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La nature a évidemment sa place en ville, mais force est de constater qu’elle peine à s’imposer. Pour illustrer ces propos, direction la ville d’Arras, « mais tout ce qu’on pourra y observer se vérifie dans la plupart des autres villes », insiste Vianney Fouquet, chargé de mission au Conservatoire botanique national (CBN) de Bailleul.
Au milieu des maisons classées aux monuments historiques de la Grand-Place d’Arras, on remarque, notamment, des arbustes et quelques fleurs plantés dans des pots plus ou moins grands. « À la recherche d’une certaine esthétique, nous en sommes réduits à mettre des plantes dans des bacs pour mettre de la nature ville. C’est un trompe-l’œil. D’un point de vue écologique, c’est un non-sens », regrette Vianney Fouquet. Une tendance que l’on observe pourtant dans la grande majorité des communes.
Dans ces pots, on retrouve notamment du houx, « une hérésie » pour le chargé de mission du CBN : « Le houx possède un système racinaire plus volumineux que ce que ce pot lui offre, détaille-t-il avant de s’interroger. Et cette plante implique un arrosage régulier, cela est-il pertinent dans le contexte climatique que l’on connaît ? »
Vianney Fouquet est tout aussi sceptique lorsqu’il croise des géraniums en pot : « Ce sont des plantes horticoles dont l’unique objectif est de décorer. On peut trouver cela beau – et c’est discutable -, mais encore une fois d’un point de vue écologique, on s’approche du néant », souligne le guide nature avant d’expliquer : « Ces fleurs, tout comme les parcelles fleuries que l’on peut voir sur beaucoup de ronds-points ou à l’entrée des communes, ont été sélectionnées et modifiées dans le but d’être “jolies”. Certes, c’est un feu d’artifice de couleurs. Mais j’y vois un manque de subtilité, une forme de vulgarité qui n’offre, par ailleurs, que peu de nectar et de pollen aux insectes. Et s’il n’y a pas d’insectes, il n’y aura pas d’oiseaux et s’il n’y a pas d’oiseaux, il n’y a pas de magie… Sans compter que cela participe à l’aseptisation de nos paysages, puisque les mêmes mélanges de graines sont vendus aux quatre coins de la France. C’est dommage de voir la même chose partout. »
Mais le passionné de nature retrouve le sourire lorsqu’il voit qu’entre les pavés de la Grand-Place arrageoise, on a laissé l’herbe pousser. Car pour le chargé de mission, la solution est simple : il faut laisser la nature faire. « Le laisser-aller a toute sa place en ville, et c’est simple puisque cela demande de ne rien faire ! Mais on ne tolère pas la vie libre et spontanée. En un mot : le sauvage. »
Et de prendre l’exemple du pissenlit : « Cette plante s’installe un peu partout, mais les gens ne l’aiment pas, ils lui font la guerre, pourtant sa fleur est l’une des plus riches en nectar et pollen. » Pour Vianney Fouquet, c’est une question « d’éducation du regard » : « La beauté, ce n’est pas forcément des couleurs vivaces. Elle se cache dans le temps que l’on consacre à poser son regard. L’œil est un muscle qui se travaille, c’est le message que nous essayons de faire passer au Conservatoire. »
À quelques centaines de mètres de la Grand-Place d’Arras, au détour d’une petite ruelle, la nature semble s’être davantage imposée, les façades sont recouvertes en partie de houblon, des plantes sauvages ornent les contours des marches des portes d’entrée… Bref ce qu’on appelle communément les « mauvaises herbes » ont été laissées libres de pousser. Un choix manifestement assumé par les riverains puisque l’un d’eux a même affiché une petite pancarte sur sa maison où l’on peut lire « Laissez-moi pousser ». Un adepte du « laisser-aller » mis en avant par Vianney Fouquet.
Pour le chargé de mission, la nature a évidemment toute sa place sur Terre sans pour autant vouloir lui trouver un intérêt pour l’Homme. Cependant, présenter les avantages que peut nous apporter la nature en ville peut (peut-être) encourager certains à changer leur vision. Car les bénéfices sont nombreux. Végétaliser une façade, par exemple, permet d’isoler une maison : « En faisant pousser du lierre sur un mur, on gagne 4 °C en hiver et on perd entre 10 et 15 °C en été par rapport à un mur exposé en plein soleil. C’est intéressant par rapport au contexte climatique », précise le guide nature.
Les arbres en ville permettent également de créer des îlots de fraîcheur, les parcs, eux, participent à tisser du lien social, « les gens s’y retrouvent, y font leur sport, promènent leurs chiens, y discutent… » Une nécessité pour Vianney Fouquet qui estime que « la transition écologique ne peut pas se faire sans l’inclusion de la question sociale. On ne peut pas réserver la nature à quelques passionnés. La transition écologique doit embarquer tout le monde, si elle ne le fait pas, elle se suicide ! » Ce dernier salue aussi les initiatives telles que les fermes urbaines qui fleurissent dans certaines communes à l’image de la ferme du Trichon à Roubaix, « c’est un moyen de faire revenir de la nature en ville ».
