’Authie et sa vallée. “C’est un milieu rural préservé avec un cours d’eau en fonctionnement correct et dont la qualité biologique est assez satisfaisante”, affirme-t-il. L’Authie a, selon lui, une première particularité : la hauteur de ses rives et de ses berges, “qui conserve une température d’eau fraîche”. Ce qui permet au fleuve d’accueillir des espèces variées : truites de mer, saumons, anguilles, lamproies… “Certaines espèces sont spécifiques à l’Authie. On n’en trouve quasiment pas dans les autres fleuves côtiers régionaux, sauf la Canche”, souligne Pascal Sailliot, qui se montre néanmoins inquiet du faible nombre de poissons migrateurs qui ont remonté le fleuve cette année.
La fédération de pêche a, en effet, installé au niveau de la passe-à-poissons de Dominois-Douriez un système de comptage de poissons : au 1er août, seules 228 truites de mer avaient remonté l’Authie, un seul saumon atlantique et une lamproie marine… “On est assez interrogatif sur ces chiffres, commente Pascal Sailliot. C’est une très mauvaise année.”
« Moulin à huile, moulin à papier, moulin à textile, moulin à farine… Il y avait un moulin tous
PASCAL SAILLIOT, DE LA FÉDÉRATION DE PÊCHE DU PAS-DE-CALAIS
les deux kilomètres et demi. »
Un comptage effectivement inquiétant quand on le met en perspective avec une anecdote historique racontée par les trois interlocuteurs : dans les cahiers de doléances des États Généraux de 1789, des travailleurs se plaignaient, par exemple, de manger uniquement du saumon sur leur lieu de travail…
Le président de la fédération de pêche, également membre du Schéma d’aménagement durable et de gestion de l’eau (SAGE) de l’Authie, se veut toutefois rassurant sur la qualité de l’eau et du fleuve en lui-même. “C’est un territoire de résilience dit-il. On a tendance à vouloir se protéger de l’érosion, mais un cours d’eau, c’est un milieu vivant. […] L’Authie a tendance à se boucher (comme la Canche, lire aussi notre édition du 11 août), mais c’est un phénomène naturel et cela crée aussi de belles nurseries pour les poissons du milieu marin et les espèces qui viennent de l’extérieur.” Une problématique revient cependant, “l’érosion des bassins-versants et des zones de plateau” due aux pratiques agricoles ou à la diminution des prairies. “Mais il y a une prise de conscience”, estime le président de la Fédération de pêche qui note “des initiatives locales”, tout en rappelant la nécessité d’avoir une meilleure structuration des sols. Pour le bien de l’Authie.
Le Traité des Pyrénées est signé le 7 novembre. L’Authie cesse son rôle de frontière entre puissances française et espagnole.
L’assemblée constituante crée les départements. L’Authie devient alors la délimitation entre le Pas-de-Calais et la Somme.
Kévin Saroul