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Malgré le mauvais temps de ces derniers jours, Fabien Dubiez a le teint hâlé de ceux qui travaillent en extérieur. Il reçoit chez ses parents, à Ouve-Wirquin, dans le Pas-de-Calais.
Casquette vissée sur la tête, le pantalon sali de terre, il est 19 heures passées lorsqu’il rentre à peine du travail. Sa mère s’enquiert : « Tu ne vas pas te changer pour la photo ? » Il refuse en riant : « Il faut bien montrer qu’on bosse dur ! » Fabien Dubiez est saisonnier et la moindre des choses que l’on puisse lui accorder, c’est qu’en effet, il bosse dur.
Intérimaire pour l’agence Terre-intérim, spécialisée dans les métiers de la terre à Douai, Fabien Dubiez travaille depuis un mois et demi pour une entreprise de travaux agricoles et publics. Il tourne sur plusieurs exploitations près de chez ses parents, en tant que chauffeur d’engins agricoles.
“Parmi les perles rares : des candidats avec de l’expérience, une connaissance du milieu agricole, un profond respect pour le travail et les machines, ainsi que de la polyvalence.”
SANDRINE BATAILLE, CHARGÉE DE RECRUTEMENT CHEZ TERRE-INTÉRIM
Il est un habitué des saisons puisqu’il travaille depuis ses 14 ans – aujourd’hui, Fabien Dubiez en a 23, il est né un 9 septembre 1999, c’est assez remarquable pour être mentionné. « On commence toujours par regarder la météo », raconte-t-il.
En période de moisson, lorsque le temps s’annonce correct, il se rend chez ses différents patrons et y prélève un échantillon de blé, afin de le faire analyser à la coopérative. « Ça ne dure que quelques minutes », précise le jeune homme. Si le poids spécifique et le taux d’humidité conviennent aux agriculteurs, Fabien Dubiez commence à moissonner. Débute ainsi le cœur de son travail : des heures et des heures passées sur la moiss’-bat’. Le plus tard qu’il a fini ? « Midi », dit-il. Devant notre incompréhension, il précise en riant : « Midi, en ayant commencé la veille. » L’agence l’avait précisé sur la fiche de poste : un contrat de saisonnier, c’est un contrat « jour/nuit ». « Il faut être courageux, c’est un milieu très dur où on ne compte pas ses heures », confirme Sandrine Bataille, chargée de recrutement pour Terre-intérim.
Le principal inconvénient du travail ? Il faut toujours être disponible. Fabien Dubiez ne sait jamais quand il va commencer ni quand il va finir. « S’il y a du brouillard le matin, il faudra attendre l’après-midi et poursuivre le soir, en espérant qu’il n’y ait pas de rosée », précise le saisonnier. Il y a toujours ce risque, aussi, qu’une pluie soudaine stoppe les travaux. Et que le retour du soleil les fasse aussitôt reprendre : « Je réponds toujours présent, même durant les jours où je suis en off », commente le jeune homme. Il bénéficie, par son entreprise, d’un panier-repas et d’un véhicule de fonction.
Si lui n’a pas d’impératifs familiaux, pour les collègues qui ont femme et enfants, « c’est plus compliqué », admet-il. Avec son tempérament passionné, son CV long comme le bras et ses compétences en mécanique agricole, Fabien Dubiez a tout de la « perle rare », d’après Sandrine Bataille : « Il fait partie des profils les plus recherchés. Des chauffeurs qui connaissent le métier, la moissonneuse-batteuse ne pouvant pas être conduite par n’importe qui, des candidats avec de l’expérience, une bonne connaissance du milieu agricole, un profond respect pour le travail et les machines, ainsi que de la polyvalence. Pouvoir faire l’entretien des machines lorsqu’il pleut est un énorme plus », liste la recruteuse.
Le saisonnier doit également être autonome et savoir s’adapter à chaque exploitation et chaque exploitant. « On doit apprendre vite. On nous montre les techniques une fois, pas trois, insiste Fabien Dubiez. Chaque réglage est différent selon les endroits, la hauteur de coupe varie par exemple, il faut aussi se renseigner sur les besoins de chaque patron : plutôt paillage ou broyage ? » déroule le jeune homme. Il faut être, en somme, un véritable couteau suisse, touche-à-tout, avec de bonnes capacités sociales. Car la moisson, c’est aussi un travail collectif, dont on fête la fin autour d’un barbecue et d’un apéro.
« Il ne faut pas faire ça que pour le salaire, sinon, ça ne dure pas, c’est un métier trop difficile. »
FABIEN DUBIEZ, SAISONNIER
Un lien ténu se tisse avec les patrons, qui répètent leur reconnaissance pour cette aide cruciale. « La pénurie de main-d’œuvre est réelle, regrette Sandrine Bataille. Les patrons peuvent se tourner vers plusieurs structures sur le marché. Les agences d’intérim, mais aussi les groupements d’employeurs et les services de remplacements. »
Fabien Dubiez, lui, est toujours en contact avec ses anciens patrons. « Quand vous revenez d’une année sur l’autre, à la fin, vous faites partie des meubles de la ferme », rit le jeune homme. Il a pu faire, grâce aux saisons, de belles économies : 2 000 à 2 500 euros durant ses meilleures années. « Mais il ne faut pas faire ça que pour le salaire, insiste-t-il. Sinon, ça ne dure pas, c’est un métier trop difficile. »
Après tout, changer une roue de tracteur par jour est infiniment plus physique que de changer une roue de voiture, conclut celui qui a eu affaire à « panne sur panne » depuis un mois.
L’agence Terre-intérim souhaite désormais le faire recruter par un exploitant, à la recherche d’un salarié. Ce qui plairait bien à Fabien Dubiez, bien que son rêve, à terme, soit d’avoir sa propre exploitation. Mais dans l’Oise ou le Sud, précise-t-il, en regardant par la fenêtre, l’interminable drache de cet été.
Marion Lecas