Actualité
02-04-2025

Rokhaya Diallo : « Nous assistons à un retour de bâton post-me too »

La journaliste militante Rokhaya Diallo a présenté son Dictionnaire amoureux du féminisme le 20 mars à Dunkerque.

A travers son Dictionnaire amoureux du féminisme (Plon), Rokhaya Diallo a défini ses combats : féministes, antiracistes et pour les droits des minorités en général à Dunkerque le 20 mars 2025. © J. D. P.

« Si je ne peux pas danser, je ne ferai pas partie de votre révolution ! » C’est en citant la militante anarchiste et féministe Emma Goldman (1869-1940), que la journaliste et essayiste Rokhaya Diallo explique combien, pour elle, « la joie est consubstantielle du féminisme ». Hyper renseignée sur la question – elle l’étudie et l’enseigne depuis des années, a écrit des livres et réalisé des documentaires sur le sujet -, elle a embarqué son auditoire le 20 mars à Dunkerque, devant une salle archi comble et ultra-comblée de l’écouter raconter son engagement, féministe et antiraciste.

Élevée dans un quartier populaire de Paris, la quadragénaire dit s’être « érigée en femme engagée ». Dans une dizaine de livres, des documentaires, des articles notamment publiés dans de grandes publications internationales, ses interventions lors de conférences ou sur des plateaux télé où elle s’enorgueillit d’être « l’antidote aux « féministes » réacs qui squattent CNews, BFMTV » et consorts, elle milite « contre le racisme, le sexisme et pour les droits des minorités en général ». Elle a présenté son tout récent Dictionnaire amoureux du féminisme (Plon).

Sa mère, cette héroïne

Ses inspirations ? En tête, sa mère, la première héroïne de celle qui milite pour « l’inspiration de proximité ». Aussi, dit-elle, « il est important de connaître l’histoire », de se souvenir de ces combats de femmes qui ont fait avancer la cause même si on est encore bien trop loin de la ligne d’arrivée.

« C’est ça aussi le féminisme, redire que la façon dont on raconte l’histoire est genrée », pense Rokhaya Diallo.

Impossible de faire l’impasse sur Angela Davis, « africano-amériaine communiste poursuivie à tort pour meurtre aux États-Unis dans les années 70 », devenue symbole du féminisme, et de l’afroféminisme en particulier, ou sur Gisèle Halimi, « avocate, figure du féminisme qui se battra pour le droit à l’avortement et contre le viol ». Quelques femmes parmi toutes celles qui ont fait l’histoire mais qui trop souvent ont été oubliées, ou effacées, des livres d’histoire trop souvent écrits par des hommes (relire notre portrait d’Hervé Leroy et de ses Femmes inouïes des Hauts-de-France). Rokhaya Diallo rappelle le livre essentiel de Titiou Lecoq, Les Grandes oubliées, pourquoi l’Histoire a effacé les femmes (paru en 2023 chez Collection Proche). « C’est ça aussi le féminisme, redire que la façon dont on raconte l’histoire est genrée », pense-t-elle.

« Mais on peut trouver des éléments féministes dans les productions plus contemporaines aussi », prévient celle qui a réservé, dans son dictionnaire, une entrée à Wonder woman au même titre que Simone de Beauvoir ou Simone Weil. La grande amatrice d’animés japonais va aussi voir du côté de personnages féminins de mangas, et n’oublie pas de mentionner les Diams, Rihanna et autres Janet Jackson qui, malgré leur notoriété et à cause de leur exposition, « ont souffert de biais sexistes ». La journaliste rappelle combien une Britney Spears superstar était exploitée par son père entre autres exemples.

La question de la langue

Regarder du côté des femmes ne suffit pas pour dire le monde à hauteur de femme. C’est là la question de la langue, sur laquelle se penchent notamment les linguistes Laélia Véron ou Maria Candea. « La langue française est genrée et certains noms de métiers n’ont pas de féminin. Ou plutôt n’ont plus de féminin car cette forme a existé au Moyen-Âge parfois, avant d’être effacée », relate Rokhaya Diallo. En cause, la très conservatrice Académie française.

Une invisibilisation aussi permise par des femmes, quand elles se veulent Madame LE ministre ou avocat sans e. « Les agents du patriarcat peuvent aussi être des femmes », déplore la journaliste qui pense en creux à « ces femmes qui se disent féministes et écrivent des bouquins pour dire que Me too est allé trop loin ». Elle raconte aussi comment certains hommes pensent avoir le droit de penser, et de proclamer, que leur féminisme à eux est plus valide que le sien à elle. « Alors que, outre le fait d’avoir passé toute ma vie dans un corps de femme, j’ai aussi longuement étudié la question et que j’en ai fait mon travail », semble devoir rappeler Rokhaya Diallo.

« Retour conservateur »

Pour elle, « nous assistons à un retour de bâton post-Me too, comme il a pu en exister dans les années 80 après les mouvements de libération de la femme : une forme de retour conservateur. » Et c’est comme ça qu’on retrouve « un type qui fait reculer le droit des femmes élu à la tête de la première puissance mondiale », dit-elle sans avoir à le nommer. Ni lui ni ses copains, en Argentine ou en Italie pour n’en citer que quelques-uns. Et une, puisqu’on a dit qu’être une femme ne préserve pas (toujours) d’être sexiste. Tout comme « la richesse ne protège pas du racisme », affirme-t-elle avec deux exemples : les joueurs de foot millionnaires qui reçoivent des cris de singe ou l’ancienne ministre Christiane Taubira, brillante, victime du même type d’agression.

Point commun avec le sexisme ? Une exclusion par la domination, et on vous laisse imaginer quand on est femme ET noire. Elle évoque encore la culture du viol, « tous les mécanismes qui rendent possibles et acceptables les violences sexuelles ». Et pour contrer tout ça, Rokhaya Diallo pose « la connaissance et l’éducation ». Et la nécessité de ne pas rester à sa place, mais d’aller arracher celle que l’on veut. Elle, revendique la fin de la douce soumission féminine.  

Justine Demade Pellorce

Partager l'article

Dunkerque Hauts-de-France livre nord

Dans la même rubrique

Actualité

Dominique Dupilet : « Le Pas-de-Calais, c’est un pays de culture et d’histoire »

Lire la suite...

Actualité

Arnaud Rollin, agriculteur et médiateur animal

Lire la suite...

Actualité

« Appliquer la loi dans un esprit de dialogue et d’écoute » : Laurent Touvet nouveau préfet du Pas-de-Calais

Lire la suite...

Actualité

Lili Keller-Rosenberg : déportée, survivante et passeuse de mémoire

Lire la suite...

Actualité

Fabrice Truant : à Dunkerque, les gardes qui lui ont succédé l’appellent « le dunosaure »

Lire la suite...
sénatrice © Marie-Claude Lermytte

Actualité

Marie-Claude Lermytte : « Le rôle d’une sénatrice, c’est d’être à l’écoute des autres »

Lire la suite...

Ecoutez son histoire !

par Justine Demade Pellorce

<< Gérante de la brasserie Thiriez, Clara parle de son parcours - venue pour 3 mois... il y a 11 ans ! >>

écouter