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Il est 8 h 30, ce matin de juin. Le soleil tape déjà fort, comme rarement lors de cet été 2024 qui, jusqu’ici, ne nous a pas gâtés en températures estivales. Nous rejoignons Vianney Fouquet au Conservatoire botanique national de Bailleul. Nous suivons le guide nature à travers les petites routes des Flandres jusqu’à Berthen.
Moteurs arrêtés, portes fermées, nous sommes à l’entrée de ce petit village au pied des Monts des Flandres. Vianney Fouquet nous emmène ici à la découverte d’un bocage insoupçonné, car beaucoup moins connus que ceux de l’Avesnois ou du Boulonnais. Mais, avant de démarrer la visite, petit rappel pour celles et ceux qui sont friands de définitions : « Le bocage, c’est relativement simple. Ce sont des prairies qui sont cernées par des haies. Dans ces prairies, on a des mares, c’est le troisième élément. Parfois, cerise sur le gâteau, nous y rencontrons un petit verger. »
Les petites mares servent ou servaient d’abreuvoir naturel pour le bétail et étaient réinvesties par la faune, ajoute le guide nature, véritable amoureux de ce type de paysage. « Ce qui est sympa ici, c’est qu’on a du relief qui vient mettre en lumière tout ça. Le bocage, c’est un paysage très doux, et avec un petit peu de relief, ça vient sublimer le tableau. »
Ce tableau a un charme tout particulier. Les amateurs de nature ne s’y trompent pas et viennent, les week-ends printaniers et estivaux, profiter des Flandres, de ses monts et de leurs alentours. Les lieux sont d’ailleurs l’objet de multiples manifestations sportives tout au long de l’année. De l’ultra trail du Mont des Flandres en avril à la cyclotouriste la Route des Monts à la rentrée, les amoureux de sport nature pratiquent les lieux et connaissent bien les villages comme Berthen. « Le bocage, c’est la campagne fantasmée, explique Vianney Fouquet. C’est là qu’on a envie de vivre je crois. Il y a un petit côté ancestral. Ça sent les vacances. »
Nous suivons donc notre guide en empruntant un petit chemin. À notre gauche, une haie et derrière, une prairie et des chevaux. « C’est assez représentatif de ce qu’on attend du bocage », éclaire le guide nature qui s’attarde sur la haie et sa composition : l’aubépine, « espèce typique des haies flamandes, la ronce, dont les fleurs nourrissent les insectes et les fruits les enfants (les mûres !, ndlr) », sourit le guide. Sureau, prunellier, un peu d’érable champêtre… La liste de la biodiversité qui compose la haie, et notamment la partie basse, son ourlet – « qu’on mésestime et qu’on a tendance à oublier alors qu’il est une composante essentielle de la haie ! » -. est longue. « Ça attire aussi des oiseaux, des insectes, des mammifères comme les campagnols, les mulots, et idéalement le muscardin. » Ce dernier est une espèce inféodée au bocage : « Il adore installer son nid dans les ronciers ! » Est-il présent dans le bocage des Flandres ? « J’ai envie de dire que oui », répond le guide nature. Mais pour le vérifier, il faudrait revenir de nuit, car le muscardin, surnommé « le rat d’or », est un animal nocturne. Une prochaine fois peut-être ?
En attendant, nous grimpons le long de ce petit chemin tout en continuant la découverte de ce milieu naturel : « Les haies, il y en a quelques petits exemplaires à droite et à gauche, mais on est loin de ce qu’on attend d’une belle haie avec un manteau arbustif étoffé, avec des grands arbres, avec de petites plantes herbacées au pied de la haie. » Plus globalement, si le guide nature a choisi de nous faire découvrir le bocage de ce petit coin du piémont des Monts des Flandres, c’est aussi pour montrer comment il est détricoté petit à petit depuis l’après-guerre.
