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Quatre kilos, 2 500 pages. Un beau bébé de papier. Celui-ci ne porte pas un seul nom, mais 9 000. Rédigé par une équipe de bénévoles, Le livre des 9 000 déportés de France à Mittelbau-Dora (éd. Cherche Midi, 45 €) repose enfin sous le dôme de La Coupole d’Helfaut (62). Et pour cause : les 9 000 Français (dont quelques centaines des Hauts-de-France) déportés dans ce camp de concentration allemand – moins connu qu’Auschwitz mais pas moins terrible – sont, pour bon nombre d’entre eux, morts en produisant des missiles V2 qu’Hitler voulait lancer depuis Helfaut vers l’Angleterre, la Belgique, ou même Paris. L’arrivée des Alliés ne lui en a pas laissé le temps. Et le sort des 9 000 Français déportés sur cette terre hostile, lui, était jusqu’ici resté hors des radars de l’Histoire.
« J’ai toujours été très attachée à Dora, je ne sais pas pourquoi, explique d’une voix douce et intarissable Joëlle Helleboid, agrégée d’histoire et l’une des autrices de 1 535 des 9 000 notices, les résumés des vies contenues dans l’ouvrage. J’ai su tard que mon père avait travaillé à La Coupole, les Nazis l’ont réquisitionné avec son seul cheval pour charrier les débris du chantier… Il y a une omerta sur le camp de Dora, même les programmes scolaires le méconnaissent, alors qu’il a été essentiel au Reich. Les nazis consignaient tout, mais ont tout brûlé avant de partir.Après la guerre, les principaux ingénieurs du projet V2 ont été récupérés par les Américains pour travailler à la conquête de l’espace. L’État-major et les gouvernements des États-Unis ont contribué à étouffer cette histoire, et celle du camp. Puis, dans les années soixante, quand l’extrême-droite est revenue en politique, des associations de familles de déportés se sont manifestées et on a ressorti Dora des oubliettes. On ne donne souvent comme exemple de camps de concentration qu’Auschwitz. Or Mittelbau-Dora, en service dès septembre 1943, était à tous points de vue un camp d’extermination, non pas d’un peuple, mais par le travail. C’est le sous-titre de notre livre. »
De septembre 1943 à avril 1944, il y a eu jusqu’à 60 000 déportés à Dora en même temps, parfois par – 20 °C dehors. Français, Polonais, Russes… Les récits de leurs vies ont été nourris par le travail de sept ans d’une petite équipe de bénévoles coordonnés par Laurent Thierry, historien de La Coupole. « Nous avons résumé l’essentiel de leur vie de leur naissance à leur retour de déportation ou à leur mort à Dora, ou dans des camps annexes. Plus qu’un livre d’histoire et pédagogique, c’est pour les familles, un livre mémoriel. »
Sœurs, neveux, petits-enfants, filles ou fils de déportés plus ou moins au fait de l’histoire familiale… Joëlle Helleboid a contacté beaucoup de familles, et même rencontré trois anciens déportés, « presque centenaires ! » Des rencontres qui ne laissent pas de marbre. « Il y a eu des remerciements, même si on ne fait pas ça pour ça, confie l’historienne avec une émotion contenue. Mon mari en parle encore : la première chose que je faisais en me levant c’était d’écrire. Parfois je le faisais même la nuit, car on devient vite insomniaque à parler de tout ça. Écrire une vie, puis une autre… Témoigner pour eux. J’avais l’impression qu’ils revivaient déjà. C’est simple, dans l’équipe de bénévoles, nous parlons tous de nos notices en disant ” mes déportés”. »
L’ouvrage a déjà été offert par l’éditeur à 750 familles des déportés de Dora en France, sur les 1 500 identifiées à ce jour. Un autre exemplaire du livre devrait être déposé l’an prochain en avril 2022 dans le musée du camp de Dora. « Il n’y a pas de monument pour les 9 000 déportés de France à Dora… Ce livre, c’est un mémorial de papier. »
Lucie De Gusseme