
Il est assis dans l’un de ses deux fauteuils, celui près de la fenêtre d’où il peut tendre le cou et voir qui passe par là ; qui lui fait le bonjour, ou non. Chez lui, une couverture sur les jambes, Jean-Marie Catteau feuillette son album photo comme pour réviser l’exercice. Mais le fringant centenaire n’a pas besoin de répétition, la tête est bien là, pleine de souvenirs à partager.

Le premier est cette lettre qu’il déplie doucement, rédigée d’une écriture parfaite sur un papier glacé jauni par les années : la demande en mariage adressée à ses futurs beaux-parents (ils ont dit oui !) en 1943. Écrite à La Chapelle d’Armentières, où il est né le 24 février 1922, elle avait été envoyée à Cavron-Saint-Martin où vivait l’élue de son cœur. La photo de son mariage avec Denise est d’ailleurs la première qu’il souhaite partager. « S’il n’y avait pas eu la guerre de 14, je ne serais pas là », introduit Jean-Marie qui raconte – ils apparaîtront sur une autre photo quelques pages plus loin – qu’Auguste Coustenoble et Clara, ses grands-parents, avaient été évacués à Cavron lors de la Première Guerre mondiale, où ils proposeront à leur petit-fils d’aller faire un tour vingt ans plus tard. « Ils avaient une voiture, c’étaient les seuls du village. C’est ce jour de 1933 que j’ai aperçu Denise pour la première fois, mais l’étincelle n’était pas encore faite », précise notre homme. « Nous y sommes retournés plusieurs fois et un jour j’ai demandé à Denise si elle avait quelqu’un, elle m’a dit non. » Heureusement, car ce jour-là, « (il) l’aimai(t) déjà ».

Dix ans plus tard était envoyée une lettre pleine de respect et d’engagement. Il faudra en attendre encore cinq pour le mariage pour cause de guerre, et les amoureux se verront « toutes les six semaines, une fois à La Chapelle, une fois à Cavron mais pas dans la même chambre, pas même dans la même maison ». S’en suivront « 69 ans de mariage sans qu’aucun nuage ne vienne assombrir (leur) amour », affirme notre centenaire dont on demande le secret. « Le travail ensemble, j’imagine. Et puis, rien ne s’est passé sans en parler à l’autre. » On note.

Une autre photo montre Jean-Marie et Denise lors d’une sortie. Ils sont assis dans une petite charrette à roues, tirée par un chien. En habits du dimanche, sourire sur les lèvres, ils ont l’air heureux. « L’entente parfaite », résume le centenaire même pas équipé de prothèse auditive, tiens en parlant de ça. Et quand il se lève pour aller farfouiller dans ses tiroirs, en sortir sa bible, puis ses plumes d’écriture et autres trésors, on lui demande ce que disent les médecins quand ils le voient. « Ils demandent qui est malade d’eux ou moi », se marre l’éternel jeune homme.
Sur l’épisode le plus marquant de sa longue vie, Jean-Marie n’a pas de photo mais les images sont bien là, imprimées dans sa mémoire : deux ans de STO en Allemagne (Service du travail obligatoire) où il travaillera dans les mines de sel de Dankmarshausen, épelle-t-il sans ciller : le secret de sa conservation, a-t-il pour habitude de blaguer quand on lui demande la recette de sa longévité cette fois. Une photo dans l’album représente ses frangins, sur une faucheuse tirée par des chevaux. Cet instantané de moisson nordiste, il l’avait reçu par courrier en Allemagne.

Ces deux années sous terre, alors que l’agriculteur de père en fils n’avait connu que le grand air et le travail aux champs ; l’éloignement de sa famille aussi seront les plus difficiles pour Jean-Marie Catteau qui gardera toutefois de ces années des amitiés profondes avec des Allemands côtoyés alors. Dans sa boîte à souvenirs, des faire-part de décès en nombre. Ceux d’Hélène et Karl Kaucher, les amis allemands qui viendront régulièrement leur rendre visite, « comme la famille ». Idem pour les photos, dont la majorité est en noir et blanc, sur lesquelles il peine à trouver des personnes encore en vie à l’image de ce jour de nouvel an, il a alors une vingtaine d’années.

Sur le cliché, une quarantaine de personnes de tous âges dont il sait que peut-être l’un ou l’autre des deux plus jeunes enfants est encore en vie, au mieux. « Je ne connais qu’une centenaire, madame Cadot à Arras », déplore notre homme. Le faire-part de décès de sa mère, Jeanne, est lui daté de 1977. Comme son père Fernand, elle était née en 85. 1885 évidemment.


Jean-Marie a eu cinq frères et sœurs – il était l’aîné et il est le seul encore là -, quatre enfants et cinq petits-enfants dont l’un d’eux, Thomas, 29 ans, reprend l’exploitation avec Dominique, son père, le fils de Jean-Marie. Il voit parfois passer leur tracteur devant sa fenêtre, en tendant le cou. Et c’est l’un de ses plus grands regrets : ne plus pouvoir aider. La dernière fois qu’il a trié des patates, ça devait être en 2000, et ça le désole de ne « plus pouvoir rien faire », dit-il.
Dans l’album encore, une photo de portrait de Jean-Marie Catteau âgé de 21 ans représente un beau jeune homme aux boucles joyeuses et à la gueule d’ange. Alors, vraiment si sage Jean-Marie ? « Évidemment, j’ai été sage. En voilà des questions ! », lance-t-il de sa petite voix rendue aiguë par l’effort et d’un ton faussement outré. Il se marre.

Il faut dire qu’il aime ça les histoires drôles, comme celle de l’énarque et du berger ou celle de la directrice d’école. Et cette histoire qui commence mal mais qui fait bien rire à la fin, comme une ode à l’optimisme dont on devine notre centenaire richement doté (laissez-le vous les raconter avec talent). Mais ce qu’il aime le plus, c’est chanter et lorsqu’il empoigne sa liste de vieilles chansons, il les enchaîne comme une machine dans laquelle on glisserait une pièce. La jambe qui bat la mesure, les paroles bien en mémoire et cette voix fragile qui continue à se souvenir.
Justine Demade Pellorce

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par Justine Demade Pellorce
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