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Dans les catalogues, les noms de variétés de pommes de terre font parfois sourire. Touche d’humour,
de glamour ou facilité de prononciation : quelles règles président au choix des dénominations ?
Nous avons suivi la piste de la variété nommée Beyoncé…
Ce n’est pas tous les jours qu’on croise une étoile mondiale du RnB au détour d’une parcelle de patates. C’était pourtant bien elle qui attendait les visiteurs dans un champ au salon Qualipom, en juin 2019 à Aubers (59). Sous la pancarte portant son nom ainsi que celui de son producteur, Desmazières, Beyoncé déployait ses jolies fleurs blanches et ses fanes verdoyantes sous les spotlights du soleil du Nord, fière de son statut de star de l’industrie — non pas de la musique —, mais de celle de… la chips.
« L’imaginaire domine »
Nommer une variété de pomme de terre d’après une star internationale : l’idée fait d’abord sourire. Puis des questions viennent. Quid de l’image de la diva ? Faut-il montrer patte blanche pour utiliser son nom ?
« Le choix des noms de variétés est fait par l’obtenteur, explique Édouard Vermersch, responsable développement variétal chez Desmazières. Dans notre société de production de plants, qui représente un ensemble d’obtenteurs comme Agrico NöS et Europlant, il n’y a pas de règle précise. L’imaginaire domine. Un nom commercial peut être inspiré par la taille, la couleur, la forme de la pomme de terre, son marché potentiel, ses qualités agronomiques ou une histoire propre, liée à la variété. »
C’est en l’occurrence chez Agrico, aux Pays-Bas, que la Beyoncé est née. « Nous choisissons les noms de nos variétés en interne, en équipe de quatre personnes, relate Marien Winters, l’un de ceux qui trouvent les noms des trois à quatre nouvelles variétés qui étoffent chaque année le catalogue d’Agrico. Concernant la Beyoncé, nous avons choisi ce nom il y a environ trois ans, si ma mémoire est bonne. Elle était alors très populaire, et ça sonnait bien. »
Casse-tête variétal
Une fois arrêté par l’obtenteur, le nom de la nouvelle variété est inscrit sur la liste de l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV) d’Angers (CPVO en anglais), qui octroie les titres de protection de toutes les nouvelles variétés de fruit, fleurs ou légumes en Europe.
« Il existe plusieurs critères à respecter pour valider la dénomination d’une nouvelle variété, explique Blandine Legrand, experte en « dénos » au sein de l’organisation. D’abord, le nom ne doit pas trop ressembler à un nom préexistant. Pour cela, nous l’entrons dans le « Variety finder » (le moteur de recherche interne de l’OCVV, ndlr) pour voir s’il existe des dénominations identiques. Il doit au moins avoir deux lettres de différence avec elles. » Un principe de base qui peut être contourné, au cas par cas.
Autre critère : le nom choisi ne doit pas être purement descriptif. « Le mot “rouge”, par exemple, ne permettrait pas d’identifier une pomme de terre en particulier, souligne-t-elle. Elle ne doit pas non plus copier le schéma de dénomination d’autres obtenteurs, comme Maïsadour dont toutes les variétés commencent par l’acronyme « Mas », ni être source de confusion sur le lien biologique entre deux variétés. » Joli casse-tête…
Hommage végétal
Après l’inscription du nom via email ou par courrier auprès de l’OCVV, débute un délai de trois mois, pendant lequel l’organisme vérifie la validité du nom en question, et où d’éventuelles objections peuvent être émises, par exemple par une artiste qui refuserait que son image soit associée un légume. « Si on se rend compte qu’une marque existe déjà sous le nom choisi par l’obtenteur, nous lui signalons, précise l’experte en dénominations. À lui de décider de le garder ou non, sachant qu’à tout moment, le détenteur de la marque préexistante peut se retourner contre lui… Ou, à l’inverse, proposer un accord. »
Ne serait-ce pas un peu le cas de Beyoncé, dont le nom est une marque déposée Outre-Atlantique depuis avril 2012, selon le Bureau américain des brevets et marques ? « En effet. Cela s’appelle un droit antérieur opposable à une dénomination », reconnaît Blandine Legrand. « Théoriquement, une marque peut contester le choix d’un nom de variété n’importe quand. C’est juste plus facile pour l’obtenteur qu’une objection se manifeste pendant la phase des trois mois de validation, car la variété n’a pas encore été commercialisée sous ce nom. »
Une éventualité qui fait sourire l’obtenteur de la Beyoncé : « C’est un risque quand on choisit un nom de célébrité pour une variété, s’amuse Marien Winters, mais jusqu’à présent ça ne nous est jamais arrivé. »
Gerbera, laitues et tulipes… nommées Beyoncé
Heureusement pour les obtenteurs donc, les armées d’avocats qui entourent la reine du hip-hop mondial ne doivent pas lire les catalogues de variétés agricoles. Car il suffit de faire une recherche dans la base de données de l’OCVV pour constater que Beyoncé est un nom courant en botanique, et que la reine de la pop partage son nom avec des gerberas, des laitues, des tulipes…
Dans un monde international comme celui de la patate, le choix d’un nom de variété obéit à des impératifs plus vastes que les simples goûts personnels des obtenteurs fanas de pop culture : « Nous exportons dans 80 pays, rappelle Marien Winters. Les noms de nos pommes de terre doivent pouvoir être prononcés aussi facilement en Europe qu’en Chine ou en Arabie Saoudite… Si vous nommez votre variété d’après une célébrité, vous êtes sûrs qu’il n’y aura pas de problème pour prononcer son nom ! »
Lucie De Gusseme