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Pour trouver l’entreprise Lutun à Oye-plage, il suffit de faire confiance à son odorat. Du bâtiment industriel se dégage un parfum chaleureux. Et pour cause, ici, la racine de chicorée séchée caramélise doucement dans de grands fours. L’objectif : obtenir ce goût et cette couleur caractéristique de la boisson du Nord.
En France, il n’y a plus que deux torréfacteurs, annonce fièrement Agnès Lutun qui a racheté l’entreprise en 2020 avec son mari. Si l’entreprise est entre les mains de la famille Lutun depuis quatre générations, sa spécialité, elle, a changé. « Mon arrière-grand-père était sécheur en 1934, révèle la cheffe d’entreprise, montrant le bâtiment en face de l’usine. À l’époque, il y avait près de 300 sécheries dans la région. Quant à la torréfaction, elle se faisait facilement dans les petites villes et même à la ferme à toute petite échelle. »
La centralisation des outils de séchage et à la particularité du métier nécessite une très forte immobilisation financière. Le père d’Agnès décide alors en 1985 de se tourner vers la torréfaction qui, elle aussi, se raréfie.
« Nous travaillons avec un sécheur situé à Saint-Pierre-Broucke qui travaille lui-même avec une soixantaine de producteurs, précise Agnès Lutun. C’est lui qui lave, enlève les feuilles, découpe et assèche la racine de chicorée. En faisant baisser le taux d’humidité de 80 à 12 %, on obtient une cossette. » Grâce à ce produit sec, stabilisé et non périssable, Lutun peut travailler toute l’année.
Plante bisanuelle, la chicorée, produite principalement dans le Nord et en Belgique, est récoltée pendant la période de dormance à l’automne : « C’est là qu’elle est la plus riche en inuline », précise Agnès Lutun. Puis, c’est lorsqu’on la porte à température que cette longue fibre de fructose libère les sucres et son goût. Un procédé bien particulier « bien plus technique que pour transformer les graines de café, précise la cheffe d’entreprise, en particulier parce qu’on ne peut pas travailler sur des petites quantités. On est une entreprise de patrimoine vivant. Mon père travaille encore avec nous car, techniquement, c’est assez lourd. Les machines ont été transformées, inventées, adaptées spécialement… Imaginez : il n’y a que deux outils en France, si vous écrivez où trouver un torréfacteur de chicorée en France sur Internet… ça n’existe pas ! »
« On est tout petit mais bien présents ! », revendique la cheffe d’entreprise qui exporte ses produits dans le monde entier. L’Europe, les États-Unis, l’Australie majoritairement.
Sous le grand hangar du bâtiment Lutun, un camion vient régulièrement livrer la matière première, la fameuse cossette produite en région, ou parfois importée en fonction de la saison, sur un immense tapis relié aux torréfacteurs. Ces fours reçoivent chacun une tonne de matière première pour un cycle de torréfaction de plusieurs heures à haute température. « C’est là que se déroule l’hydrolyse (les sucres sont coupés, ndlr) puis la réaction de Maillard, le brunissement des sucres. » C’est lors de cette étape que les goûts et les couleurs se développent. « On peut avoir différents niveaux de torréfaction, assez léger pour le marché français et beaucoup plus élevé pour le marché américain par exemple », précise Agnès Lutun.
Les produits sont ensuite répartis dans deux refroidisseurs qui vont permettre de baisser la température. Juste à côté, la chicorée torréfiée est apportée en salle de concassage. Sorte de gare de tri composée de cylindres et de tamis.
« L’intérêt est d’avoir différents types de clients avec des demandes particulières parce que quand on coupe un gros morceau on va avoir deux moyens et plein de petits, il faut alors pouvoir les assembler pour avoir le moins de chutes possible », précise la cheffe de l’entreprise Lutun qui revendique son savoir-faire : proposer un produit fini parfaitement adapté aux demandes différentes des clients.
Chicorée grain pour la grande distribution, chicorée liquide pour le B to B, chicorée en petite granulométrie (0,8 à 1,6 mm) pour l’industrie des thés et tisanes en France comme à l’international… De quoi donner de la cossette à moudre aux neuf personnes qui travaillent ici à l’année.
Agathe Villemagne