Les jardins thérapeutiques sont des outils de préservation ou de recouvrement de la santé, dans son sens large.
« J’aime cultiver, ça m’apporte du bien-être. » Mathieu, 31 ans, fait partie des patients du service de jour d’addictologie au sein du centre hospitalier de Saint-Omer. Il est là pour soigner une addiction. Quelle qu’elle soit, l’objectif est le même : vouloir en sortir. Pour ça, il suit des ateliers variés, participe à des séances avec une diététicienne et à des sorties thérapeutiques au musée ou en chocolaterie. Et puis il jardine.
Une thérapie à part entière. Les jardins thérapeutiques, ou jardins de soins, sont de plus en plus nombreux dans les établissements de santé, physique ou, c’est le plus souvent le cas, mentale. Parce que si on jardine avec les mains, la tête est loin d’être en reste.
À Helfaut, où est implanté le centre hospitalier de la région de Saint-Omer (CHRSO), le service d’addictologie fête ses dix ans tout ronds. Dès 2016, des petits carrés de plantation formaient le premier jardin thérapeutique à destination des patients, finalement détruits lors de la construction d’une route. C’est en 2021 que le nouveau jardin est, littéralement, sorti de terre. Juste derrière le bâtiment, face aux vastes étendues cultivées et partiellement abrité par des arbres, il est aussi sur le chemin des enfants de la crèche, pas trop loin du futur Ehpad. Bref, ouvert à tous. « Des personnes viennent s’y reposer, y pique-niquer », liste encore David Decodts, aide-soignant en addictologie et cheville ouvrière de cette salle de soins à ciel ouvert.
Ici tout le monde peut profiter du cadre ressourçant, les soignants tombent la blouse et les patients empoignent pelles et fourches pour travailler, soigner, planter et récolter. Avancer.
David Decodts est aide-soignant au deuxième étage, le service d’hospitalisation, mais tous les jeudis il se rapproche du sol. Et de la terre. Bénévole dans l’association Jardinons notre santé (lire aussi notre édition du 23 juin), il a naturellement pris en main la renaissance du jardin thérapeutique et en assure le bon fonctionnement. Aidé des patients, c’est là l’objectif. Ainsi après une séance de basket ce jour-là, le groupe du jeudi s’empare qui d’une tondeuse hélicoïdale à main, qui d’un râteau. « Nous faisons avec les moyens du bord », précise le jardinier en chef : des palettes de récupération, les boutures d’une collègue, des dons de plantes de l’établissement public de santé mentale (EPSM) d’Armentières… « Dans l’idée de démontrer aux patients qu’avec peu de moyens on peut faire des choses », éclaire David Decodts qui oublie de préciser à ce moment-là que les moyens du bord sont plutôt maigres.
Les ambitions, elles, ne connaissent pas la crise et David s’est donné du mal pour transformer l’espèce de terrain vague en jardin luxuriant où fleurs ornementales ponctuent de notes colorées une myriade de légumes et autres herbes aromatiques. Sous forme de massifs, dans des carrés surélevés – pour une meilleure accessibilité à tous, y compris les personnes en fauteuil roulant – ou dans le potager : il y en a partout. Une nourriture pour les sens aussi : la vue, l’odorat, le toucher et l’ouïe sont tous mobilisés lors de ces séances de jardinage thérapeutique. « Sentez », invite David Decodts au détour d’un carré touffu. « J’ai oublié son nom », dit-il l’œil frisant d’avoir réussi sa blague : la plante poilue sent le fromage. Une super stimulation intellectuelle, un projet de chemin sensoriel est d’ailleurs dans les tuyaux, avec différentes textures à arpenter pieds nus : « Parfait pour stimuler les troubles cognitifs », dit un soignant exceptionnellement en blanc, habituellement ils tombent la blouse au jardin, comme ils feraient tomber un mur.
Quant au goût, il est naturellement à l’honneur lorsque, récoltés, les légumes sont ensuite consommés. Et on sait tous que c’est meilleur quand c’est fait maison. Ces récoltes ont également une valeur nutritionnelle (des fibres, des vitamines) importante pour des publics parfois précaires.
