« Ils l’ont fait alors qu’ils n’avaient pas un kopeck et nous ne pourrions pas le faire aujourd’hui avec tout l’argent qu’il y a ? » « Ils » : c’était Ambroise Croizat, père de la sécurité sociale, et ses acolytes dont notre orateur, ancien élu de l’Audomarois, se réclame l’héritier politique. Comme l’assemblée qui l’entoure ce mardi-là, il pense que le droit à (bien) se nourrir devrait être universel, tout comme celui à se soigner a été gravé dans le marbre au sortir de la Seconde Guerre mondiale par la création de la Sécurité sociale.
C’est cette idée qui a sous-tendu les échanges lors du séminaire sur l’autonomie, la justice et la démocratie alimentaire organisé par la ville de Grande-Synthe le 25 mars dernier. « Parce que là où l’alimentation apparaît parfois comme une variable d’ajustement économique, nous y voyons un droit inaliénable d’autonomie et de conquis sociaux« , a introduit Karima Touil, adjointe déléguée à la transition écologique et sociale de Grande-Synthe. Son maire, Martial Bayaert, a rappelé comment la Communauté urbaine de Dunkerque (CUD) avait été l’une des premières intercommunalités de France à inclure un volet santé dans son plan local d’urbanisme (PLU) et comment, dans cette ville, on militait pour le revenu universel. Voilà pour le terreau.
Autre point de départ de la réflexion ce jour-là : les résultats d’une étude portée par le Secours catholique et la fondation Caritas avec le réseau Civam, Solidarités paysans et la Fédération française des diabétiques intitulée « L’injuste prix de notre alimentation. Quels coûts pour la société et la planète ? » Le rapport, présenté par l’une de ses autrices, Marie Drique (Secours catholique), « décortique notamment les logiques des industries agroalimentaires et de la grande distribution« . Après un rappel de la philosophie du Secours catholique, rejoint par de nombreuses associations, de la nécessité d’une alimentation digne pour tous, où l’aide d’urgence (la distribution alimentaire pure et dure) apparaît nécessaire mais pas suffisante, Marie Drique a résumé : « Ce qui coûte cher en réalité, ce sont les impacts santé liés à une mauvaise alimentation.«
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19 milliards d’euros, c’est, au grand minimum, le coût estimé des dépenses faites pour réparer ces impacts : 12,3 milliards d’euros qui financent la Sécurité sociale (dont 11,7 milliards d’euros pour les maladies liées à la mauvaise alimentation), 3,4 milliards d’euros de réparations environnementales, 3,4 milliards pour les impacts sociaux économiques et « seulement » 400 millions d’euros pour la biodiversité. Or, il y a une incohérence à, à la fois, soutenir un système qui rend malade et à financer la réparation, estime la responsable alimentation digne au Secours catholique.
« Ces chiffres, largement sous-estimés, ne sont que la pointe de l’iceberg, prévient Marie Drique qui fait le compte : 19 milliards de réparations + les autres coûts inestimables (elle pense notamment au sentiment de honte, à la perte d’estime de soi quand on doit se nourrir auprès des banques alimentaires, ndlr) + 48,3 milliards d’euros pour soutenir le système alimentaire actuel (dont 20 % d’aides PAC, ça laisse une belle marge de manœuvre à l’État) = 70 milliards d’euros. » Voilà, selon elle, le véritable coût de notre alimentation.
« Un constat catastrophique » qui, « bonne nouvelle » dit-elle, « offre une grosse marge de progression. L’alimentation est un sujet collectif, un sujet politique. Un sujet très enthousiasmant » de fait. Et de préciser qu’on se concentre beaucoup sur les producteurs, beaucoup sur l’action individuelle mais qu’on oublie trop souvent le reste du système : les distributeurs, les industriels et les communicants : le budget publicitaire pour l’alimentation, c’est 5 milliards d’euros, mille fois plus que le budget alloué aux campagnes de prévention.
Le coût est aussi éminemment politique, rappelle l’associative qui observe que « l’impossibilité à répondre à cette injonction de consommer différemment ajoute au sentiment d’exclusion, qui nourrit lui-même la défiance politique en renforçant le sentiment d’être des citoyens de seconde zone« . Quant aux agriculteurs, aux producteurs, même sentiment quand on observe la déconnexion totale entre la valeur du produit acheté au producteur et son prix de vente : « Le prix d’achat a été divisé par deux en 25 ans sans que cela se traduise dans les rayons : une injustice fondamentale« , juge Marie Drique qui se réjouit du soutien de la loi-cadre sur l’alimentation, en février dernier, d’une centaine de parlementaires.
Le rapport fait des recommandations : créer une nouvelle boussole qui fixe le droit à l’alimentation comme cap ; lutte contre la précarité ; massification de la transition agroalimentaire et action sur le commerce international, les accords commerciaux ayant des conséquences directes sur nos assiettes. Encore une meilleure réglementation de la publicité, un encadrement des marges, une plus grande transparence sur les prix et une stratégie nationale forte en termes d’alimentation santé dont la sécurité sociale alimentaire pourrait être l’outil. Des caisses sociales alimentaires sont expérimentées sur les territoires, du petit village du Vaucluse au 20e arrondissement de Paris. Comment, combien, c’est la question qui viendra ensuite mais il faut d’abord répondre à la première : (bien) se nourrir est-il un droit universel ?
Justine Demade Pellorce
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par Justine Demade Pellorce
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