« C’était notre petit coin de paradis mais ça vire à l’enfer. » Laetitia Herstoen est locataire d’une maison située route de Clairmarais, à Saint-Omer. Quand elle a visité le logement il y a cinq ans, emballée par le joli jardin donnant sur l’eau, elle a bien vérifié qu’il n’y avait pas de risque d’inondation auprès de son propriétaire. Il lui a assuré que non. Et il disait vrai car jusqu’ici, le quartier ceint par le marais du Cordier n’avait jamais eu les pieds dans l’eau.
De mémoire d’ancien en tout cas. Dans ce rôle, Michel Dewalle, 81 ans. Il est né au 52 de la route de Clairmarais et il y vit toujours. « Des crues, j’en ai connu, dit-il, mais je n’avais jamais eu d’eau chez moi. En 2002, l’eau avait frôlé l’habitation sans entrer. Le 11 novembre dernier, j’ai dû me battre sinon j’aurais eu 30 cm dans la maison. » Pour ça, l’ancien maraîcher a construit des batardeaux devant ses portes – deux planches calées par du sable – qui ont tenu bon… jusqu’à ce que l’eau ne trouve un autre chemin : « Elle s’est infiltrée par les fondations, j’ai eu 10 cm que j’ai pu sortir à l’aide de trois pompes : j’ai limité la casse« , relate l’octogénaire philosophe.
En cet après-midi glacial du lundi 8 janvier, il porte des bottes, mais quelques heures plus tôt, ce sont les cuissardes qu’il fallait enfiler pour remonter le chemin Cordier juste derrière, qui mène au marais éponyme. Là, entre la trentaine de maisons et les parcelles en casier, l’eau se retire doucement. Trop doucement alors que les premières plaques de glace viennent enserrer les arbres et « transformer les jardins en patinoires » comme le formule Laetitia, dont la famille a intégré un mobile home au camping de Clairmarais à la fin de la semaine, le gîte qu’ils avaient loué en novembre étant occupé par d’autres sinistrés de la rue. Au milieu de son jardin, transformé en lac, Yohann observe, lui, un décor inédit : il a compté pas moins de sept cygnes barbotant par-dessus ce qui forme habituellement sa pelouse.
Si les habitants font tourner les radiateurs à plein pour faire sécher ce qui peut l’être, la crainte d’une casse plus profonde est dans tous les esprits : les fondations et les murs, gorgés d’eau, résisteront-ils ? Idem pour les canalisations. Ici, les égouts et les évacuations débordent, drainant une eau souillée « particulièrement corrosive« , observe Jean-Marie Dewalle. Le frangin de Michel, jeune homme de 74 ans, a le cœur plus lourd que son aîné : sa maison baigne dans l’eau pour la deuxième fois. « Je venais de tout nettoyer, une entreprise avait tout séché, tout déshumidifié avec des appareils spéciaux, et rebelote. » À petits pas, il marche dans l’eau jusqu’à son portail, enjambe les sacs de sable et ouvre sa porte d’entrée, elle aussi équipée de batardeaux maison qui auront freiné l’eau sans pouvoir l’empêcher de s’insinuer par ailleurs. L’eau qui baigne encore la véranda est plus chaude, sous l’effet des radiateurs qui tournent à bloc dans la maison, provoquant une vapeur de tous les diables. Après une enjambée acrobatique, le septuagénaire découvre, avec un soulagement las, que « le niveau a baissé » dans la maison. « Je vais pouvoir appeler ma femme pour qu’on racle tout ça. » Encore une fois.
Dans le quartier, tout ce qui devait être perdu l’a été la première fois, lors de l’inondation de novembre. Dans les sous-sols, les appareils électriques, les cartons de souvenirs, les meubles ou les outils. Dans les garages, les voitures comme celle de Yohann, qui « a eu le temps d’en sauver une mais pas la deuxième » tant l’eau était montée rapidement en novembre. Cette fois, ce sont trois jours de pluie, depuis le 1er janvier, qui ont eu raison des digues naturelles, séparant le marais Cordier (un marais fermé alternant parcelles et fossés au sein du plus vaste réseau de marais formé par les canaux). Le niveau est monté d’un mètre en quatre jours, sur des terres déjà gorgées et des réseaux saturés.
Aux côtés d’Alain Mandrin, Mickaël Samyn conduit un quad en direction du canal. Tous deux sont bénévoles de l’association du Cordier, regroupement de 34 particuliers cotisant pour l’entretien du marais. Là, ils ont branché deux énormes pompes capables d’évacuer 1 200 m3 / seconde : avec l’appui d’une poignée de pompiers venus d’Île-de-France de France, qui ont, eux aussi, branché quelques pompes, ils mettront trois jours pour que le niveau de l’eau soit de nouveau acceptable. « Il a d’abord fallu que le niveau du canal baisse avant de commencer à pomper« , précise Mickaël qui détaille encore : « La cote du marais est de 2,22 m mais ça peut tenir jusqu’à 2,95 m. En novembre nous étions à 3,26 m et cette fois à 3,10 m.«
Si l’eau est montée moins, elle serait toutefois la conséquence de pluies tombées à Arras ou Douai, pensent savoir les habitants du marais qui, vraie ou fausse, partagent cette impression d’être les sacrifiés de la cause. « À l’aval, ils ont rasé les moulins, fait sauter les ouvrages et ainsi créé les conditions d’un débit trop important. À l’amont, tout le monde sait que le canal de Gravelines est envasé et qu’il empêche l’eau de s’évacuer comme il faudrait. Et entre les deux, le marais« , regrettent plusieurs riverains, dont certains pensent clairement que l’État choisit de sacrifier la zone la moins peuplée. « On noie Paul pour dénoyer Pierre« , formule Michel Dewalle. Et certains d’aller jusqu’à juger bienvenu ce deuxième épisode, « pour démontrer que quelque chose ne va pas« .
Sur les causes, on s’accorde sur une accumulation : l’artificialisation qui empêche l’infiltration, l’intensification de l’agriculture qui arrache les haies et rase les prairies, l’absence d’entretien des canaux ou des fossés (nous reviendrons sur l’épineuse question du curage des fossés). Aussi, et surtout ?, cette multiplication des acteurs en charge de l’entretien et de la gestion de l’eau, n’oublions pas que le marais ne compte pas moins de 700 km de cours d’eau sur une superficie de 3 700 hectares : Institution des wateringues, Voies navigables de France (VNF), privés, agriculteurs, collectivités…
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Sur les conséquences de ces crues, que certains qualifient de centennales quand les autres craignent qu’elles ne marquent une nouvelle norme, deux mondes s’opposent : les anciens, pour qui « (leur) maison c’est toute (leur) vie » et les autres qui ne rêvent plus que de partir. S’éloigner un peu de ce petit paradis aux accents infernaux. Michel pense que tout sera fait pour « faire partir les gens » et finir par vider le marais de ses hommes. « Hommes qui l’ont façonné« , dit en connaissance l’ancien maraîcher. « On veut que les poissons remontent les rivières mais on est moins d’accord quand ils squattent nos jardins« , tacle Mickaël Samyn. Ici, personne ne veut devenir les enfants sacrifiés du marais.
Justine Demade Pellorce
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