Sans oublier que ces produits bruts, et bio bien sûr, coûtent bien moins cher que leurs homologues transformés et, si les patients n’ont pas vocation à acheter le fruit de leur travail – les récoltes sont partagées entre les patients et aussi cuisinées sur place -, ils ont le droit de prendre de bonnes habitudes alimentaires. « Nous ne voulons pas que tout ce que nous faisons ici, jardin en tête, soit une parenthèse. Nous voulons que la dynamique se prolonge chez eux, qu’ils intègrent par exemple qu’avec peu de moyens on peut bien manger », ambitionne la responsable du service d’addictologie. Un ancien patient a même remplacé une partie de sa pelouse par un potager depuis son passage par le service. Et de un ! Car la santé, c’est bien l’objectif central de tout ça. « À nous de leur démontrer l’intérêt de cultiver sainement et de respecter le vivant », milite David Decodts.
Dans le jardin ce jour-là, Mathieu donc. Le trentenaire liste les plantations effectuées cet été-là – « courgettes, tomates, haricots verts ou concombres » – et explique : « J’ai déjà travaillé un jardin dans la famille. Ici, on partage les tâches avec l’équipe de jour et on a plutôt fait une bonne récolte cette année, y compris en pommes de terre », se félicite-t-il. De 40 ans son aîné, Christian explique lui avoir « toujours travaillé dans des jardins, pour les patrons de la cristallerie (d’Arques) : je conduis même des machines », s’enorgueillit le septuagénaire qui explique : « Dans la nature, je suis bien, au calme. Je peux observer les oiseaux, les lapins, les biches. »
Une forme de réorganisation naturelle de l’univers qui apaise ces destins cabossés. Jean-Pierre, 42 ans, est fils d’un entrepreneur en pommes de terre et donne régulièrement des coups de main à son cousin. Sa grand-mère vit toujours dans la ferme où, gamin, il allait conduire le tracteur. « J’ai aussi un jardin à la maison où je cultive pommes de terre, poireaux, carottes. » Et s’il n’a pas besoin des légumes cultivés ici, c’est l’acte qui lui importe. « Devant une télé, je ne suis pas bien. Par contre prendre l’air, respirer et ça même quand il pleut. La nature, c’est ma nature », lance le quadragénaire comme un slogan.
« Au jardin de soin, on travaille aussi les difficultés des patients en développant leur autonomie », décrypte l’équipe soignante. Travail de la mémoire, adaptation et acceptation de l’échec et du fait qu’on ne peut pas tout maîtriser forment quelques-uns des apprentissages du jardin. Le travail en groupe a également ses vertus d’émulation, de valorisation quand on peut donner un conseil à l’autre. « On leur fait aussi travailler la mémoire, l’air de rien, en retenant les saisons, les périodes du jardin, les outils ou les semis », dévoile l’aide-soignant jardinier.
Satisfaction du travail accompli, réalisation d’objectifs sont autant d’atouts offerts par la pratique du jardinage ou du maraîchage. « Un jardin c’est comme la vie : il faut en prendre soin, comme on doit prendre soin de soi », formule Martine Leroy, psychologue et responsable du service d’addictologie. « Les patients qui viennent dans notre service sont généralement isolés, dans leur bulle. Le jardin leur permet de se reconnecter. » À leur environnement, à ceux qui les entourent mais avant tout à eux-mêmes. Le terreau de la guérison.
