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Un vent de menaces plane sur la bio. Après dix années à surfer sur une croissance à deux chiffres, la filière connaît une chute de ses ventes qui inquiète le secteur. Fruits et légumes, viandes, lait, œufs subissent des baisses frôlant les 15 %.
Pourtant, la crise du Covid semblait au départ profiter à la bio. « Pendant le premier confinement, 30 % des clients qui entraient en magasins spécialisés ne l’avaient jamais fait. 50 % sont restés », explique François Labbaye, dirigeant de Bio développement, qui a mené une enquête nationale auprès d’un panel de 630 magasins spécialisés et 7 500 consommateurs.
Fin 2021, le temps se gâte. « Des vents mauvais viennent menacer la dynamique bio régionale », s’inquiète Stéphane Brichet, président d’A Pro Bio. Pour Étienne Gangneron, président de la section bio de la FNSEA, la pilule est dure à avaler. « Le phénomène d’instabilité des consommateurs nous renvoie à la problématique du consommateur citoyen qui a des demandes exigeantes mais ne renvoie pas la balle en termes de consommation. La difficulté principale est de comprendre pourquoi. On a même une perte de près de 10 % parmi les consommateurs historiques et militants. C’est incompréhensible. »
« La bio ne va pas bien mais le mieux consommer, lui, se porte bien, reprend François Labbaye. Le consommateur a bien compris qu’il fallait mieux et moins consommer. Et en cela, la crise du Covid lui a fait gagner 10 ans ». Les consommateurs ont donc, selon lui, modifié leurs habitudes pour aller voir, entre autres, ce qui se passait autour de chez eux. « La concurrence du local est l’une des explications à cette baisse des ventes de produits bio », confirme Stéphane Brichet. Les consommateurs ont redécouvert les commerces de proximité, les magasins de producteurs et les artisans autour de chez eux, notamment lorsque les déplacements étaient limités.
Étienne Gangneron nuance. « AOC, AOP, Label rouge, bio et même les magasins et marchés de producteurs : tout est à la peine. Les magasins de producteurs en circuits courts affichent – 5 % en 2022, alors qu’ils affichaient + 100 % pendant le confinement. Par rapport aux attentes affichées, notamment derrière les états généraux, la loi Egalim 1 et 2, les consommateurs font exactement le contraire. » Laurent Verhaeghe, président de la FDSEA 59, ajoute : « Celui qui consommait bio consomme local, celui qui consommait local consomme Français. »
Le président d’A Pro Bio avance une explication supplémentaire à la chute de la consommation bio : « La fragmentation des démarches environnementales ». Haute valeur environnementale, zéro pesticide : les labels se multiplient, les consommateurs ont l’embarras du choix. Qui plus est, le label biologique ne répond pas à toutes les attentes sociétales, comme la rémunération du producteur, la saisonnalité ou la proximité des produits. « Les consommateurs ont besoin d’être rassurés sur les garanties du label », insiste Stéphane Brichet.
Autre explication : « La perte de pouvoir d’achat avec l’inflation de ces derniers mois ».
Conclusion, la bio ne se porte pas bien, et c’est d’autant plus le cas en magasin spécialisé. « Moins 20 % de passages en caisse », note amèrement Stéphane Brichet. « C’est la double peine : il y a moins de flux avec la fragmentation des lieux d’achat et un panier moyen moins important, puisque les consommateurs ne font plus toutes leurs courses au même endroit », précise François Labbaye.
Pour François Labbaye, la forte conversion des commerces ces dernières années justifie en partie cette situation. « Il y a une explosion de l’offre face à la demande qui est, certes, croissante, mais n’évolue pas à la même vitesse. » En trois ans, le nombre de magasins vracs est passé de 150 à 1 070 : les marchés n’explosent pas à ce point. « La conversion des consommateurs vers le mieux manger est de 3 % par an », avance François Labbaye.
Deux secteurs tirent toutefois leur épingle du jeu. « Le hard discount progresse et, grande surprise pour observateurs, 11 à 12 % des produits de consommation sont achetés sur des plateformes numériques telles qu’Amazon, constate Étienne Gangneron. C’est une interrogation dans un pays où l’alimentation est aussi forte culturellement. »
François Labbaye avance une autre explication. « Le pilier de ces magasins bio, nés il y a 40 ans, était l’herboristerie. On y allait pour changer de vie, prendre soin de sa santé, être conseillé. Aujourd’hui, il y a moins de personnel, le consommateur n’est plus conseillé, contrairement à chez son artisan, sa pharmacie, son commerce de proximité. Les réseaux de commercialisation ont oublié cet accompagnement. »
Face à ce « désamour », la campagne de communication actuellement engagée par l’Agence Bio et les filières a vocation à convaincre les consommateurs d’avoir le #bio-réflexe. « Elle a le mérite d’être une réponse pour rappeler au consommateur ce qu’est l’agriculture biologique », observe Étienne Gangneron. « La bio a oublié d’informer le consommateur qu’elle était la meilleure, ajoute François Labbaye. Aujourd’hui, le différentiel sur les produits bios devrait se réduire car les producteurs vont moins subir d’augmentations. Une chance pour la bio de montrer qu’on peut mieux consommer au même prix. »
La bio doit expliquer son label, son cahier des charges. « Le digital est un lieu d’information à 60 %, un lieu d’achat à 40 % : les canaux doivent se réorganiser pour s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs », suggère François Labbaye. Étienne Gangneron de conclure : « Il y a de nombreuses formes de consommation à appréhender. Il faut être vigilant sur les grandes tendances et profiter de ce moment complexe pour reprendre du poids avec les sujets qui permettront de se relever telle que la souveraineté alimentaire. Est-ce que le monde d’après est meilleur que celui d’avant ou pire ? Nous n’avons pas encore la réponse. »
Louise Tesse
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