« Ça devrait être beaucoup plus dense en haies. […] On parle même de semi-bocage. Les prairies, elles, ont perdu les espèces végétales qui font leur richesse. » Il nous suffit, en effet, de faire quelques mètres pour évaluer la situation. Lorsque nous rejoignons la petite route qui mène au Mont Kokereel et ses quelques maisons et fermes, nous avons à droite un champ d’orge. Plus loin, on aperçoit une mare devenue étang de pêche, un camping, mais aussi des houblonnières et des champs de pommes de terre. Un paysage qui a un charme certain. Mais où, malgré des prairies, arbres et forêts qui subsistent, le bocage perd sa place. « Petit à petit, ce territoire est grignoté. Le remembrement agricole est toujours en place aujourd’hui. Il s’accélère même », insiste Vianney Fouquet.
« Depuis 1950, la région Hauts-de-France est celle qui a perdu le plus de surface de prairies », continue le guide. Malgré tout, le bocage survit mieux dans certains coins de la région : « À la première place, on a l’Avesnois – Thiérache, la médaille d’or du bocage. Puis le Boulonnais et le pays de Bray, qui se prolonge en Normandie. » Mais là-bas aussi, le bocage subit la pression des hommes et des cultures comme nous l’écrivions dans notre enquête au printemps (lire aussi notre édition du 26 mars).
Or, il ne faut pas oublier que le bocage a justement été créé par l’homme, ajoute Vianney Fouquet, alors que nous entamons la dernière partie de notre petite marche à travers les Flandres et son bocage. « Tout ça, c’est une création humaine. C’est l’un des meilleurs compromis entre la nature et les activités agricoles. Quand il est bien fait. Quand les praires ne sont pas traitées avec des produits anti-dicotylédones (anti-fleurs), quand elles ne sont pas engraissées à outrance avec du lisier. »
Le guide nature ne tarit pas d’éloge sur cet espace naturel : « Le bocage, c’est un terroir. C’est un art de vivre. C’est l’homme qui investit sa campagne en valorisant les herbages. » Bref, c’est l’homme qui fait le bocage, mais c’est aussi le bocage qui fait l’homme. Il y a un certain attachement à leur bocage de la part des habitants des territoires bocagers : « C’est un sujet de fierté, même si on a tendance à être pris dans la machine, la mondialisation, et on est de moins en moins sensible à la nature. »
Dans le bocage, il y a une histoire et celle-ci est à préserver estime Vianney Fouquet, qui évoque notamment les haies : « La priorité, c’est préserver ce qui existe ! »
Sur la route du Mont Kokereel, notre guide nous arrête au niveau d’une petite forêt où, de là, nous profiterons de la fraîcheur des hêtres et nous avons vue, au loin, sur le Mont des Cats et son célèbre monastère. « Dans le bocage, de temps en temps, on a des petits boisements car le bocage est issu du déboisement. Même si on ne peut pas parler de forêt de par la taille. »
Sur le chemin du retour, le bois se rappelle à nous : alors que nous marchons entre houblons et champs, nous tombons sur un arbre têtard en bord de route. C’est l’arbre typique du bocage, « pour les paysans, l’invention du bois éternel », illustre Vianney Fouquet. Ces arbres sont connus pour leur trogne, « d’où l’expression avoir une bonne trogne ». Ils sont étêtés, c’est-à-dire tailler de telle façon à ce qu’une multitude de rameaux sortent du tronc principal. Selon les espèces et les croissances, il faut ainsi une taille tous les trois à dix ans.
Le charme, le saule ou le frêne : chaque bocage a son espèce d’arbre. Ces derniers ont pendant longtemps servi à produire du bois de chauffage aux paysans, à faire des tuteurs au potager, de la vannerie dans l’Avesnois – Thiérache… En termes de biodiversité, c’est en plus un bonheur absolu selon Vianney Fouquet : dans le tronc qui finit par se creuser, les chauves-souris vont trouver refuge, la chevêche d’Athéna va se reproduire.
11 h 30, il est temps pour nous de rentrer à la rédaction. Le guide nature conclut alors ce petit bout de chemin dans le bocage des Flandres : « L’arbre têtard, c’est vraiment un symbole du lien paysan-nature. C’est un arbre qui fait du liant. C’est le propre du bocage : ce lien homme-nature, homme-paysan. »
Lire aussi : Série de l’été : Le plateau des landes du Pas-de-Calais (1/9)
Kévin Saroul Avec Lise Cappelaere