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Mardi 9 janvier, alors que les départements du Pas-de-Calais et de la Somme ont été une nouvelle fois touchés par de violentes inondations, la FRSEA des Hauts-de-France organisait une rencontre dans le Calaisis pour comprendre et défendre le fonctionnement des wateringues, mais aussi demander des explications sur le fonctionnement déficient d’un certain nombre d’ouvrages destinés à évacuer l’eau lorsqu’elle tombe en excès.
À l’issue de la visite de plusieurs lieux stratégiques et d’échanges avec la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf), la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Région Hauts-de-France, il y a eu peu voire pas de réponses satisfaisantes pour la vingtaine de responsables professionnels agricoles et représentants des sections de wateringues.
Alors qu’une action symbolique de curage de la Liane par les agriculteurs avait lieu la veille, la FRSEA Hauts-de-France a réitéré sa demande de simplification des démarches. « 2023 a montré que nos systèmes et organisations touchaient leurs limites, notamment dans les zones côtières. Curer les fossés et cours d’eau, réguler l’eau est une nécessité existentielle mais cela repose sur les volontés d’agir de façon synchronisée à tous les niveaux », évoquait la veille le président de la FDSEA de la Somme, Denis Bully.
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Son homologue de l’Oise, Régis Desrumaux, regrette que « pour un simple curage, il faut remplir un tas de papiers. Le moindre entretien, c’est compliqué “. Et de demander un « vaste mouvement de simplification ».
Construire de nouveaux outils ? Équiper les territoires de nouveaux moyens ? Pourquoi pas selon la profession agricole, « mais avant d’investir dans des moyens supplémentaires, il faut d’abord entretenir ce que l’on a… Curer un cours d’eau, ce n’est pas le requalifier », avance Simon Ammeux.
Maire de la commune de Le Quesnoy et vice-présidente de la Région Hauts-de-France chargée de l’agriculture, Marie-Sophie Lesne partage avec le monde agricole le constat d’une complexité qui empêche d’agir : « Nous sommes de bonne foi, mais on ne sait malheureusement pas comment faire, ni à qui s’adresser. Nous devons au contraire être mis au courant de ce que l’on a droit de faire, avec un langage simple. Si la réglementation est plus claire, il sera plus facile d’intervenir. »
Pour Simon Ammeux, agriculteur dans les Flandres et président de la FRSEA, « le problème, c’est qu’il y a plus de moyens consacrés au respect de la réglementation par des contrôles que de moyens pour l’expliquer… »
Du côté de la Dreal comme de l’OFB, on ne l’entend évidemment pas forcément de cette oreille. Directrice adjointe de l’OFB et, responsable du service régional de police, Émilie Ledein assure que « le curage des cours d’eau et leur entretien ne sont pas tabou », rappelant que des règles existent. À la Dreal, Didier Lhomme assure, quant à lui, que son administration veille à ce « qu’il n’y ait pas de surinterprétation de la réglementation. » Dans le même temps, il invite à réfléchir à des actions permettant « de retenir l’eau au plus près de l’endroit où elle tombe ».
Le soir même, Gabriel Attal s’est déplacé dans l’Audomarois et a sorti le chéquier, annonçant par exemple une réévaluation à la hausse des mesures initiées par Emmanuel Macron en novembre dernier.
Pas sûr pour autant que cela suffise à convaincre face au sentiment d’abandon ressenti par les habitants, à l’image de Raphaël Delamaere, agriculteur à Hames-Boucres et président d’une des cinq sections de wateringues du Pas-de-Calais : « Nous avons été inondés à cause d’un système d’évacuation d’eau qui a été abandonné au fil des années. Et nous sommes aussi abandonnés. »
Même sentiment de la part d’Antoine Peenaert, président du canton de Calais pour la FDSEA : « On a des ouvrages qui permettent d’évacuer l’eau, mais ils sont en mauvais état. Si on utilisait ces moyens, on éviterait à d’autres territoires d’être inondés ». Pour Xavier Deconinck, installé avec son frère à Les Attaques, « malheureusement, il faut des événements comme ceux que l’on vient de vivre pour que ça bouge… Et encore, on n’est pas sûr que ça va bouger ! » Et Raphaël Delamaere de renchérir : « Si on continue comme cela, que l’on ne fait rien, plus personne ne pourra habiter par ici… »
Le curage des cours d’eau, « une fausse bonne idée » ?
