
Au cœur du marais de Guînes, ce quartier entre terre et eau à quelques kilomètres de Calais, une grille donne sur un vaste écosystème. Là, entre les maisons d’habitation, quelques serres poussent parmi les herbes hautes. Les tomates ne rougiront peut-être plus beaucoup, mais plus loin les poireaux sont sagement en rang. Ici, au bout de la rangée, une kassine, cet équipement mécanique pouvant être doté de tous les outils – grosses dents, étrille, sous-soleuse, disques… – et attelée à un âne. Plus loin encore, là où leurs sabots les ont menés, trois ânes justement, se repaissent de la végétation luxuriante. Nous sommes à la ferme FOOD, pour Ferme organique œuvrant pour la biodiversité. Bien plus qu’un slogan, une philosophie.


À la tête de ce petit univers, Loïc Lavoye, 27 ans. Originaire de Coulogne, à quelques petits kilomètres de là, il s’est d’abord imaginé devenir professeur de sport. « Mais la fac, ce n’était pas pour moi, j’avais besoin d’être dehors », résume celui qui, se qualifie de « gamin des rues ». Dehors depuis toujours, avec les copains ou en famille. Le jeune homme opte alors pour un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole (BPREA) en Normandie.
Diplôme en poche, il achète un camion et part faire son tour de France, pour « voir ce qui (lui) plaît ». Tarn, Bourgogne, Normandie ; permaculture, maraîchage bio… C’est sur ce projet qu’il s’arrête, aimant l’idée de « proposer une nourriture saine à une population vraiment locale : on sait qu’on n’empoisonne pas les gens, au contraire on les guérit un peu. La santé est dans l’assiette comme on dit. » Le vingtenaire aime aussi l’idée de travailler à son compte, et de se caler sur les saisons. « J’aime la diversité rythmée par les saisons, et l’idée de ne pas pouvoir aller contre. Cette nécessité naturelle de s’organiser en fonction du soleil et qui interdit la routine », savoure-t-il chaque jour.
En rentrant et pour se laisser le temps de trouver le bon terrain, il s’installe d’abord comme paysagiste, à son compte. Et ça marche très bien. Si bien que lorsqu’il s’installe en maraîchage six mois plus tard, il choisit de poursuivre les deux activités. « Ça m’enlève une pression financière. La plupart des maraîchers que je connais ont commencé par passion et arrêté à cause de l’argent », observe le jeune homme. En 2021, un appel à candidature est lancé par la mairie de Guînes, pour installer un maraîcher bio au cœur du marais (on remarquera la racine commune aux deux mots). Loïc est retenu.
« J’aimais notamment l’idée de m’installer au cœur d’un quartier, et de voir du monde tout le temps », dit le jeune homme qui trouve bientôt une autre compagnie : celle des ânes. Avant de s’installer, il s’est formé chez Antoine Maguire, à Saint-Inglevert pas très loin de là, chez qui deux ânes aident au travail du sol, etc. Quand Antoine doit arrêter net son activité, il propose à Loïc d’accueillir les ânes qui le rejoignent sur son exploitation après un an et demi en solitaire.
Depuis, le puissant Benji et le précis Teola – deux mâles aujourd’hui âgés de 16 ans (la pleine adolescence pour les ânes qui peuvent vivre jusqu’à 40 ans) – ont été rejoints par Philomène, la plus délicate femelle – « il faut la voir avec les enfants, c’est impressionnant », salue Loïc. Depuis, ils participent à débroussailler le terrain, servent au travail du sol : plus petit et moins lourds, mais aussi capables de marcher en ligne contrairement aux chevaux, les ânes sont de redoutables aides. « Je dois cultiver 6 000 m2, j’ai aussi un verger de pommiers et poiriers, quelques serres pour les semis, les tomates et, bientôt, le retour des poules évacuées l’hiver 2023 parce qu’elles flottaient littéralement dans la parcelle inondée. »
Plus rustiques que les chevaux, que la taille de la parcelle de deux hectares rendrait malheureux, les ânes sont aussi plus solides pour supporter l’humidité du marais et pour manger tout ce qui leur tombe sous la dent ou presque. Ici, Loïc a un temps essayé de parquer les animaux avant de comprendre qu’il avait tout intérêt à parquer ses légumes, les bêtes trouvant toujours le moyen de se sauver. « Ils ne font des bêtises que lorsqu’ils s’ennuient », les excuse-t-il.


Depuis les inondations de l’hiver 2023, qui avaient tout emporté ici, Loïc Lavoye cultive sur buttes : ça favorise le drainage de la terre et permet aux plantes d’aller chercher l’eau où elle se trouve. En guise d’amendement, du fumier de cheval et, what else ?, d’âne. Des fruits et légumes de saison de pleine terre ou sous serre, de mars à novembre, dont quelques-uns sont aussi transformés – les pommes en jus ou les courgettes en soupe. Commercialisant jusqu’ici sa production au marché de Guînes, le maraîcher passera à un système de paniers au printemps prochain. Cultivant, aussi, l’ouverture, il accueille volontiers du public comme les écoles buissonnières de la SAP (association calaisienne d’écotourisme) ou, chaque année en septembre, la Teuf des ânes : une journée festive où balades en âne et concerts donnent encore plus vie au 1 341 chemin du 2e banc. Une adresse où grouillent grenouilles et tritons, libellules et musaraignes. Un joyeux écosystème, entre terre et eau.
Justine Demade Pellorce

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par Justine Demade Pellorce
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