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Fermeture de classes : quels impacts pour les communes rurales ?

05-06-2024

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Hors-champ

Chaque année la nouvelle carte scolaire apporte son lot de crispations, colère et mobilisations. Pourquoi ces fermetures ? Comment sont-elles décidées et quelles sont les conséquences sur les territoires ? Réponses avec les premiers concernés : les élus locaux.

Février 2024 à Vauchelles-les-Quesnoy dans la Somme. Une banderole dénonce la fermeture de classes prévue à la rentrée prochaine. © AFP

Ils ont dû se faire une raison. À Bazinghen, entre Boulogne-sur-Mer et Calais, élus et habitants ont accepté de voir la classe unique du village partir, et donc l’école fermer ses portes à la rentrée 2023. Depuis quelques années, la commune (403 habitants en 2021) fonctionnait en RPI (regroupement pédagogique intercommunal) avec Audinghen. C’est désormais là-bas que les petits Bazinghenois vont à l’école. « Ma mère était scolarisée dans cette école en 1935, il y avait 30 gamins à ce moment-là », explique Jean-Luc Baclez, adjoint. Alors, forcément « ça fait quelque chose ».

Le président de l’association des maires ruraux du Nord, Jean-Gabriel Masson, ne dit pas autre chose : « Il y a un côté sacré dans l’école. » La perte d’une classe, voire d’une école, est dure à encaisser psychologiquement pour les élus locaux et la population. Les mobilisations chaque année à la fin de l’hiver l’illustrent. Mais alors, pourquoi ces fermetures et quelles conséquences sur les territoires ? Nous avons essayé de répondre à ces questions.

La baisse de la natalité, un mur à venir

Les chiffres de l’Insee sont implacables : le nombre de naissances en France est en baisse continue depuis 2011 à l’exception de 2021. Et qui dit moins de naissances dit moins d’enfants dans les écoles les années suivantes. Entre la rentrée 2017 et la rentrée 2024, le nombre d’élèves inscrits dans les écoles primaires du Nord et du Pas-de-Calais a baissé de 12,87 %, soit 46 924 enfants en moins selon les chiffres communiqués par l’Académie de Lille en début d’année. Le Pas-de-Calais va perdre à la rentrée prochaine 2 931 élèves et le Nord 4 247 élèves…

« C’est une réalité, on sait qu’on aura de moins en moins d’enfants » dans nos écoles continue Jean-Gabriel Masson. « Dans les années à venir, dans les Hauts-de-France, en primaire on va perdre 2,5 % des effectifs tous les ans. Ça veut dire que tous les quatre ans, en moyenne, vous perdez 10 % des effectifs. » Dans ce contexte, le Nord et le Pas-de-Calais perdent des postes de professeur(e), des classes ferment et parfois même des écoles. Les syndicats d’enseignants prévoyaient ainsi en début d’année la fermeture de 157 classes pour la rentrée dans le Pas-de-Calais*.

Face à ces chiffres, l’Éducation nationale met en avant l’amélioration du taux d’encadrement (nombre de professeur(s) pour nombre d’élèves) depuis plusieurs années avec par exemple « 6,38 enseignants pour 100 élèves à la rentrée 2024, contre 6,31 à la rentrée 2023 ». Les syndicats jugent, eux, la situation différente sur le terrain et estiment que les moyens pédagogiques sont toujours insuffisants.

Un « plan social de l’école »

Deux figures politiques locales sont montées au créneau en début d’année. Jean-Claude Leroy, président du Département du Pas-de-Calais, écrivait le 19 février une lettre ouverte à la ministre de l’Éducation. Il dénonçait un « véritable plan social de l’école » : « Ici, la rentrée prochaine s’annonce bien difficile, nous sommes sans doute l’un des départements les plus durement touchés par la réduction drastique des moyens. […] Et ce alors même que le Pas-de-Calais cumule les difficultés économiques et sociales. » Il demandait un moratoire sur les fermetures de classes et suppressions de postes pour la rentrée scolaire 2024-2025. Le président de Région Xavier Bertrand réitérait cette demande en pointant notamment les fermetures prévues dans la Sambre, l’Avesnois et la Thiérache, dans le Nord. Leurs doléances sont restées lettre morte.

