« La place accordée aux femmes dans l’histoire n’est pas proportionnelle à leurs apports », pose Hervé Leroy. Voilà pourquoi il a immédiatement accepté la demande de son éditeur, Le papillon rouge, de se pencher sur les destins des Femmes inouïes des Hauts-de-France, paru en avril 2024. Lui pour celles du Nord et du Pas-de-Calais, son confrère Didier Willot pour celles de Picardie et ce qui aura été plus compliqué au final, aura été de faire des choix. « Nous voulions respecter un équilibre territorial mais aussi un équilibre d’engagements, de sensibilités politiques », explique l’ancien journaliste aujourd’hui écrivain.
C’est comme ça qu’on retrouve une Martha Desrumeaux, « l’une des premières grandes dames admises au Parti communiste français », aux côtés de la fervente catholique Francine Cockempot « à l’origine de tous les chants scouts et autrice de la célèbre chanson Colchique dans les prés ». C’est ainsi que les résistantes, et il y en a eu beaucoup, côtoient artistes, scientifiques et autres femmes politiques.
Sans oublier les femmes de, qui sont souvent plus que ça. « On dit que derrière chaque grand homme il y a une femme, je n’ai pas pu faire l’impasse sur Yvonne De Gaulle. » Originaire de Calais, celle que l’on surnomma « tante Yvonne » a notamment tenu un rôle essentiel dans l’évolution de son mari à propos de la législation sur la pilule – qui avait commencé par prévenir « Nous n’allons quand même pas leur rembourser la bagatelle ! » – et a milité toute sa vie pour les droits des personnes handicapées, rappelons que le couple avait eu une fille porteuse de trisomie 21, Anne.
Les Hauts-de-France, parce que région frontalière, ont été une terre de batailles et de conflits, rappellent les auteurs. Or qui faisait tourner fermes et usines, familles et patrie quand les hommes étaient au front ? Les femmes évidemment, qui ne se sont d’ailleurs pas contentées de remplacer.
Dans leur avant-propos, les auteurs évoquent la Déclaration de la femme et de la citoyenne, rédigée en 1791 par Olympe De Gouges qui réclamait pour les femmes « le droit de monter sur l’échafaud » comme celui « de monter à la tribune ». Elle, sera guillotinée, comme beaucoup des femmes que raconte Hervé Leroy qui perdront la vie pour leurs engagements. Quelques-unes, trop peu et trop tard, monteront à la tribune.
Ce sont ces destins pris en main, de ceux (et ici celles) qui refusent de rester au point de départ que le Nordiste originaire de Lestrem aime s’emparer. Brièvement instituteur pour gagner sa vie alors que, « par rebellion », il décide d’arrêter les études entreprises à Lille pour s’extraire du milieu ouvrier dont il est issu, puis journaliste sportif et littéraire (de 1980 à 2000 à La Voix des sports et La Voix du Nord, « quelques belles rencontres et quelques belles aventures »), Hervé Leroy a toujours éprouvé un goût des autres dont son amour de l’écriture ne pouvait que se nourrir.
« Quand j’ai quitté La Voix du Nord, j’ai pris la rédaction en chef de Tohu Bohu, revue littéraire éditée par la Maison de la poésie avec laquelle je collaborais de longue date », déroule Hervé Leroy qui devient journaliste indépendant pour l’Équipe ou encore l’AFP.
L’insatiable collabore ensuite avec Light motiv, éditeur de beaux livres photos pour qui il rédige les textes sur des villes du Nord et du Pas-de-Calais, puis avec Le papillon rouge, une maison d’édition qui lance des collections en régions. C’est ainsi que notre auteur signe Histoires inouïes des Hauts-de-France ou encore Les gens du Nord qui ont fait l’histoire avant de zoomer sur les femmes extraordinaires. « Un hommage aux régions à travers les femmes et les hommes qui ont écrit leur histoire », savoure Hervé Leroy.
C’est d’ailleurs sur un hommage à des anonymes que s’achève le livre : Héléna, Sophie, Marie et toutes les autres, ces femmes de mineurs qui ont fait que le Louvre s’installe à Lens et pas ailleurs. 20 juillet 2004, c’est jour de visite officielle. Un brouhaha inhabituel anime l’ancien carreau de la fosse 9. Au bout du coron, Héléna, Sophie et les voisines qui buvaient un café au soleil, découvrent que le ministre de la Culture (Renaud Donnedieu de Vabres) étudie les possibilités d’implantation de l’antenne du Louvre en région.
Ces femmes-là, prises au dépourvu, lui racontent comment le Louvre rendrait hommage à leurs hommes, morts de la silicose ; comment les jeunes pourraient « apprendre à admirer » autre chose que le foot et qu’ils pourraient même peut-être « trouver du travail grâce au musée ». Un échange dont le ministre dira plus tard qu’il forgera sa « conviction que la nouvelle antenne du Louvre devait s’installer à Lens et pas ailleurs ». « Et ces femmes-là étaient au premier rang le jour de l’inauguration », sourit en large Hervé Leroy. Une première place. Souvent trop rare et trop tardive, que le livre vise à mettre en lumière.
Justine Demade Pellorce
« Incontournable ! », c’est ainsi qu’Hervé Leroy débute sa sélection de portraits de femmes. Il parle de Marguerite Yourcenar, « première femme élue à l’Académie française dans un contexte difficile », rappelle-t-il. Celle qui est née à Bruxelles et a grandi au Mont-Noir, autrice exilée aux États-Unis avec sa compagne, sera la première femme élue, en 1981 et après 346 ans d’existence de l’institution. Alors âgée de 80 ans, elle sera reçue par Jean d’Ormesson qui prononce ces mots : « Madame… Un mot inouï et prodigieusement singulier. » Et prévient, devant une assemblée mi rire mi colère : « Je ne vous cacherai pas, Madame, que ce n’est pas parce que vous êtes une femme que vous êtes ici aujourd’hui : c’est parce que vous êtes un grand écrivain. »
Martha Desrumaux est née à Comines en 1897 et se retrouve servante dans une grande maison de Faches-Thumesnil. Elle ne sait ni lire ni écrire mais elle ne supporte pas cette vie de servitude, s’enfuit à l’âge de 12 ans et se fait embaucher à l’usine. À 13 ans, l’âge légal pour travailler, elle s’encarte à la CGT et y restera toute sa vie. Élue parmi les premières femmes au PCF en 1929, elle luttera pour la cause des femmes qu’elle n’opposera cependant pas à celle de l’ensemble des travailleurs : elle joue un rôle considérable dans le Front populaire de 36, rôle qu’elle rejouera devant la caméra de Renoir. Une association lilloise milite pour l’entrée de Martha Desrumeaux au Panthéon, où elle serait la première ouvrière.
Et puis Suzanne Blain, de Bully-les-Mines, tuée pour actes de résistance. Comme Émilienne Moreau, « l’indomptable » de Loos-en-Gohelle. Et puis les artistes, Micheline Ostermeyer, concertiste internationale originaire d’Hesdin et trois fois médaille d’or aux JO de Londres en 1948, ou Jeanne Devos, la bonne du curé de Wormhout photographe. Et toutes les autres.
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par Justine Demade Pellorce
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