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24-04-2025

Cerf : Nuit de traque en forêt de Mormal

La nuit est tombée lorsque les convois pénètrent la forêt de Mormal en quête de cerfs. L’objectif : estimer cette population pour gérer au mieux le massif. Mais les enjeux diffèrent selon que l’on soit chasseur, agriculteur ou forestier. Reportage by night.

Mi-mars, la troisième opération de comptage nocturne de cervidés de l’année a réuni ONF, OFB, FDC et DDTM. © L. T.

Ce soir-là, la lune se montre énorme, proche, rougeoyante. Nous sommes à la mi-mars et les soirées sont encore glaciales. Le thermomètre frise les 0 °C lorsqu’un convoi peu ordinaire se prépare à s’enfoncer dans la forêt de Mormal (Nord,59).

Avant le départ, c’est l’heure du café et des dernières consignes à la maison forestière de l’Opéra, à quelques pas du panneau Jolimetz. Thierry Vandorpe, responsable chasse pour l’ONF (Office national des forêts) à Lille, liste les noms et répartit les équipes.

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Un chauffeur et deux personnes dans trois véhicules qui suivront chacun l’un des trois circuits établis, de 25 à 33 kilomètres, et braqueront les projecteurs de part et d’autre. Un quatrième convoi se greffera à l’un d’eux en tant qu’observateur.

Gérer la forêt de demain

Depuis 2010, ces circuits sont reproduits chaque année, à plusieurs reprises. Cette année, c’est déjà la troisième des quatre sorties. « On éclaire et on observe. Dès que des yeux brillent, on s’arrête et on essaie d’identifier », rappelle le guide aux forestiers, chasseurs, associations et autres partenaires du soir.

La population de cerfs a fortement augmenté ces 40 dernières années.

Car cette virée nocturne en forêt a un objectif : compter la population de cervidés aperçus pour dégager une tendance. Outre cet indice nocturne d’abondance, l’ONF scrute tout au long de l’année l’indice de consommation des plants et la pesée des animaux. Cette dernière est faite par les chasseurs une fois l’animal abattu et vise à évaluer son état de (feue) santé. Quant à la consommation des plants, elle montre « des peuplements abroutis (broutés, ndlr) par les cervidés sur plusieurs hectares  », assure l’ONF.

Ces trois indices servent de base pour ajuster les demandes de plans de chasse et prélever un nombre d’animaux adapté pour gérer cette forêt, cadre Thierry Vandorpe. Car pour l’ONF, la population de cervidés est trop importante et ne permet plus à la forêt de se régénérer. « On a besoin d’une forêt qui se renouvelle pour demain, on a besoin qu’elle pousse : c’est tout l’enjeu de la chasse en forêt », poursuit le responsable chasse.

Plein sud

Les convois embarquent et filent chacun vers une direction. Nord, centre, sud. Nous suivons celui du sud avec Élise Michaud, attachée de presse pour l’ONF. Les voitures empruntent la route forestière au pas. Jumelles sur les yeux, les deux observateurs balaient des yeux les bosquets. Soudain, le fourgon s’arrête et dirige la lumière vers une ombre.

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« À la manière dont sa tête bouge, c’est un chevreuil », assure Yohann Bera, de l’OFB (Office français de la biodiversité). Le chevreuil est gourmet. Il est très sélectif et aime particulièrement les essences de chêne ou de merisier. Son cousin le cerf « broute comme une vache », selon Thierry Vandorpe. Quant au sanglier, il consomme toutes les graines et impacte de fait le développement des plantes qui n’ont pas le temps de pousser, poursuit le forestier. À point nommé, quelques sangliers apparaissent à la lumière des projecteurs.

40 à 50 cerfs

Mais revenons aux cerfs puisque c’est véritablement l’espèce scrutée cette nuit-là. « Entre 40 et 50 grands cervidés ont été aperçus sur ce parcours lors des deux premières sorties, replace Thierry Vandorpe. Les plants sont systématiquement mangés ce qui nous fait dire qu’il y a trop d’animaux. Tant qu’on ne voit pas de réaction sur les jeunes plants en forêt, on considère que le plan de chasse est insuffisant. Un peu d’abroutissement en forêt est normal mais le niveau doit être supportable pour qu’elle se renouvelle.  » Pour l’ONF, l’indice nocturne d’abondance montrerait jusqu’à présent une stabilisation voire une légère hausse du nombre de cervidés.

