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Histoire : De 1960 à nos jours : les moissons, toute une histoire

21-08-2023

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Hors-champ

Alors que les moissons 2023 ne se sont terminées qu’autour du 15 août 2023, les “anciens” se souviennent des moissons de leur jeunesse dans le Nord-Pas de Calais. Ils nous racontent les moissons de 1960 à nos jours : une époque, une ambiance et des techniques.

De droite à gauche, Philippe d’Hulst, Benoît Deman, Benoît Decaestecker et Jean-Marc Antoine. © E. P.

Si les moissons 2023 ont été marquées par leur longueur, ne se terminant qu’au 15 août 2023 dans le Nord-Pas de Calais, pour les plus âgés d’entre nous, on se rapproche finalement d’une moisson d’il y a quelques années. Un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, à la fois ancien mais pas si vieux que ça : les années 1960. Jean-Marc Antoine, Benoît Decaestecker, Philippe d’Hulst, Benoît Deman et Jean-Marie Carlu nous racontent l’évolution fulgurante des machines de moisson, de 1960 à nos jours.

À droite, dans sa petite « voiture », Benoît Deman. À sa gauche, son père, devant une moissonneuse-batteuse, en 1947 ! « Mon père avait un associé qui avait des relations avec le monde industriel, ce qui fait qu’il avait accès à des machines comme cette moissonneuse-batteuse. Il avait aussi une presse à balles rondes. Ma mère le poussait beaucoup, sans elle, je crois qu’il n’aurait pas autant investi, heureusement qu’elle était là. » © BENOÎT DEMAN

De lieuse à batteuse

Première grande différence : la moissonneuse-batteuse n’existe pas, ou du moins elle est loin d’être répandue. “Mon père en a une dès 1947, mais ce n’était pas commun”, raconte Benoît Deman 76 ans, ancien agriculteur. “C’est sûr ! Nous autres, nous étions à la moissonneuse-lieuse”, se souviennent ses camarades.

Un homme coupant le blé à la main. Avant de faire rentrer la moissonneuse dans la parcelle, il était de rigueur d’avoir dégagé les coins. © D. R.

On le comprend dans le nom de ces machines : la moissonneuse-batteuse moissonne et bat le blé tandis que la moissonneuse-lieuse moissonne et lie. “En fait, ça formait des bottes, des gerbes qu’on devait ensuite relever pour les assembler par six, huit ou dix pour former ce qu’on appelait les “cahots”. C’est un mot de chez nous ça, je ne suis pas bien sûr de l’orthographe !”, sourit Jean-Marie Carlu, 72 ans, ancien agriculteur.

« La photo de la moisson de 1960. C’est moi qui suis au volant, j’avais 9 ans. L’ouvrier se trouve assis sur la faucheuse et mon père est devant pour la photo. Une chose qui n’a pas changé depuis cette époque, c’est que c’est encore la météo qui commande, cette année nous l’a prouvé ! », © JEAN-MARIE CARLU

Ces monticules de blés étaient ensuite laissés à l’air libre, en champ, pour terminer leur séchage, en attendant la batteuse : “Un coup de soleil et de vent et ça pouvait aller vite, mais parfois il pleuvait. Dans ces cas-là, il fallait parfois aller ouvrir les monts pour permettre au blé de sécher et surtout, empêcher qu’il ne germe à nouveau”, explique Philippe d’Hulst, 74 ans, fils d’agriculteur. “Avant, les moissonneuses-lieuses étaient tirées par des chevaux, puis elles ont été tractées par des tracteurs. Je me souviens que je conduisais le tracteur dès mes 10 ans !, ajoute Jean-Marie Carlu.

Finalement, on moissonnait environ 10 à15 jours avant le stade auquel on moissonne aujourd’hui”, décrit-il. “Au total, ça prenait entre trois et cinq semaines, sans parler du battage !”, ajoute Benoît Decaestecker, 77 ans et fils d’agriculteur. Il fallait ensuite rentrer le blé dans les granges en attendant l’arrivée de la batteuse, au cours de l’hiver. “On n’était pas stressé comme aujourd’hui, on attendait que la batteuse passe, patiemment”, raconte Jean-Marc Antoine, 75 ans et ancien agriculteur. Illustration de cette affirmation : “Par exemple, mon père ayant une moissonneuse-batteuse, il allait faire la moisson chez les voisins. Ces derniers l’appelaient en juin pour lui demander de passer “quand il pouvait”. Rendez-vous compte, ils lui disaient “vous passez quand vous pouvez” ! Tandis qu’aujourd’hui, on appelle un ETA et on lui demande de passer dans l’heure !”, rapporte Benoît Deman.

