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Entretien avec les autrices de la bande dessinée « Il est où le patron », sortie au printemps, et membres du collectif des Paysannes en polaire.
C’est l’histoire de trois femmes, paysannes, voisines de marché, qui se rencontrent, s’entraident et se lient d’amitié. Il y a Jo, qui débarque seule pour reprendre la ferme et le troupeau de chèvres du vieux Georges. Ça n’est pas facile tous les jours pour elle, même si elle n’a pas froid aux yeux : il paraît que c’est une féministe…
Coline, elle, n’a pas trop le temps de se poser des questions, elle est bien prise par la fromagerie, son rôle au syndicat et ses deux enfants. Avec son mari, Pierre, elle a l’impression que tout se passe bien, même si certaines situations lui pèsent. Anouk, elle, est apicultrice. Elle a quitté la ville il y a quelques années et cherche toujours sa place dans un monde où la virilité semble érigée en valeur absolue. Ensemble, les trois paysannes se donnent progressivement la force de faire entendre une autre voix que celle du patriarcat.
Nous souhaitions faire une BD féministe qui rende compte de la réalité de nos vies de femmes paysannes. C’est avec cette envie que nous avons rencontré Maud Bénézit, dessinatrice de BD, ayant elle-même suivi une formation agricole. Nous, paysannes, bergère, éleveuses, apicultrice ou maraîchère, aimons passionnément nos métiers, mais, comme dans le reste de la société, nous vivons jour après jour des situations qui nous dérangent, nous mettent mal à l’aise voire nous font violence, car cela nous renvoie sans cesse à notre statut de femme et non d’individu autonome.
Chacune des situations décrites dans cette BD a été vécue par nous ou notre entourage. L’énorme et riche matériau rassemblé met en évidence un constat édifiant : ce qui pourrait n’être qu’un empilement d’anecdotes, parfois drôles, parfois tragiques, est en fait le reflet d’un système qui opprime (entre autres) les femmes.
Notre but n’est pas de dire que le monde paysan serait plus archaïque ou plus macho qu’un autre, mais bien mettre en lumière les mécanismes du patriarcat sous toutes ses formes, des plus insidieuses aux plus visibles. En effet, être une femme n’est jamais neutre en agriculture. Selon les cas, on peut être idéalisée, glorifiée, portée au rang de superwoman : on admire alors cette femme qui fait un métier d’homme. D’autres fois, on aimerait nous cantonner à la place d’à côté, à celle qui accueille, qui diversifie, qui assiste, qui fait la paperasse.
Et si on ne rentre pas gentiment dans la case attendue, on s’expose à diverses formes d’agressivité. Comme les commentaires déplacés d’un marchand de tracteur, des situations de violences conjugales, des préjugés sur les femmes « aimables et si fragiles », la difficulté de se faire entendre lors d’une réunion… Bref, en 2020, en agriculture comme ailleurs, le patriarcat se porte toujours bien.
Cette BD a été l’occasion, pour nous, de réfléchir ensemble à de potentielles voies d’émancipation, notamment collectives. Cet ouvrage constitue, nous l’espérons, une belle illustration de la force du travail collectif : chaque virgule de cette BD a été décidée au consensus. Celles et ceux qui ont déjà participé à des prises de décision collectives apprécieront le challenge !
Et notre amour pour notre métier de paysanne prend aussi souvent le dessus, ainsi nous partageons avec nos lecteurs et lectrices les bons moments de la vie sur une ferme : connivence avec le troupeau, transhumance de ruches, nuit étoilée, mises bas ou confection de fromages. Être paysanne, c’est aussi une volonté d’autonomie sur nos fermes, de travailler avec la nature.
Nous espérons que nos lectrices trouveront à la lecture de cette BD des pistes de réflexion et d’émancipation, qu’elles en ressortiront pleines de colère et de joie, d’envie de lutter et de boire un verre sur la place du marché avec leurs copines !
Quant aux lecteurs, s’ils ne se reconnaissent dans aucune situation de cette BD… peut-être une seconde lecture serait-elle bienvenue ?
Propos Recueillis Par Mylène Coste
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