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Ils ne savent plus quoi faire de leur laine.
« Si vous en voulez, je vous la donne », lance un éleveur de la région, le rire jaune.
Tous ceux réunis par le Parc naturel des caps et marais d’Opale, sans exception ou presque, ont des stocks très importants de laine. Certains accumulant même quatre années de tonte dans leurs bâtiments quand d’autres l’enfouissent ou la mélangent même au fumier ! Stockée aussi longtemps, cette laine prend de la place et s’abîme.
Celle-ci ne se vend plus depuis plusieurs années. Son prix tourne aujourd’hui aux alentours de 0,30 € le kilo, quand il était encore au-dessus d’un euro il y a une dizaine d’années.
Conséquence : il n’y a plus de négociant dans les Hauts-de-France pour racheter la laine de nombreux exploitants ovins, alors ils la gardent comme un fardeau. Pour les éleveurs coopérateurs, quand elle est encore prélevée, c’est presque « pour rendre service », résume le salarié d’une coopérative ovine.
C’est la question qui se pose et à laquelle on cherche une réponse. L’une d’elles pourrait bien venir du Parc naturel régional des caps et marais d’Opale qui s’investit dans le développement des isolants biosourcés.
La rénovation de la Maison du parc, à Le Wast (62), a lancé le mouvement, puis le parc naturel a mis en place des commandes groupées d’isolants naturels (lin, chanvre et autres fibres).
Un succès selon Lucie Duterte, chargée de mission écorénovation au parc naturel.
« 4 200 m2 d’isolants naturels ont déjà été vendus » et la communauté d’agglomération Grand Calais Terres et Mer a, par exemple, adhéré.
Le projet de valorisation de la laine de mouton intervient dans cette dynamique. Il a débuté en 2020 avec l’étude de huit isolants agrosourcés potentiels.
La filière ovine a été sélectionnée pour une étude approfondie en 2021-2022, avant une première réunion avec des éleveurs à l’été 2022. Là, les éleveurs de la région se disent partants pour aller plus loin.
Près d’une année plus tard, le parc naturel a vu ses demandes de financement acceptées auprès de l’Ademe, de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ou encore de la Région et deux entreprises ont été choisies pour accompagner le projet : Karibati et le Codem.
Il reste maintenant à passer la seconde vitesse. L’année 2023 va être celle de la recherche et du développement et l’année où tout devrait s’accélérer pour le projet.
Comme pour beaucoup, pour Yves Hustache, cofondateur de Karibati, spécialisé dans les matériaux biosourcés, le contexte en aval est favorable : « Il y a un enjeu économique fort pour les éleveurs. Et un enjeu environnemental de valorisation de ce qui est aujourd’hui un déchet. Le marché des produits biosourcés est en forte croissance. »
Selon son étude, les isolants biosourcés représentent aujourd’hui 11 % du marché de l’isolation avec une capacité de production de 33 millions de mètres carrés en 2021 en France « et cette capacité de production est amenée à doubler d’ici 2025 ». La rénovation, notamment, serait « le principal marché de ce type de produit ».
L’objectif du parc naturel est de redonner de la valeur à une laine aujourd’hui dévalorisée. Mais aussi de garder une maîtrise sur cette filière avec un prix d’achat qui convienne à tous.
Avant tout, cela nécessite donc d’intégrer les éleveurs d’ovins au projet. L’idée est de « créer une dynamique autour des éleveurs du territoire » selon le parc. La présence d’une bonne douzaine d’entre eux un jeudi après-midi de mai – pour certains venus de loin – est un signe positif même si certains peuvent se montrer aujourd’hui perplexes.
« Sans vous, ce projet n’a pas lieu d’être », insiste toutefois Lucie Duterte à destination des éleveurs. Ceux-ci se questionnent, c’est normal. Mais les prochains mois pourraient les convaincre et seront déterminants.
Les acteurs du projet vont s’attacher d’abord à développer et étudier la faisabilité technique de deux produits d’isolation. Cela pourrait être du feutre pour sous-couche de parquet ou encore un isolant semi-rigide à base de laine de mouton et d’une autre fibre naturelle. Le choix ici n’est pas de créer des produits isolants à base de 100 % de laine de mouton. Mais plutôt d’associer la laine à un autre matériau biosourcé.
Étoupe de lin, fibre de chanvre ou autres textiles vont être testés et deux tonnes de laine vont être nécessaires pour ces essais.
« Affiner la stratégie et le modèle économique du projet » est l’autre ambition. Là aussi, les prochains mois seront cruciaux. Choix des sous-traitants logistiques, des fournisseurs potentiels et des partenaires industriels capables de valoriser la laine… Mais aussi identification des financements, échanges avec des acteurs du marché (maîtres d’ouvrage, promoteurs immobiliers, entreprises du bâtiment) sont au programme. Le calendrier prévoit que le projet s’étale jusqu’en septembre 2024. À ce moment-là, une filière régionale de valorisation de laine de mouton sera peut-être en bonne voie. Et pourquoi pas ?
Kévin Saroul
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