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Tout et à la fois rien ne prédestinait Marion Dewynter à reprendre le flambeau de la SAS Dewynter à Rubrouck (59). Quatrième du nom, elle est la première femme à arriver à la tête de l’entreprise de teillage. Pour le moment, elle partage les responsabilités avec son père, Didier, le temps d’apprendre le métier car, comme elle le dit : « Il n’y a pas d’école du lin. »
À côté de cette activité de teilleuse, elle est aussi agricultrice et produit du lin avec son père. L’année dernière, la trentenaire se lance dans le chanvre textile. Une fibre d’avenir selon elle, dont la demande augmente sans cesse. Et comme si deux casquettes ne suffisaient pas, elle est aussi artiste peintre et propose des kimonos en lin peints. Une femme aux multiples activités mais surtout passionnée.
Si aujourd’hui son métier est une évidence, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, avant d’être agricultrice-teilleuse, Marion Dewynter voulait être « architecte d’intérieur ! » D’ailleurs, elle a fait les études pour. Après le collège, elle intègre l’école secondaire artistique Saint-Luc Tournai (Belgique). « Par la suite, j’ai été repéré pour mon talent , raconte-t-elle, humblement. Je suis devenue l’architecte d’intérieur d’une des filles du Président de la République du Congo. C’est pourquoi j’ai effectué une mission en Afrique quelques mois. »
Hélas, elle y contracte un paludisme foudroyant. C’est un déclic : « J’ai décidé de rentrer à Rubrouck, là où était ma famille. À ce moment-là, il n’y avait plus de repreneur pour l’entreprise alors j’ai décidé de prendre cette place. Il n’y a pas d’école du lin, c’est quelque chose qui se transmet et il était essentiel pour moi que ce savoir-faire perdure. »
Pour elle, le lin avait toujours été là dans un coin de sa tête. « J’ai grandi là-dedans ! Pour faire ce métier de toute façon il n’y a pas de secret : il faut être passionnée. J’ai attrapé le virus du lin toute petite et aujourd’hui, je revis quand arrive le moment des récoltes. » Mais même en aillant le virus et les connaissances qui vont avec, Marion Dewynter a senti qu’elle avait besoin d’un diplôme agricole : « Je voulais savoir de quoi je parlais. J’ai donc repris des études en accéléré pour passer un brevet professionnel de responsable agricole. J’ai fini première de promo », sourit-elle.
Car, même si dans la sphère familiale le fait qu’elle soit une femme ne pose pas de difficulté, son style et son parcours « pas communs font que je dois faire mes preuves. Dans un premier temps, quand des personnes du milieu me rencontrent, ils sont un peu surpris par mes tatouages par exemple. Mais une fois que l’on discute, ils voient que je maîtrise. »
D’ailleurs, son parcours artistique, elle s’en sert aujourd’hui pour « casser les codes du lin. Je propose des kimonos en lin, sur lesquels je peins à main levée des dessins, dans l’esprit d’un tatouage. Ce sont des pièces uniques. J’aimerais aussi développer une ligne où cette fois, ce serait des impressions de dessins que j’ai réalisé. Mais ce n’est pas encore fait ! » Des projets, la trentenaire n’en manque pas.
En effet, l’année dernière, Marion Dewynter décide de lancer, en expérimentation, la culture de chanvre textile. « Il y a 26 ans, mon grand-père Michel en avait planté 80 ha ! Mais il était trop précurseur et la demande en face n’était pas là. Surtout, au moment de la récolte, ça a été très difficile car nous n’avions pas l’outillage adéquat. On a dû finir à la main », se souvient Marion Dewynter, petite fille à l’époque.
Alors, c’est sur « seulement » 1,5 ha qu’elle se lance. Parallèlement, le fabricant d’engins agricoles Hyler, via Nills Baert, lance une machine dédiée à la récolte du chanvre. « Si vous aviez vu les yeux de mon grand-père quand il a vu ça ! Lui qui avait gardé un si mauvais souvenir du chanvre… Ça a tout changé ! » Pourquoi le chanvre ? « Il y avait une demande de la part des filateurs et c’est une culture dans l’air du temps qui ne nécessite ni intrants ni produits phytosanitaires. Je savais aussi que dans une rotation, c’était bien pour nettoyer les sols. On l’a vu de toute façon sur nos parcelles d’essais : là où le blé est le plus beau, c’est là où il y a eu du chanvre. » Aujourd’hui, elle a même créé un petit musée au chanvre et dédié 8,25 ha à la culture cette année.
En parallèle, Marion Dewynter consacre aussi du temps à l’entreprise de teillage. « Nous avons une centaine de clients (des producteurs de lin), répartis dans le Nord et le Pas-de-Calais. Notre travail consiste à les conseiller sur les semences, à les livrer puis à suivre les cultures jusqu’à la récolte, dont nous nous chargeons. Nous ramenons ensuite le lin ici pour le teillage. Enfin, il est revendu à des négociants qui le vendront à des filatures. » Un travail qu’elle a dû apprendre : « Cette période de transition sert à cela. Pour le moment, nous nous sommes partagé le travail avec mon père : moi le Nord, lui, le Pas-de-Calais. »
Pour la suite, les objectifs de Marion Dewynter sont simples : « Que l’entreprise reste familiale (une dizaine de personnes), développer un peu le chanvre et notamment réussir à maîtriser le teillage (point noir de cette culture, ndlr) et contribuer à développer cette filière oubliée mais qui revient. Pourquoi pas aussi développer plus de cultures… »
Si elle devait faire passer un message, ce serait que « les femmes aussi ont leur place dans ce milieu. Nous ne sommes que deux en France dans le teillage… Il faut ouvrir les esprits et aussi parler du lin et du chanvre au grand public. »
Le week-end, elle expose ses toiles (car oui, en plus elle est artiste plasticienne) en lin à la galerie du Passage à Cassel. « J’y ai toujours une poignée de filasse pour expliquer aux gens ! C’est un métier formidable où on apprend tous les jours. »
Eglantine Puel
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