Ici une ancienne batteuse en fonctionnement.

Beaucoup de bras

Les moissons prenaient donc plus de temps mais aussi et surtout, nécessitaient beaucoup de main-d’œuvre. “On était minimum cinq dans les champs pour faire les cahots”, compte Philippe d’Hulst. Ensuite, pour battre, “il fallait dix bonshommes !”, ajoute Benoît Decaestecker. “Une fois battu, le blé était mis dans des sacs de 80 kg que les hommes devaient porter jusque dans le grenier… Physiquement, les moissons, ça n’avait rien à voir avec aujourd’hui”, complète Jean-Marc Antoine.

De fait, l’esprit d’équipe régnait dans les champs. “L’ambiance était conviviale. On bossait mais on rigolait beaucoup aussi”, se souviennent-ils. “Pendant les moissons, il y avait deux possibilités : soit on s’amusait, soit on travaillait avec les autres gamins du village et on allait donner un coup de main. Parfois même, les agriculteurs nous donnaient une petite pièce”, rigole Jean-Marie Carlu. “Il y avait des galères mais il y avait aussi un vrai esprit de solidarité”, renchérit Jean-Marc Antoine. “Par chez moi (vers Bondues, ndlr), il y avait aussi beaucoup d’usines. Eh bien les gens venaient travailler après leur travail dans les champs !”, se remémore Benoît Deman.

Lorsqu’on avait rentré la dernière botte, on faisait le “persoye”, c’est-à-dire le repas de fin de moisson avec tous ceux qui avaient participé, pour les remercier”, se rappelle Jean-Marie Carlu. “Ça mettait une ambiance particulière, ça faisait partie de la vie rurale. On passait de bons moments.” Une pratique qui se fait encore, mais de manière plus éparse.

La technologie : pour le meilleur et pour le pire

Puis les moissonneuses-batteuses se démocratisent dans les exploitations et font gagner “du temps et du souci”. Les premières mesurent entre 1,50 et 2,50 mètres de larges. “Là, on avait plus qu’à se rouler une cigarette et attendre que ça se passe ! Quelle révolution”, plaisante Benoît Decaestecker.

Mais toute avancée technologique a son lot de désagréments. “On n’était pas toujours conscient de la puissance de ces nouvelles machines”, concède Jean-Marc Antoine. “Il pouvait y avoir des accidents, faute de précautions mais aussi, il faut se le dire, faute de sécurité. Les moiss’-batt’ n’avaient pas de cabine !”, rappelle Benoît Deman.

C’était bien, on avait le soleil sur la tête, le moteur de la moiss’-batt devant et la poussière”, raconte ironiquement Philippe d’Hulst.

Au début, les moissonneuses-batteuses étaient équipées d’un tapis qui faisait remonter le blé sur le “toit” de la machine. Des ouvriers y remplissaient des sacs, qu’ils laissaient ensuite au champ. On remorquant par la suite ces sacs en dehors du terrain avec une “benne” tirée par un cheval. “Il a fallu du temps avant d’en arriver aux machines d’aujourd’hui”.

« Mon père, sur la moissonneuse-batteuse, en 1994. » © P. B.

Pierrick Boulan, conseiller à la chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais, nous raconte ses souvenirs : « Sur cette photo, il s’agit de la dernière moisson réalisée par mon papa, Pierre Boulan, en août 1994 à Thélus. Nous étions équipés d’une petite moissonneuse-batteuse de la marque allemande Koela.
Les journées étaient longues : la barre de coupe avait une largeur de 2,10 m et l’avancement était limité car la moissonneuse était équipée d’une presse et réalisait les bottes de paille. Nous faisions ainsi, dans
le meilleur des cas, un peu plus d’1,5 hectare en une journée… La moisson durait ainsi une quinzaine de jours. Je garde le souvenir de journées laborieuses, écrasées par la chaleur de l’été et aussi du moteur, qui était proche du poste de conduite ! Nous revenions bien poussiéreux à la fin de la journée… La moisson
se faisait en famille (battage et transport du grain). Des moments précieux qu’il fait bon de se remémorer dans notre époque ou tout doit aller très vite ! »

Pour en apprendre plus, allez écouter Jean-Marc Antoine, Benoît Decaestecker, Philippe d’Hulst et Benoît Deman sur Spotify ou Soundcloud (liens ci dessous).

Eglantine Puel

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