Curer les cours d’eau, à savoir extraire des sédiments accumulés, pour prévenir le risque d’inondation ? Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, a annoncé un changement de réglementation prochain pour « faciliter le curage », lors d’une visite jeudi 4 janvier dans le Pas-de-Calais.
C’est une « fausse bonne idée » qui peut mener à de faibles bénéfices, selon Philippe Lagauterie, membre de France Nature Environnement, qui connaît la zone en tant qu’ancien directeur régional environnement dans le Pas-de-Calais : « Si vous curez une partie de la rivière en amont, vous pouvez probablement faire quelques avantages localement, mais vous allez, en aval, envoyer de l’eau plus vite et en plus grande quantité. On ne peut pas aménager un endroit sans penser aux conséquences de cet aménagement quelques kilomètres plus loin. »
Côté environnement, curer peut avoir des conséquences « catastrophiques » : « Le curage va détruire le fond biologique de la rivière, que l’on appelle le biotope, qui détient un pouvoir épurateur ». « Le risque serait de transformer les rivières en fossés antichars, et de déporter la charge des inondations sur des zones à l’aval », complète Emmanuel Soncourt, hydrogéologue indépendant.
Mais la pratique n’est pas à bannir : les experts insistent sur la nécessité de curer les cours d’eau au cas par cas, selon les régions. Par exemple, Jean-Marie Aversenq, directeur du syndicat mixte des rivières de l’Aude (Smmar), compare l’arc méditerranéen au Pas-de-Calais : « Dans notre cas, le curage n’est pas pertinent car nous sommes soumis à des épisodes pluvieux intenses, avec des cumuls sur des temps très courts. Toute la stratégie de protection consiste à ralentir les écoulements, alors que curer des rivières accélère ces écoulements, dit-il. Les inondations dans le nord de la France sont des inondations dites “de plaine” avec une durée de submersion beaucoup plus lente. L’eau monte plus lentement, mais reste aussi beaucoup plus longtemps, donc le curage des rivières peut être une opportunité pour vidanger plus rapidement les zones inondées. » Localement, plusieurs canaux du Pas-de-Calais sont d’ailleurs régulièrement curés par les Voies navigables de France.
Écologues et hydrologues doivent en tout cas être impliqués dans tout projet d’aménagement. Il incombe également aux pouvoirs publics « d’apprendre aux gens à vivre avec ce risque permanent » et « d’augmenter la résilience de ce qui est construit quand c’est possible », par exemple, « ne pas mettre de chaudière au sous-sol de la maison », ou encore de « rehausser les sols des habitations », poursuit Philippe Lagauterie.
La création de zones d’extension de crue est une autre solution possible. Dans le Var, un coûteux plan d’aménagement est engagé jusqu’en 2026 sur les 4 km de la Nartuby. En juin 2010, des pluies torrentielles y ont fait 23 morts et deux disparus : des villages ont été dévastés. Les travaux visent à élargir le lit de la rivière pour faire monter sa capacité à 180 m3/seconde, l’équivalent d’une crue trentennale. « Il s’agit pour l’essentiel de retirer des constructions humaines », explique Alain Caymaris, maire de Trans-en-Provence. Mais cette rivière de vallée n’est pas menacée par l’envasement qui touche les cours d’eau des plaines.
Pour Charlène Descollonges, hydrologue indépendante, « il faut changer de stratégie : pomper l’eau et la rejeter à la mer est très énergivore et ne suffira pas. Rehausser les digues coûtera très cher et ne suffira pas non plus ». L’ingénieure souhaite que la France prenne exemple sur les Pays-Bas, un pays « beaucoup plus exposé que nous aux inondations », qui a fait le choix de « laisser de la place aux rivières ». Un argument partagé par Nicolas Camphuis, codirecteur du Centre européen de prévention du risque d’inondation (Cepri), selon qui « empêcher la nature d’avoir un comportement normal demande des investissements colossaux, qui peuvent être difficilement sans effets ».
AFP
Vincent Fermon