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Son premier coup de gueule sur la toile, c’était fin 2017, en réaction à une vidéo de Rémi Gaillard qui compilait des images de traite robotisée et d’humains frappant des bovins. Le vétérinaire de Liège se filme, et tonne dans son collier de barbe noire : « Ta vidéo est idiote, Rémi, car elle mélange mécanisation et maltraitance animale. Dans les exploitations robotisées, il se trouve que les vaches sont en réalité bien moins stressées. »
Spécialiste des ruminants depuis plus de dix ans, Léonard Théron ne comprend pas qu’on stigmatise ceux qui nous nourrissent : « C’est dangereux d’attaquer des éleveurs qui ne maîtrisent ni leurs prix de vente, ni leurs marges, ni même leurs façons de travailler. La politique qui dicte leurs méthodes est le fruit du désir de la société. Ceux qui se suicident tous les jours, ce ne sont pas les défenseurs de la cause animale, mais les agriculteurs. »
C’est à Tahiti, pas vraiment une terre d’élevage, qu’il grandit. « Mon grand-père était météorologue sur des sites de tirs nucléaires… et mon père farouchement antinucléaire ! », s’amuse-t-il en faisant sourire ses yeux bleu lagon. Une licence en biologie moléculaire l’amène à Paris VII, puis il intègre l’école vétérinaire de Liège qu’il termine en 2007. C’est le coup de foudre pour le monde rural.
« M’occuper des vaches comme faisant partie d’un système où elles doivent se sentir le mieux possible – car une vache productive est une vache qui va bien – m’a toujours paru très vertueux. » Un postulat qui donne du recul à Léonard Théron, aujourd’hui manager pour la société pharmaceutique espagnole Hipra sur les questions d’environnement souvent soulevées par les détracteurs de l’élevage.
« Sans taxation carbone, les alertes successives ne dissuaderont pas les gens d’acheter sur Amazon ni de prendre l’avion, avance-t-il. En revanche, ils modifient leur alimentation et mettent notre système agricole à mal. On oublie qu’il n’est pas tombé d’un chapeau : il date de la réforme agraire qui a donné lieu à la Renaissance et visait à répondre aux années de faibles rendements du Moyen-Âge, souvent cause d’épidémies ou de guerres. Dans ce système, l’animal a toute sa place car la culture qui rend l’azote au sol, comme la luzerne ou le ray-grass, sert aussi de fourrage. »
« Ce ne sont pas les défenseurs de la cause animale qui se suicident tous les jours, ce sont les agriculteurs. »
Malgré tout, il reste optimiste. « Le problème des projections climatiques, c’est qu’elles font comme si, d’ici 2050, on émettra toujours autant de CO2. Je crois en la science, en la capacité de l’homme à relever ses propres défis. L’agriculture est l’un des seuls secteurs à pouvoir encore faire des économies de carbone conséquentes, même si elle en a déjà fait plus que les autres. »
Quant aux vegans dont le message est largement relayé par certains médias : « Si on débranche Internet et qu’on prend simplement les quantités de protéines animales qui sortent des fermes, rien ne change, malgré tout ce que les gens racontent de leur consommation. Et puis, le fait qu’ils servent les intérêts des industriels de la viande synthétique est en train de sortir dans la presse. En revanche, cela apporte de nouvelles réflexions pour améliorer l’élevage : a-t-on besoin de faire venir nos intrants de l’autre bout du monde par bateau ? Est-ce juste que nos vaches n’aient que 2,5 lactations de moyenne, ne pourraient-elles pas vivre un peu plus longtemps ?… »
Quels que soient les choix de société qui se profilent, pour le vétérinaire, une chose est sûre : il faut protéger le savoir-faire agricole européen. « C’est l’agriculture sédentaire la plus ancienne au monde. Jordanie, Égypte… tous les autres bassins agricoles historiques sont asséchés. Les Européens cultivent leur sol depuis plus de 1 000 ans. La seule chose qui le détériore durablement ce n’est pas l’agriculture, mais la ville qui artificialise des terres de façon irréversible. L’agriculture européenne devrait être classée à l’Unesco ! »
Lucie De Gusseme