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La scène se déroule de part et d’autre d’un zinc de campagne.
” – Bonjour, c’est bien ici la Poste ?
– C’est bien ici mais il y aura un peu d’attente monsieur François. “
La chaleur gonfle en ce vendredi de juillet. Au loin, le bruit des tondeuses à gazon, de rares voitures. Au CaLiBou, adresse plurielle de Godewaersvelde (59), Gérard zigzague entre les tables. Dedans, dehors, du bar à la cuisine, de table en table. Pas une n’est libre pourtant l’endroit baigne dans un silence précieux. La dame au tiramisu fraise feuillette l’un des six livres entassés sur sa table, il a l’air drôle. Un couple d’anciens parle à voix basse entre deux fourchettés. Plus loin, deux habituées papotent tout en tricotant – c’était pourtant hier le tricot-troquet – en ponctuant leurs échanges d’un ” Merci Gérard ” à la distribution de leurs plats. Il n’y a plus de tarte courgettes-chèvre, celle aux poivrons est tout aussi bonne. En cuisine, un éclat de rire : celui de Myriam. C’est le monsieur François du début, qui est allé la trouver pour un conseil littéraire, alors la brune solaire passe des fourneaux à la librairie distiller ses conseils, avant de retourner mitonner. Monsieur François règle ses timbres, son livre et son café et quitte le CaLiBou. La valse de Gérard reprend, en douceur.
Acteurs de cette scène : Gérard Lefebvre et Myriam Tiberghien. Ils travaillaient dans une association de protection de l’environnement lilloise jusqu’à avoir envie “d’autre chose“. C’est la découverte du café-librairie L’autre rive, du côté des monts d’Arrée finistériens (décidément, les monts émerveillent) qui joue le déclic. Myriam, fille de bibliothécaire, a “passé (s) on enfance dans les livres“; Gérard a “passé (s) on temps dans les cafés“, avec une tante cafetière à Wavrin (59), notamment. “J’avais envie d’une activité en lien avec les plaisirs de la vie, j’avais envie de lien social aussi“, raconte Gérard, qui est alors âgé d’une cinquantaine d’années.
Nous sommes en 2015, un ami du couple, Xavier, porte un projet de boulangerie paysanne. Ce dernier, installé à Berthen, juste de l’autre côté du mont des Cats, a lui-même rencontré Thibault et Véro (lire aussi notre édition du 16 juin) qui partagent son envie : ce petit monde s’associe plutôt que de se concurrencer, et la boulangerie vient se greffer au café-librairie : le CaLiBou était né. “En milieu rural, ça nous semblait important“, formule Gérard qui choisit de ne pas ouvrir une énième adresse bobo à Lille. L’échelle compte aussi, pour que tout ça garde du sens, et le plaisir aussi.
Quand ils tombent sur le local qui deviendra leur écrin, le couple ne connaît de Godewaersvelde que son “carrefour des estaminets, nous n’étions jamais allés plus loin”, confesse celui qui s’est installé dans le village depuis.
Vient le temps du montage du dossier, du chemin de croix financier. Quelques mois s’écoulent avant le lancement des travaux, qui ne sont pas achevés quand le CaLiBou ouvre ses portes pour la première fois, le 9 juillet 2017 pour la brocante du village, avant de refermer jusqu’à l’achèvement des travaux.
À la fin de l’été, le CaLiBou est inauguré, en musique. Outre la partie bar et petite restauration et le côté librairie ; outre le point Poste et le coin boulangerie-épicerie de produits locaux où l’on peut se fournir en savons bios de la Savonnerie des Flandres, en yaourts au lait bio de brebis de la bergerie du Wyermas (lire aussi le portrait de Violaine Calcoen dans l’édition du 14 juillet), en cidre des Flandres (on y reviendra)…; on trouve par exemple un présentoir de graines Kokopelli du côté des livres de jardinage, “peut-être nos racines militantes“, sourit Gérard. L’occasion pour le couple aussi de faire passer un message, en faveur d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement. “On a l’impression de contribuer à diffuser ces idées-là, dit l’un ou l’autre. Nous sommes aussi entourés de personnes qui font des choses bien et qui aiment leur boulot. On n’avait par exemple pas prévu de vendre du savon, mais quand des gens bossent bien comme ça…”
La carte du bistro compte, elle, un maximum de produits locaux, quelques-uns bios, et propose une petite restauration sucrée et salée en journée, sans oublier l’assiette du dimanche soir, en forme de bras ouverts, illustration ultime de la chaleur humaine qui flotte ici.
Côté librairie, “des nouveautés, des albums jeunesse aux livres de société en passant par les romans, quelques magazines et même un peu de papeterie : tout comme une vraie librairie“, effeuille Myriam qui savoure “la liberté financière permise par le café de ne pas proposer ce qu’on pourrait trouver en supermarché“. 3 000 références en magasin, la participation au Printemps des poètes, des ateliers d’écriture, des rencontres organisée en partenariat avec la Villa Marguerite-Yourcenar ou encore un club de lecture viennent encore faire vivre la littérature à Godewaersvelde.
Ici on entre pour la Poste et on se hasarde au rayon livres, ou pas ; on fréquente le café et jamais la librairie, ou pas ; on s’intéresse aux livres et on passe son tour pour un café ou une bière. Ou pas.
En plus de toutes ces portes d’entrées, voulues aussi comme “un service rendu à la population“, des jeux en bois artisanaux pour prendre le temps de vivre dans ces murs qui accueillent, ce n’est pas fini, ateliers, spectacles, conférences et concerts dans l’idée de faire vivre le village, ainsi que des groupes de randonneurs le CaLiBou faisant partie du réseau des Cafés-rando de Flandre et bénéficiant du label Accueil vélo.
Tout ça se passe dans la salle arrière, 45 places assises : “Une salle pour s’exprimer“, formule le couple. Pour faire vivre tout ça, une association est née : Les Co du Calibou. “Des fidèles amis” désireux de s’investir, à qui le village doit “Gode l’accordéon”, festival organisé début avril lors duquel huit groupes se relayent dans huit bars et estaminets ; les séances d’échecs (le village compte un jeune champion) ou de mah-jong, le club de lecture évoqué plus haut, les repair cafés, le CaLiBou de vinyles (l’équivalent d’un club de lecture mais en musique) ou encore “Les fenêtres qui parlent”, exposition à travers le village…
“Un petit côté belge : on est dans la simplicité et à chaque fois qu’on peut faire plus direct, on fait“, résume Gérard qui, avec sa littéro-cordon bleu de moitié, nourrit les corps et les esprits, et même un peu les cœurs.
Justine Demade Pellorce