Une nature qui participe également à la préservation de la biodiversité. Une urgence selon Vianney Fouquet : « En 30 ans, 80 % des insectes ont disparu d’Europe. Avant même de parler de l’extinction d’une espèce, soyons conscients que nous perdons de plus en plus de vivants… », alarme-t-il.
À qui incombe cette responsabilité ? « À l’Homme, affirme le chargé de mission. En quelques dizaines d’années, nous avons été capables de faire disparaître une quantité phénoménale de vivants, nous sommes redoutablement efficaces dans notre entreprise de destruction massive. D’ailleurs, parler de disparition est trompeur. Il s’agit d’une extermination car nous savons précisément ce que nous faisons. Cela fait plus de 50 ans que les scientifiques alertent sur cet effondrement, chiffres à l’appui, et personne ne réagit vraiment… »
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Grande-Synthe a été la première ville à décrocher le titre de « capitale française de la biodiversité » en 2010. Depuis, elle poursuit les efforts pour offrir une place de choix à la nature en ville.
En 2010, la ville de Grande-Synthe, près de Dunkerque (59), avait été élue « capitale française de la biodiversité ». La première édition de ce concours était organisée par l’Agence régionale pour la nature et la biodiversité en Île-de-France (Natureparif) et 80 villes françaises s’étaient alors portées candidates.
« C’était une volonté politique de l’équipe municipale qui avait compris que Grande-Synthe était porteuse de plusieurs urgences et devait affronter plusieurs crises (industrielle, sociale ou encore climatique…). Au vu de ces multiples crises, il fallait réagir en repensant, notamment, un cadre de vie qui serait durable et tiendrait compte de l’habitant et de l’environnement dans lequel il s’inscrit, explique Karima Touil, adjointe déléguée à la Transition écologique et sociale. La décision politique a donc été de verdir la ville, de la rendre nourricière et d’amener le plus possible de nature en ville. »
Ainsi pour la commune du Dunkerquois la transition devait être écosystémique, « c’est-à-dire que nous voulions des politiques cohérentes et adaptées aux spécificités de notre territoire qui intègrent la transition agricole mais aussi les questions d’alimentation, d’énergie, de climat, d’eau, de mobilité… Et la question de la diversité biologique est évidemment un élément majeur dans l’équilibre naturel. C’est une vue d’ensemble qui a présidé aux différentes actions mises en place. La nature a intégré la ville qui est un lieu de vie pour les Hommes et les autres êtres vivants. »
À la mairie de Grande-Synthe, un service est d’ailleurs spécifiquement dédié à la préservation de la biodiversité, indique l’adjointe au maire. Un prix qui a été loin d’être une fin pour la commune, « c’est plutôt un engagement de poursuivre nos actions en ce sens », insiste Karima Touil.
De nombreux projets ont donc été menés dans cet esprit depuis 2010. « J’évoquerai en premier lieu la gestion différenciée des espaces verts, l’interdiction des pesticides sur tout le territoire, la lutte contre les perturbateurs endocriniens par la multiplication d’ateliers de fabrication de produits ménagers et d’hygiène 100 % naturels et biologiques, la plantation de haies autour des jardins partagés et de tous les espaces nourriciers et agricoles de la ville, la cantine scolaire 100 % bio et la promotion d’une agriculture biologique grâce à l’installation de maraîchers et de fermes multi-services… », énumère l’élue.
D’ailleurs, depuis 2010, la ville n’a jamais relâché ses efforts dans le domaine et en a été récompensée à de multiples occasions. Grande-Synthe a ainsi obtenu le prix de l’écopâturage en 2013, celui”100 % bio, 0 phyto” en 2015 ou encore, plus récemment, le prix national”Territoires en transitions” l’an passé.
Le cabinet Asterès a mené une étude à la demande de l’Union nationale des entreprises du paysage, sur les services sanitaires et environnementaux rendus par les espaces verts (ces derniers englobant « toutes les surfaces et éléments naturels en milieu urbain, publics et privés »). Les résultats ont été publiés en avril dernier.
D’après le cabinet, sur l’année 2023, les espaces verts urbains auraient permis de sauver pas moins de 22 000 vies et d’éviter 275 000 pathologies (sans oublier les 20 millions de tonnes de CO2 stockées ou encore le 1,4 °C de température gagné en été). Asterès estime que « les espaces verts ont un impact significatif sur la santé et l’environnement, notamment sur la prévalence du diabète chez les personnes âgées, la santé mentale, la mortalité, la température locale, et un impact non négligeable sur d’autres pathologies chroniques et les puits de carbone ».
Cependant la France pourrait faire encore mieux. En effet, avec 34 % de taux de couverture des espaces verts en ville, l’Hexagone est loin d’être un exemple en Europe où la moyenne s’élève à 44 %. En comparaison, dans le haut de classement, on retrouve la Finlande, la Croatie ou encore l’Espagne qui atteignent des taux supérieurs à 60 %.
Hélène Graffeuille