« Le dunosaure. » Voilà comment David, jeune garde du littoral employé par le Département du Nord, qualifiait récemment Fabrice Truant. Un surnom mêlé de respect et d’humour qui n’était jamais arrivé aux oreilles du fossile, donc, mais qui l’amuse beaucoup.
Et l’oblige à nous expliquer son parcours. Nous sommes en 1963 et ses parents habitent Petite-Synthe (59) : son père, fils de paysan – il tient au terme – a choisi l’usine plutôt que les champs comme beaucoup de jeunes de la campagne alors. « Je me souviens des étés chez mes grands-parents, des foins que mon grand-père faisait avec son cheval, des œufs et des volailles que ma grand-mère vendait au marché de Bourbourg : on n’a pas inventé le circuit court, il a toujours existé », replace le jeune sexagénaire qui évoque encore ce souvenir : « Tous les ans, en septembre, la famille se mettait en ligne dans les champs et ramassait les patates à la main. Imaginez, sept enfants multipliés par trois ou quatre gamins. » Un bon souvenir, peut-être même la petite graine qui germerait plus tard. Allez savoir.
Toujours est-il que de retour du service militaire, en 1984, avec un « parcours scolaire un peu cabossé », le vingtenaire décide de postuler à cette annonce énigmatique : « On recherche gardes nature à Dunkerque ». Déjà un paradoxe, parce qu’à Dunkerque à l’époque – et on y revient – on construit des usines. Et puis ce métier, nouveau, commence par échapper à tout le monde : ceux qui recrutent comme ceux qui postulent. Même à ceux qui sont embauchés.
« La communauté urbaine de Dunkerque (CUD) est l’une des premières a s’être constituée de manière volontariste 15 petites années après la guerre grâce à cette prise de conscience que l’État imposant l’implantation d’un complexe industriel de plus de 5 000 hectares, monstrueux, il fallait s’organiser pour préserver ce qui pourrait l’être, à l’est du territoire. C’est comme ça qu’elle commence à acquérir les dunes, parcelle par parcelle », salue encore aujourd’hui Fabrice Truant qui est embauché par la CUD en 1984.
« Je prends vite conscience de la tâche passionnante qui s’annonce. Je découvre un écosystème : le propriétaire des terrains (le Conservatoire du littoral qui arrive très vite et à qui la CUD cède les terrains, ndlr), et le gestionnaire (la CUD jusqu’en 1991 puis le Département). Et j’écoute, les discours des spécialistes, dont je ne suis pas, qui débattent sur la nécessaire intervention de l’Homme dans le milieu naturel ou non », rembobine celui qui deviendra écologue à force de formation, autodidacte d’abord puis plus formelle ensuite.
Milieu des années 80, Fabrice Truant prend attache avec les autres gardes du littoral avec qui il écrira la fiche d’un métier en cours de création. Ils sont une dizaine alors, ils sont 900 aujourd’hui. Sur le terrain, le pionnier décide de tenter quelque chose : débroussailler quelques mètres carrés avec son sécateur, puisque certains disent que la dune doit bouger et rester ouverte. « Ça n’engageait à rien. L’année suivante, des nouvelles fleurs ont poussé, j’ai acheté des bouquins. J’ai débroussaillé un peu plus, et rebelote. »
Une expérimentation, sans dogme, à l’instinct nourri de curiosité et de l’écoute des uns et des autres, et voilà le processus enclenché. Le premier bilan écologique de la dune Marchand est réalisé, suivi d’un plan de gestion qui préconise la poursuite de l’ouverture des milieux. « Quand ils ont vu les résultats, le Conservatoire national botanique de Bailleul a demandé qui avait fait ça. J’ai cru que j’allais me faire engueuler mais ça a été l’inverse. On ne savait pas, on essayait », résume Fabrice Truant.
Quand le Département reprend la gestion des espaces naturels sensibles que sont les dunes en 1991, notre défricheur suit. « C’est l’époque des grands travaux de débroussaillement et de la professionnalisation de notre métier », synthétise celui qui évoque son modèle pour toujours : l’ingénieur en écologie Guillaume Lemoine, salarié du Département du Nord, qui lui donne les moyens. L’espace naturel grandit à mesure que les dunes du Perroquet, Dewulf et fossile sont intégrées, la carrière de notre ouvreur de dunes passe par la case responsable d’équipe – « normal, j’étais le premier », relativise-t-il – puis celle de chargé de mission du Département.
2001, la CUD cherche un écologue pour gérer le millier d’hectares d’espaces naturels qui la parsèment. « J’y suis allé, pour déployer ailleurs la philosophie que nous avions développée au Département ainsi que la méthode : état des lieux, programme d’actions. » Ses promotions l’ont éloigné du littoral et du terrain pour l’enfermer de plus en plus souvent dans des bureaux lillois. Là il retrouve l’ambiance des dunes, leurs lumières, tous les week-ends.
En 2010, Fabrice Truant prend la direction du service cadre de vie : 60 personnes qui gèrent tous les grands espaces de nature du Dunkerquois. « Et là, succéder à celui qui m’avait offert mon tout premier poste, ça me fait quelque chose », exprime le jeune retraité qui se défend, et il a tort, de toute idée de fierté. D’autant que son action ne s’arrête pas là : le précurseur suggère la création d’un service qui accompagnerait l’implantation de l’activité. « En application de la loi ERC (éviter, réduire, compenser, ndlr), il y avait un maillon manquant entre les services de l’État et les porteurs de projets économiques et industriels en particulier. Le bureau local de la biodiversité est né en 2019 incarnant une nouvelle prise de compétence de la CUD. » Retraité depuis le 1er janvier, Fabrice Truant continue à arpenter les dunes en chair et en os. Toujours pas sous forme fossile.
Justine Demade Pellorce
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par Justine Demade Pellorce
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