Justine Demade Pellorce
Les jardins thérapeutiques devraient-ils être remboursés par la Sécu ? Romane Glotain se marre mais valide : « Des études ont démontré qu’en psychiatrie, des patients fréquentant de tels jardins diminuent leurs prises d’anxiolytiques. » Si elle, est persuadée des bénéfices de tels endroits, elle estime aussi que le sujet n’en est qu’à ses balbutiements. « Nous sommes en phase d’explications et de communication », pose-t-elle. Pour ça, la jeune femme a choisi d’enfourcher son vélo en 2021 et de se lancer dans un tour de France des jardins thérapeutiques. Elle en a recensé 40 accueillant des publics différents, des enfants aux personnes âgées, en hôpitaux psychiatriques, maisons d’arrêt, associations sur le trouble alimentaire… Sur des surfaces allant de 20 m2 à un hectare, implantés dans des institutions ou à l’extérieur. « L’objectif était de démontrer leur diversité », résume celle qui a une double formation horticulture et éducatrice. Aujourd’hui âgée de 27 ans, elle est éducatrice technique spécialisée dans un institut médico-éducatif (IME), où elle gère l’atelier d’horticulture et l’entretien des espaces verts avec des adolescents âgés de 14 à 20 ans dans un objectif d’insertion professionnelle. En 2020, elle a fondé l’association Les maux passants, avant de sillonner un an plus tard la France. « La prise de conscience grandissante, et exacerbée lors des confinements, du besoin de l’être humain d’être au contact de la nature ont poussé nombre de soignants à me contacter pour les accompagner dans la création d’un jardin ou en vue de leur reconversion », relate celle qui a documenté son périple avec un blog cartographié et des mini-reportages, où les patients témoignaient. Passionnée et convaincue des bienfaits psychologiques, physiques et sociaux de l’hortithérapie, elle est également vice-présidente de la Fédération française des jardins nature et santé. Derrière la variété des jardins visités ressortent des fondamentaux qui, selon la jeune spécialiste, distinguent les jardins thérapeutiques des autres. « Dans un jardin thérapeutique, on travaille soit la prévention soit le maintien ou l’amélioration de la santé », commence-t-elle. « Il doit aussi être conçu pour le bien-être, comporter un volet d’animations d’hortithérapie avec des objectifs listés puis évalués ensuite. Tous les jardins font du bien, la question est ici de définir un cadre rigoureux afin de crédibiliser le sujet », milite-t-elle.
Pouvez-vous nous présenter Terr’Happy ? Il s’agit d’un organisme de formation créé en 2016. Au départ, nous accompagnions surtout la création de jardins thérapeutiques avant de nous concentrer sur le besoin dans les établissements de soins ou médico-sociaux d’avoir des compétences pour animer des ateliers d’hortithérapie, c’est-à-dire des ateliers au jardin avec des objectifs thérapeutiques précis.
Quelle est la définition d’un jardin thérapeutique ? Il faut un environnement dominé par les plantes et conçu dans le but d’améliorer, ou de préserver, la santé des bénéficiaires. Par la déambulation pour certaines pathologies, comme les Alzheimer avancés ; par la pratique du jardinage pour d’autres, y compris avec la récolte dans des objectifs de valorisation de l’estime de soi, notamment pour les publics en situation de handicap ou d’addictions ou encore en milieu carcéral.
L’hortithérapie a fait ses débuts dans les années 90 en France. Quel état des lieux en faites-vous ? La discipline n’étant pas reconnue en France, il est compliqué d’en faire un état des lieux précis même si on observe un développement des projets. Nous sommes très en retard sur cette question, et sur celle d’une approche plus holistique de la santé, c’est-à-dire qui prend en compte la personne dans sa globalité. L’OMS (Organisation mondiale de la santé, ndlr) définit d’ailleurs la santé par « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Aux États-Unis, en Angleterre, en Scandinavie, au Japon, en Corée des diplômes d’hortithérapie existent depuis les années 70.
Être dans un jardin fait du bien, pourquoi ? On ne sait pas précisément ce qui entre en jeu mais on sait, et de nombreuses études l’attestent, que le fait d’être dans la nature a instinctivement le don de nous apaiser. Le chant des oiseaux ou le bruit de l’eau, la vue de plantes et plus globalement de la couleur verte diminuent les marqueurs de stress, la tension artérielle. Depuis les années 80, on parle de biophilie : le fait que l’être humain est attiré par tout ce qui est vivant, très probablement parce que notre espèce a passé 300 000 ans dans la nature et que son éloignement n’est finalement que très récent.
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par Justine Demade Pellorce
<< Gérante de la brasserie Thiriez, Clara parle de son parcours - venue pour 3 mois... il y a 11 ans ! >>
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