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C’est l’histoire d’un changement de vie. Celle de Mélanie Santune, une ingénieure agronome devenue boulangère qui vient d’ouvrir son fournil au pied de l’église du village.
Celle d’une femme qui avait besoin de vivre et de travailler loin de la ville et qui écrit une nouvelle page à Fosseux (62), dans les campagnes de l’Artois. Celle d’une passionnée de levain qui fabrique ses pains à partir d’ingrédients naturels et locaux.
Tout commence en mai 2019 lorsqu’une paysanne boulangère lui offre du levain, « ce mélange de bactéries et de levure qui fait lever le pain et qui a mille vertus », décrit-elle. Si elle ne devait en retenir que trois, ce serait la conservation, la digestion et la haute valeur nutritionnelle.
Elle s’explique : le levain acidifie le pain, ce qui permet de mieux le conserver. Il est vivant donc prédigère le gluten du pain ce qui le rend plus digeste. Enfin, les procédés de fermentation sont une succession de réactions biochimiques qui rendent biodisponible ce que la farine contient de bon.
Mélanie Santune utilise une farine biologique issue de variétés anciennes de blé, naturellement plus riches en minéraux, protéines et vitamines. D’où sa haute valeur nutritionnelle.
La boulangère garde précieusement la souche qu’elle s’est vue offrir il y a trois ans. « Si je ne m’en occupe pas, le levain va mourir », signale-t-elle. Elle le nourrit avec de la farine et de l’eau. « La farine contient naturellement des bactéries et de la levure qui se développent quand on vient la nourrir. Les gaz de fermentation font ensuite lever le pain. »
La jeune femme commence à fabriquer ses premiers pains, qu’elle fait déguster à sa famille avant de voir un second signe, l’hiver 2020.
Un agriculteur biologique du village vient d’acquérir un moulin pour moudre le grain des céréales qu’il cultive. « C’est un moulin de type astrier avec une meule de pierre, précise-t-elle. Cela évite l’échauffement du grain qu’on peut avoir lorsque ce sont de gros cylindres qui les écrasent à une fréquence intense. » Des variétés anciennes de blé transformées en farine hyperlocale : la boulangère teste, goûte et en redemande.
En mars 2021, la plus ancienne maison du village est à vendre. Avec quelques travaux, elle serait un gîte idéal pour accueillir une clientèle familiale, nature, sportive, imagine Mélanie Santune qui y voit un troisième clin d’Å“il du destin et l’acquiert avec son mari Luc.
Proposer des ateliers de fabrication de pain, de sophrologie, de yoga, mettre des vélos à disposition des vacanciers profitant de ce cadre serein à deux pas du château du village : le couple foisonne d’idées. Un ancien four à pain occupe la cuisine. Il est rapidement rallumé et utilisé. « Fabriquer du pain est devenu une obsession », confie la boulangère qui questionne régulièrement son envie de se lancer avant de sauter le pas.
Elle s’inscrit en CAP boulangerie, tout en rénovant la « Maison 1810 ». Une campagne de financement participatif lui permet d’acheter un four en pierres réfractaires originaires de la Drôme. « Je n’ai pas fait le choix de la simplicité, c’est plus physique et plus compliqué de gérer la température. Mais j’ai choisi l’énergie au bois, plus résiliente que l’électricité. »
Les tailles des haies lui permettent de valoriser le bois en constituant des fagots qui servent à allumer son feu. Trois heures sont nécessaires à chauffer l’habitacle avant de le vider de ses cendres et d’enfourner ses pains.
Avant chaque fournée, elle prélève quelques grammes de levain qu’elle dépose dans un seau. Elle le nourrit trois fois dans la journée avec eau et farine afin d’obtenir la quantité dont elle a besoin, 5 kg qui lui permettront de fabriquer en moyenne 75 pains de 500 grammes chacun. « Plus la farine est complète, plus elle est vivante. Elle contient un concentré de vitamines et de minéraux. »
Sa carte propose des pains à base de farine complète, intégrale ou semi-complète : nature, intégral, petit épeautre, graines de courge ou multigrains (à base de tournesol, lin, sésame et pavot).
Elle comptera aussi un pain éphémère qui variera au gré des saisons et des envies. Noisettes et figues pour Noël, ou encore pain aux orties ramassées lors d’une balade par cette passionnée de plantes sauvages.
Le vendredi est le jour de la fabrication. Mélanie Santune commence à l’aube pour préparer le feu et pétrir la pâte dans son pétrin en bois de hêtre, réputé pour ne pas libérer de tanin qui interférerait avec la pâte.
Elle pèse la farine, l’eau et le sel de Guérande et ajoute son précieux levain. À part le sel – qu’elle achète en grande quantité – le reste est ultra-local.
Elle mélange puis pétrit, « pas tant que ça car le levain assure le boulot », et laisse reposer près de quatre heures. Puis elle divise la pâte levée, la façonne en pains et les installe dans le meuble « parisien » qu’elle a fabriqué exprès. Elle patiente une heure de plus avant d’enfourner 30 minutes. Elle enchaîne les fournées.
Bientôt, elle fabriquera son pain un second jour de la semaine, sûrement le jeudi, pour profiter de « l’inertie thermique incroyable dégagée par le four » lorsqu’il est allumé.
Après la cuisson, elle ouvre son fournil pour vendre le pain tout chaud. Elle livre également une épicerie et une association des villages alentour. Elle vient d’ouvrir son site de vente en ligne et a prévu de fabriquer 250 pains chaque semaine en vitesse de croisière.
Les jours de fabrication, Mélanie Santune enchaîne 12 à 14 h de travail, sans relâche. Celle qui, il y a quelques mois, se sentait tiraillée par les allers-retours entre ville et campagne a choisi la vie rurale de Fosseux et ses 140 habitants.
Elle a changé de vie, embarqué sa famille dans l’aventure et avance la tête remplie de projets. « Je me suis réalignée, et cela me va bien. »
Louise Tesse
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