Sur le terrain, l’AMR 59 est « dès janvier en lien direct avec le Dasen (directeur académique des services de l’Éducation nationale) pour travailler la carte scolaire », explique Jean-Gabriel Masson. Le maire de Fromelles a vécu « son bizutage » l’année même de son élection en 2014, avec une fermeture de classe annoncée… qui n’a finalement pas eu lieu. Alors que l’Éducation nationale avait prévu 73 élèves à la rentrée de septembre cette année-là, il y avait en réalité 90 futurs inscrits avec la construction d’un nouveau lotissement. « Notre premier travail, c’est de donner les réalités du terrain car parfois les prévisions d’effectifs ne sont pas toujours celles de la réalité, explique-t-il. Quatre enfants, ça peut changer complètement entre ouverture et fermeture. Il n’y a que le maire qui sait anticiper, qui connaît ces évolutions. Le maire est en première ligne, surtout dans les communes rurales. » Le président de l’AMR 59 incite les élus et leurs adjoints à se manifester le plus rapidement possible et à aller chercher, par exemple, les parents retardataires : « Si vous connaissez (le nombre de) vos élèves, dites-le ! »

Jean-Gabriel Masson salue ce travail de fond mené avec l’Éducation nationale qui, selon lui, prend en compte les difficultés socio-économiques des territoires dans ses décisions (avec l’IPS, indice de position sociale). Le président de l’AMR 59 soutient en revanche la revendication de l’Association des maires ruraux de France : que l’Éducation nationale prévienne bien amont (trois ans) les municipalités avant que le couperet de la fermeture ne tombe. « On ne peut pas demander à des communes d’engager des frais pour rénover une école, refaire une classe, pour ensuite, un ou deux ans après, annuler tout ça avec une fermeture de classe », juge l’édile nordiste. « Ça permettrait d’anticiper » ajoute le président des maires ruraux du Pas-de-Calais, Hervé Deroubaix. « Il faudrait avoir une vision à plus long terme. Aujourd’hui, c’est année après année. Qu’on puisse nous dire : “Attention, là il y a un danger”… Qu’on puisse savoir à quoi s’attendre. »

Une question de pérennité

Les élus interrogés sont d’accord sur un point : la survie des écoles est une question de pérennité pour les petites communes. « La première des attractivités, ce sont les écoles, affirme le maire de Robecq, entre Béthune et Hazebrouck. C’est quand même quelque chose que les gens regardent tout de suite : est-ce qu’il y a une école ? C’est crucial. » « Sur du long terme, quand vous n’avez plus d’école, vous n’attirez plus les familles. Et quand vous n’attirez plus les familles, votre population vieillit et décline en nombre d’habitants », renchérit Jean-Gabriel Masson. L’école, aussi, est un lieu de socialisation primordial en ruralité. « L’intégration des nouveaux venus se fait d’abord par l’école », note le président de l’AMR59, entre parents d’élèves. « Vous n’avez plus d’école, souvent, vous n’avez plus de vie et plus de commerces. Les deux sont un peu liés, continue Hervé Deroubaix. Et vous n’avez plus de vie sociale. Un village où on n’entend pas, l’après-midi, les enfants crier dans la cour d’école, ça devient un village dortoir. »

