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Mardi 5 décembre 2023, le cabinet d’études Exaeco restituait les résultats de la première phase d’une étude sur les jeunes en milieu rural. Objectif, répondre à cette question : c’est quoi être un jeune en ruralité ?
Commandé par la MSA du Nord-Pas de Calais, ce travail avait pour objectif de « mieux comprendre les enjeux quotidiens des jeunes et adapter / enrichir l’offre sanitaire et sociale de la MSA et de l’ensemble des acteurs engagés dans l’accompagnement des jeunes et l’animation des territoires ruraux », explique la MSA. Pour cela, le cabinet Exaeco a réalisé dans dix communautés de communes (CC) du Nord-Pas de Calais, des entretiens individuels d’une heure à une heure et demie, avec une cinquantaine de jeunes, âgés de 14 à 25 ans.
Ont été retenues les CC des Hauts de Flandre, du Pays de Lumbres, de Desvres-Samer, du Haut-Pays du Montreuillois, des 7 vallées, du Ternois, des Campagnes de l’Artois, du Sud-Artois, du Pays de Mormal et du Cœur de l’Avesnois. En parallèle, quatre ateliers thématiques (trois avec les jeunes, un avec les professionnels de l’accompagnement) ont été réalisés. Résultat : des profils, des trajectoires et des phénomènes se dessinent.
Ce que constate rapidement Exaeco, c’est qu’une fois entrés au collège, les jeunes ruraux ne pratiquent quasiment plus d’activité extrascolaire. « Le fait est que, généralement, le transport pour aller au collège leur prend beaucoup de temps. Ensuite, les activités extrascolaires pour leur âge sont trop loin de chez eux », explique Adrien Dupret, chef de projet pour Exaeco, en charge de cette étude. C’est un peu un cercle vicieux : moins de collégiens pratiquent une activité extrascolaire, donc la diversité de propositions pour eux s’amoindrit. “Je pratiquais la danse quand j’étais plus jeune. Je ne peux plus aujourd’hui car ils n’en font plus“, témoigne ainsi Margot, 17 ans.
« Ce qu’on constate c’est que par conséquent, ils n’ont plus de soupape de décompression », ajoute Thierry Cardinael, président d’Exaeco. Au-delà de la soupape, ce problème prive ces jeunes « d’une activité structurante en dehors de la famille et de l’école. Le rôle du coach, figure d’autorité, peut souvent aider dans les cas de harcèlement ». Or, sur les 50 jeunes rencontrés, 40 % ont vécu ou vivent du harcèlement scolaire. « Le sujet arrive sur la table au bout de dix minutes d’entretien, ce qui montre que c’est une part importante de leur vie », indique Adrien Dupret. « Ce harcèlement a lieu à l’école mais aussi en ligne et surtout les “poursuit” : du primaire au lycée », précise Thierry Cardinael. Conséquences : des parcours scolaires difficiles et des choix d’orientations pour s’éloigner des harceleurs, comme le départ en internat (souvent vécu comme un changement de vie).
De fait, le quotidien est rythmé par le triptyque école-domicile-école. Aller à l’école ne se révèle pas toujours simple. Les déplacements prennent une place très importante dans le temps de ces jeunes : « Pour aller au lycée, je prenais le bus à 6 h le matin pour 1 h 30 de trajet et je rentrais à 20 h tous les soirs pendant deux ans. J’avais l’impression de ne plus vraiment vivre. Le week-end, j’étais trop fatiguée pour sortir avec les copines », raconte Virginie, 18 ans.
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Deux profils se détachent passé 18 ans : ceux qui ont le permis, et ceux qui ne l’ont pas. Pour ceux qui ne l’ont pas, le scooter devient généralement l’alternative à la voiture et surtout un billet vers la liberté. Mais, « une différence se dessine clairement entre les filles et les garçons. Pour l’ensemble des garçons rencontrés, le BSR (brevet de sécurité routière nécessaire pour circuler à scooter, ndlr) et le permis sont soit en projet soit obtenu. Tandis que pour les filles, aucune n’a le BSR. Les raisons invoquées sont souvent que leurs parents trouvent cela “trop dangereux” ou bien, qu’elles n’en ont pas besoin puisqu’elles ont un compagnon qui les conduit partout. Autrement dit, elles sont dépendantes très jeunes de leur conjoint pour se déplacer », détaille Adrien Dupret.
Par ailleurs, s’ils savent qu’il existe des aides pour financer le permis, peu y ont recours, soulevant le problème récurrent du non-recours aux droits.
Cette mobilité compliquée et ces parcours scolaires difficiles ont des répercussions sur les études supérieures et les carrières professionnelles de ces jeunes. « Il y a un vrai gâchis de compétences. Les jeunes rencontrés choisissent leur orientation en fonction du territoire, pas de ce qui leur plaît », explique Thierry Cardinael. Antonin raconte : « Je rêvais de faire carrière dans le théâtre. Mes parents m’en ont découragé. C’était cher, loin et selon eux, il n’y avait pas de débouché. C’est un vrai regret. Finalement j’ai fait Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives, ndlr) et puis je me suis tourné vers la carrière de professeur des écoles. » Le cabinet Exaeco constate un phénomène d’immobilisme et de résignation : « On s’attendait à beaucoup de choses, mais pas à cette résignation. Quand on demandait à un jeune qui nous disait qu’il ne pouvait pas aller à Lille, quelle était la raison, on nous répondait “c’est comme ça”. »
Un profil est à détacher des autres : ceux des enfants d’agriculteurs. Très ancrés dans leur territoire et, souvent, avec un avenir professionnel déjà bien en tête, ils ne vivent pas l’éloignement pour les études, les voyages, etc. avec appréhension comme leurs autres camarades. « Lorsqu’on est ancré dans son territoire, que l’on sait d’où l’on vient et où l’on va, on n’a pas peur de partir. »
Face à cela, quelques préconisations ont été émises par le cabinet : améliorer l’accompagnement des victimes de violences et les aider dans leur reconstruction ; lutter contre la reproduction des inégalités de genre ; développer la prévention des troubles de la santé mentale ; requestionner la problématique de la mobilité ; créer de nouveaux cadres d’ouverture sur le monde ou encore sortir des contraintes pour se former selon les envies.
Eglantine Puel