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Timothée Dufour a grandi dans une famille issue du monde agricole. Si aujourd’hui, il continue de donner un coup de main dans la ferme familiale, son combat se trouve essentiellement dans les prétoires pour défendre les filières agricoles. Rencontre avec cet avocat qui n’hésite pas à enfiler ses bottes pour être au plus près de ce que vivent les agriculteurs au quotidien.
Dans ma famille paternelle, nous sommes marchands de bestiaux de père en fils depuis le XVIe siècle. Pendant longtemps, j’ai participé activement en tant qu’aide-saisonnier à toutes les tâches de la ferme. Ce qui m’a permis d’écouter, de comprendre et surtout d’être confronté aux réalités du terrain et aux difficultés économiques, administratives et juridiques auxquelles sont confrontés les agriculteurs. Je voulais devenir avocat depuis tout jeune. Cependant, mon fil rouge a toujours été de défendre les projets agricoles, d’être aux côtés de ceux qui nous nourrissent. C’est ce que je fais aujourd’hui dans les prétoires, c’est ma vocation.
Oui, la situation s’est accélérée. On assiste à une multiplication des conflits en milieu rural, comme cela ressort d’une lecture de plusieurs rapports parlementaires. Je pense que cela s’explique par différents facteurs. D’abord, nous sommes face à une urbanisation galopante avec une réduction constante des surfaces agricoles. Il y a également un facteur sociétal : suite aux confinements, certains se sont installés en campagne avec l’idée que c’est un endroit aseptisé et non un lieu de travail, alors que c’est un espace où il y a des sons, des odeurs… Et enfin, un facteur sociologique, on a de moins en moins d’agriculteurs autour de nous. Il n’y a plus de témoins de cette ruralité dans nos familles. Cela se traduit par une perte de repères.
J’essaie toujours d’encourager le dialogue et la conciliation. Aller sur le terrain, à la rencontre des protagonistes afin de les informer des concessions qui peuvent être faites de part et d’autre. Mais ces concessions ne doivent pas freiner les activités agricoles, il est évidemment hors de question de se plier à un cahier des charges qui limiterait ou encadrerait ces activités… Lorsque le contentieux est lancé, cela peut mettre des années à se régler. C’est aussi de l’argent et un stress supplémentaire pour les agriculteurs qui affecte tous les membres de la famille.
Ne nous limitons pas à aller au salon de l’Agriculture une fois par an. Tout le monde recherche une proximité alimentaire dans son assiette, il faut aller au contact de ceux qui nous nourrissent. Il faut travailler sur la cohabitation des uns avec des autres. Cohabiter, c’est le maître-mot de demain. La terre doit rester le support de notre souveraineté alimentaire. En parallèle, il faut aussi renforcer l’arsenal juridique. Des lois doivent rappeler les règles du jeu pour rassurer les agriculteurs afin de ne pas perdre davantage d’exploitations et rassurer ceux qui souhaitent s’installer. La loi du 29 janvier 2021 sur la protection du patrimoine sensoriel des campagnes françaises est un premier pas. Les sons et odeurs inhérents à la campagne sont désormais protégés. Les régions doivent mettre en place un inventaire cartographiant les activités et pratiques agricoles qui pourra être opposé en cas de litige. Une proposition de loi est par ailleurs en cours afin de protéger les activités agricoles préexistantes et leur permettre même de s’accroître. Car les agriculteurs sont des entrepreneurs, et comme tout entrepreneur ils doivent pouvoir se développer.
Le pouvoir législatif a compris qu’il y avait un véritable sujet. Éric Dupond-Moretti y est sensible et s’est montré très ouvert à protéger davantage nos agriculteurs. À l’issue de cet entretien, je lui ai remis une proposition de texte sur laquelle j’ai travaillé avec la FNSEA et les chambres d’agriculture afin de coller au mieux aux réalités du terrain. Une loi devrait être adoptée d’ici la fin de l’année.
1998-2016. Aide saisonnier dans la ferme familiale en polyculture-élevage située en Dordogne.
2016. Expatrié en Inde à l’ambassade de France en charge des problèmes agricole et énergétique.
2018. Premiers dossiers de défense de projets agricoles.
2022. Collaboration sur une proposition de loi renforçant la protection des activités agricoles existantes.
“C’est l’une de mes premières victoires.” Il faut dire aussi que dans ce conflit, le jeune avocat faisait face à un “poids lourd” dans le domaine : Corinne Lepage, avocate et ex-ministre de l’Environnement entre 1995 et 1997.
“Fabien Le Coïdic souhaitait installer une exploitation de vaches en bio dans un village rural des Yvelines”, raconte Timothée Dufour. Mais le futur agriculteur fait alors face à une levée de boucliers de plusieurs voisins qui s’opposent à cette installation, dont la célèbre éditrice Odile Jacob, défendue par Corinne Lepage.
Les opposants de ce projet invoquaient des nuisances visuelles, olfactives et sonores. En 2020, Timothée Dufour avait résumé cette affaire ainsi dans les colonnes de La France agricole : “Le litige illustre une double hypocrisie, celle des bobos qui veulent du bio dans leur assiette mais pas à côté de chez eux, et celle des néoruraux, propriétaires de maisons secondaires, qui recherchent un cadre de vie préservé des grandes villes mais refusent toutes ses composantes, dont l’exercice d’activités agricoles.”
Après une longue bataille judiciaire de trois ans, Fabien Le Coïdic a finalement obtenu gain de cause auprès des tribunaux.
“Mais à quel prix, regrette Timothée Dufour, cela a été source de stress pour lui et sa famille, son projet a pris du retard et, avec le Covid qui est passé par là entre temps, ses devis sont périmés et le coût d’installation de son exploitation a augmenté de 50 %.”
Hélène Graffeuille
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