Arnaud Demade est chasseur et fait partie du convoi avec cette casquette. Lui aussi ne peut que constater l’augmentation de la population de cervidés. « 90 % du plan de chasse est atteint », compte-t-il. Quant à l’âge moyen de la population, il est défini à la lecture de sa dentition une fois l’animal mort. « Cette année, toutes les mâchoires des biches et faons seront collectées pour être analysées avec les chercheurs : cela nous permettra d’établir la pyramide des âges et le ratio des bichettes », reprend l’ONF.

Cerfs, chevreuils…

La voiture ralentit à nouveau. Cette fois, c’est un chat forestier qui traverse le rai lumineux. Sa queue compte plusieurs anneaux noirs qui confirment le diagnostic, décrypte l’agent de l’OFB qui conduit le fourgon. La structure accompagne l’ONF sur les protocoles suivis en forêt. Mais pour la police de l’environnement, lenjeu prioritaire est la sécurité à la chasse. « Le respect des règles permet de baisser l’accidentologie, poursuit le représentant. Cette année, on est sur la même tendance que 2023-2024 c’est-à-dire six à sept décès en France. Dans le Nord, on compte deux accidents graves cette saison lors d’une chasse sur petit gibier. »

Ses jumelles visent à nouveau les fourrés, au loin, où deux chevreuils se montrent pour les avertis. Les autres se contenteront de suivre les projecteurs pour tenter de deviner quelque animal…

Abroutissement, décorçage

Nous empruntons la route forestière d’Hecq. Thierry Vandorpe ouvre la barrière pour laisser passer le convoi qui roule depuis déjà plusieurs heures au milieu de la forêt. Quelques chevreuils se démasquent, trahis par leurs yeux brillants éclairés par les projecteurs. Les cerfs se font rares cette nuit, les experts en compteront à peine 14 lorsqu’ils regagneront Jolimetz.

Un arrêt sur le bord du chemin est l’occasion pour le forestier de montrer ce qu’est l’abroutissement. « La végétation est perçue comme une table de consommation et taillée à la même hauteur », décrit-il. L’animal consomme les bourgeons, les feuilles ou encore les jeunes pousses des arbres à portée de dents. La parcelle était au départ engrillagée pour éviter l’abroutissement, poursuit Thierry Vandorpe. Dès que l’arbre dépasse les cinq mètres, le grillage est ôté.

Le forestier constate un nouveau phénomène, qui vient se greffer à l’abroutissement. « C’est le décorçage. Les grands cervidés mangent l’écorce ou y frottent leurs bois ce qui peut conduire à la mort de l’arbre. »

Tableau de chasse

La population de cerfs a fortement augmenté en France ces 40 dernières années, estime l’ONF. Plusieurs raisons l’expliquent d’après Thierry Vandorpe. Le changement climatique en est une. Les hivers rudes se font rares, la fructification forestière est plus régulière, ce qui profite à la faune, sangliers en tête.

« La forêt a été travaillée différemment pendant 15 ans, complète le responsable chasse. La forêt était relativement fermée avec un couvert très dense. Des chemins de vidange ont été ouverts, les bordures de route ont été exploitées. Le développement de la végétation au sol est lié à l’ouverture des peuplements qui a augmenté la capacité d’accueil du milieu. La population s’est accrue pendant 10 ans sans qu’on le réalise. » Signe d’une « population d’animaux conséquente », « le plan de chasse se réalise à 90 % chaque année », insiste de concert ONF, OFB et FDC (Fédération départementale des chasseurs).

Quatrième passager sur la banquette arrière, la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer) participe à l’opération et tient les comptages. Les données sont ensuite partagées en Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage. « On écoute les intérêts des chasseurs, des forestiers, des associations de protection de la nature et les intérêts agricoles, synthétise Mathieu Flourez, de la DDTM. La FDC fait une proposition de plan de chasse, le préfet tranche. »

Le convoi poursuit son chemin, s’enfonçant toujours plus dans la forêt. La lune a blanchi en quelques heures. Elle a repris ses quartiers, un peu plus haut dans le ciel, et veille sur Mormal.

Louise Tesse

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