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06-03-2025

Audrey Coudevylle : « Le carnaval n’est pas misogyne »

Audrey Coudevylle est maîtresse (ou maître, peu lui importe) de conférence à l’université de Valenciennes (UPHF), spécialisée dans la voix des femmes dans la chanson et la littérature. Native de Dunkerque, elle porte un regard sur cette tradition pleine de tendresse, dit-elle, et retrace l’évolution de la place des femmes dans la chanson.

Audrey Coudevylle est maîtresse (ou maître, peu lui importe) de conférence, spécialisée dans la voix des femmes dans la chanson et la littérature. © Audrey Coudevylle

Vous êtes née et avez grandi à Dunkerque jusqu’à vos 18 ans. Que pensez-vous de la place qu’occupent les femmes dans le carnaval ?

On taxe souvent le carnaval d’être misogyne mais pas du tout à mon sens : les hommes en prennent aussi plein le visage. Le carnaval est un lieu de mélange, il n’y a plus de critères sociaux ou de genre. On y retrouve bien-sûr de la grivoiserie mais toujours avec une forme de tendresse. Si l’on prend l’exemple de la chanson « Toutes les femmes y putent, et les hommes y sentent bon », elle offre aussi l’occasion aux bandes de femmes de  répondre « Tous les hommes y putent… » : il y a un dialogue. C’est du divertissement et ça doit le rester. Et puis il ne faut pas oublier les origines du carnaval : les hommes qui partaient de longs mois pêcher en Islande et qui se déguisaient en femmes parce que c’est elles qui allaient leur manquer le plus. Et s’ils optaient plutôt pour des personnages de prostituées ou de vieilles sorcières, c’est parce que c’est plus marrant, et que c’est plus facile de se moquer des gens à la marge quand on est soi-même à la marge.

Et sur les paroles des chants de carnaval en particulier ?

La plupart sont des reprises de chansons du début du vingtième siècle dont les paroles ont été adaptées (ex : Ah si vous voulez de l’amour est l’adaptation d’une chanson de 1907 de la vedette d’alors Félix Mayol). Or la chanson de cette époque est évidemment misogyne, c’est la norme alors. De cet héritage, on retrouve forcément des traits grossis à l’excès. Une démesure (et un côté surréaliste qu’apporte la culture belge, ndlr) qui permet la catharsis aussi, la libération. 

Plus largement, les chansons ont-elles toujours traduit la place de la femme dans la société ?

Oui, et en particulier à partir de la chanson réaliste sur laquelle je me suis spécialisée. C’est la période de l’entre-deux-guerres ; c’est Fréhel, Berthe Sylva, ou les débuts d’Edith Piaf. Des chansons écrites par des hommes (comme toujours et pendant longtemps) mais chantées par des femmes qui sont l’objet de ces chansons. On y parle, de manière clichée et stéréotypée, de la souffrance des femmes, souvent des prostituées. C’est la première fois que l’on entend la voix  de ces femmes misérables et ce même si les mots sont ceux d’hommes. Réécoutez la chanson Mon homme, de Mistinguett (« I’m’fout des coups ! I’m’prend mes sous ! Je suis à bout mais malgré tout que voulez-vous… Je l’ai tell’ment dans la peau, J’en d’viens marteau (…) Je l’aime. C’est idiot! ») et notez combien ces paroles de 1920 sont encore d’actualité. Cela pose aussi la question de la responsabilité de la littérature et des arts du 19e siècle qui ont légitimé les violences faites aux femmes en les légitimant au nom de la passion amoureuse, on a romantisé le crime passionnel par exemple.

Et la chanson a avancé avec la société ?

Les années 50 voient arriver les chansons dites Rive gauche : Juliette Greco et son Déshabillez-moi, qui joue les femmes fatales sans être dupe et qui conclut sur un « déshabillez-vous ». Puis l’explosion dans les années 60 : Marie Laforêt avec ses Vendanges de l’amour aussi sucrées que niaises qui revient un an plus tard avec une reprise du thème du Paint it black des Rolling Stones sur lequel elle chante Marie douceur Marie colère (« Marie douceur est avec toi bien trop gentille ; Si tu persistes à regarder les autres filles ; Marie colère ne sera plus du tout d’accord ; Et sautera sur toi toutes griffes dehors. ») Sans oublier la reprise en français du tube féministe de la non moins icône des mouvements féministes outre-Atlantique Nancy Sinatra : This boots are made for walkin (entendez pour prendre le large, ndlr). Les chansons accompagnent les évolutions comme dans les grandes périodes de manifestations, je pense notamment à mai 68 ou à l’hymne du MLF écrit en 1971.

A-t-elle aussi précédé, voire impulsé, les évolutions sociétales ?

Oui comme la chanson de Marie-Josée Neuville en 1956, Le monsieur du métro, qui parlait de harcèlement sexuel bien avant l’heure et qui avait été interdite. Même thème avec Garance et son Jour de poisse (2019) qui devançait encore la libération de la parole permise par les mouvements BalanceTonPorc et MeeToo. 

Donner de la voix : toujours aussi nécessaire pour les femmes ?

Souvenons-nous du Manifeste des 343 appelant à la légalisation de l’avortement en France, rédigé par Simone de Beauvoir et publié dans les colonnes du Nouvel Observateur en 1971, et qui affirmait qu’il suffirait d’une révolution, qu’il suffirait d’un homme pour que les droits des femmes soient remis en cause. Regardons les Etats-Unis aujourd’hui et n’ayons aucun doute sur le fait que nous ne sommes à l’abri de rien. On a le droit (et peut-être le devoir ? ndlr) de l’ouvrir, de revendiquer. Nous avons en France une tradition de la galanterie, du gentilhomme et nous pouvons assumer cette tradition en appréciant de se faire ouvrir une porte tout en se revendiquant féministe. Ce n’est pas un gros mot et il ne faut pas en avoir marre de lutter, mais il faut sortir des clichés. L’heure est aux femmes. Ça fait 2 000 ans que c’est le tour des mecs, les femmes peuvent prendre leur part sans que ça n’efface les hommes du tableau. Ils ont aussi un rôle à jouer dans l’évolution de la société, qu’ils ne s’inquiètent pas. 

Justine Demade Pellorce

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Hauts-de-France Valenciennes

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