Malgré tout, vouloir garder coûte que une école ouverte n’est parfois pas possible. À Bazinghen par exemple, « la maîtresse était toute seule », « tous les ordinateurs étaient à Audinghem » et « d’un point de vue pratique », la fermeture et le regroupement dans la commune voisine étaient logiques affirme Jean-Luc Baclez. « On est parfois coincé entre le désir d’avoir une école de qualité et de faire survivre l’école, parce que l’école à quatre classes ou classe unique, ce n’est pas du tout les mêmes conditions, complète Jean-Gabriel Masson. Mais on sait qu’il peut y avoir un effet d’enrayement et, quand vous perdez une classe, ça peut faire fuir aussi certains parents vers le privé par exemple. »

Des RPI, mais ni trop grands ni trop éloignés

Les RPI sont ainsi une solution, mais attention à ne pas créer des regroupements trop larges et éloignés alerte Jean-Claude Baclez. Jean-Gabriel Masson s’y oppose également et Hervé Deroubaix lie de son côté la question de l’école avec celle de l’accès aux transports pour les grands et les petits. « C’est aussi quelque chose de très important. […] On peut accepter de ne pas avoir de collège à condition qu’il y ait un ramassage qui soit convenable », illustre le maire de Robecq.

C’est la même chose pour les écoles primaires. Aujourd’hui, tous les élèves de Bazinghen sont ainsi scolarisés à Audinghen, mais un service de transport est assuré entre les deux villages et Bazinghen a pu garder sa garderie, même si cette solution implique un effort financier. Car conserver la garderie est essentiel pour la vie de cette petite commune estime. Jean-Luc Baclez. « Avec le temps qui passe, la pilule passe bien », dit l’élu au sujet de la fermeture de l’école qui va connaître une deuxième vie en se transformant en médiathèque. Mais il ne le cache pas : « Avec elle, on arrive encore à tenir. Si demain il n’y a plus de garderie… » 

L’analyse de Véronique Lucas, sociologue de la ruralité

Véronique Lucas est sociologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Elle travaille sur la ruralité et l’agriculture, notamment les conditions d’activité des agriculteurs et les conditions du renouvellement des actifs. Elle a été amenée à étudier le sujet des fermetures d’établissement scolaire et celles-ci ont un impact sur le secteur agricole souligne-t-elle.

« Le futur de l’agriculture et notamment le renouvellement générationnel dépendent du fait d’avoir des territoires ruraux qui soient équipés notamment en infrastructures et en service public », affirme-t-elle. Depuis plusieurs années, la tendance au niveau national est à l’augmentation des reprises hors cadre familial. C’est le cas dans les Hauts-de-France, même si cette tendance est moins marquée que dans d’autres régions comme la Bretagne. Or, dans le cas d’une reprise hors cadre familial, les futurs ménages agricoles n’ont pas les mêmes attentes. Concrètement, ils vont se focaliser sur le territoire dans lequel l’installation va s’inscrire. « Alors qu’il y a eu une idée que l’agriculture était une condition et apportait au développement rural, là, on s’aperçoit que c’est plutôt le contraire », résume Véronique Lucas.

« On voit bien qu’il y a des territoires qui remplacent beaucoup mieux que d’autres, continue la sociologue. Quand on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que ce sont des territoires qui présentent un certain dynamisme, notamment économique, parce que ça permet au conjoint ou à la conjointe de travailler. » L’accessibilité à l’emploi est donc un facteur de décision, mais l’offre en éducation est également recherchée par ces ménages qui, souvent, sont jeunes parents ou envisagent de le devenir. « La manière dont les territoires sont équipés en service public va être déterminante pour l’avenir de l’agriculture dans les années et les décennies à venir », répète Véronique Lucas. Pour cette dernière, « il faut penser les territoires et les services publics comme un socle ».

Selon la sociologue, l’école est l’un de ces services publics centraux : « Il y a tellement d’enjeux en termes éducatifs. Cette activité est essentielle et on doit plutôt être dans le quoi qu’il en coûte. Le défi est tellement énorme à relever. On prépare les générations futures. Et pour le rural c’est la même chose. C’est le siège d’une activité essentielle : l’activité agricole, celle qui nous nourrit et préserve l’environnement. » 

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Kévin Saroul

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