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“Une livre de beurre, s’il-vous-plait !” Il y a des endroits, comme ça, où les choses ne bougent pas. En tout cas pas trop vite. Une forme d’authenticité qui caractérise le marché d’Audruicq, dans le Calaisis, l’un des dix finalistes du concours télévisé “Votre plus beau marché” sur TF1. Vous pouvez voter jusqu’au 14 juin pour peser sur le résultat proclamé dix jours plus tard. Mais voter pour quoi ?
Ça commence par un indice qui ne trompe pas : un ballet de voitures qui vont et viennent, le coffre se refermant sur des paniers remplis. Ce jour-là, la menace du ciel n’entame en rien l’effervescence propre aux jours de marché. Les barrières passées et comme partout ailleurs, des stands de babioles en plastique plus ou moins utiles, des vêtements made in RDC et des chaussures qui sentent le plastique. Encore des bonbecs en veux-tu en voilà, des fruits trop beaux pour être honnêtes. Comme partout ailleurs.
Mais ce qui pousse les badauds à avaler plusieurs dizaines de kilomètres pour venir en arpenter les allées le mercredi, c’est ce qui se passe sur la place des Marronniers. “Des commerçants, des artisans, des particuliers : ici, c’est encore un vrai marché de terroir“, pose Nicolas Coquempot, en emballant ladite livre de beurre pour son habituée. Dans son camion réfrigéré, il vend les produits laitiers fabriqués sur sa ferme, à Audrehem : beurres, yaourts et autres crèmes dessert. Ses clients ont tous les âges, souvent des habitués comme Marie-Paule. Originaire de Comines, elle a “une petite résidence secondaire à Polincove” où elle se débrouille généralement pour se rendre les jours de marché à Audruicq. “Parce que les gens sont sympas.” Elle raconte aussi en se marrant comment ce beurre, là, est le seul dont veuille son mari et que tomber en rade, “ce serait un cas de divorce“.
Face au camion réfrigéré, un vendeur d’ail fumé dont le parfum embaume l’air. Et contre un arbre, assise face à un unique panier, Francine, 78 ans. Avec son mari, ils viennent quelques fois dans la saison pour vendre les œufs de leurs oies. “On fait ça depuis une dizaine d’années, explique Jean-Pierre, pour ne pas les perdre. Et quand le panier est vide, on rentre.“
Lucie et Nicolas viennent justement d’acheter deux de ces mastodontes, à 1,50 euro pièce, qu’ils consommeront cuits à la coque et dont ils apprécient la finesse singulière. Habitants de Guînes, à une vingtaine de kilomètres de là, ils aiment particulièrement ce marché “où on trouve encore des volailles sur pied“. Lui a 45 ans et a “toujours connu ça“. Depuis cette période où il accompagnait son grand-père acheter lapereaux et coquelets pour les élever deux ans avant de les manger. “Mes grands-parents le faisaient aussi“, abonde Lucie à ses côtés. Comme avant : c’est ce qui plaît aux clients de ce marché dont la beauté n’est pas incarnée par des décors en vieilles pierres. Ici, ce n’est pas la carte postale. Au contraire, c’est justement le joyeux bordel qui s’échappe des étals pas un pareil, des plumes qui volent, des tables accueillant deux ou trois produits, qui fait la force de ce rendez-vous hebdomadaire.
Un homme marche en arrière, tiens. Un journaliste de TF1 filme Olivier Planque, le maire de la commune. La chaîne est à l’origine du concours “Votre plus beau marché”, pour lequel le public est invité à voter. Les dix finalistes de la septième édition étaient annoncés le surlendemain de ce marché animé et plaçaient donc le rendez-vous pas-de-calaisien en finale, entre Bastia et Dinan ; entre un marché martiniquais ou un alsacien. Plus de 4,5 millions de votes étaient enregistrés sur le site du concours fin mai – pas 4,5 millions de votants, les plus malins ont vite compris qu’on pouvait voter encore et encore pour son candidat -, et la campagne redoublait d’ardeur en vue du 14 juin, jour d’annonce du grand finaliste.
Audruicq avait terminé quatrième en 2019 et l’édile compte désormais grimper sur le podium. Au sommet tant qu’à faire. Il fallait le voir haranguer les uns et les autres d’un “Salut Bernard, tu n’oublies pas de voter pour le plus beau marché !” et de se voir répondre l’habituel : “Oui, oui, c’est déjà fait“, pour comprendre que dans la commune de 5 600 âmes, le marché ferait assurément plus de voix que les Européennes.
Un stand a été installé au cœur du marché, aménagé de ballots de paille, permettant aux visiteurs de prendre la pose pour repartir avec une photo estampillée. Sous les notes d’une chanteuse donnant de la voix pour l’occasion, quelques agents proposent aux supporters dépassés de les aider à voter sur leur téléphone. C’est qu’ils sont quelques-uns à commenter, entre les allées, à l’image de cette dame âgée qui interpelle son voisin. “T’as vu, c’est TF1, il faudra regarder. Même si on n’est pas les premiers ça va attirer du monde, il faut voter qu’ils disent mais c’est rien que des internets et nous, on voudrait pouvoir téléphoner.” “Oui, confirme-t-il, moi je l’ai fait avec ma fille.” “Oui, parce que moi j’ai peur de me retrouver abonnée avec tout ça“, confie-t-elle avant d’être interrompue par une dame venue chercher ses pieds de tomates. Paie ta fracture numérique.
Il y en a un qui se fiche bien de tout ce manège, c’est Gilbert. 81 ans, un cancer sur le dos, sans compter celui de sa femme, lui vient “pour (s) in plaisir“. Le marché, ça lui change les idées. “J’habite Nortkerque et je viens vendre le surplus de min gardin“, explique-t-il en désignant les plants de cornichons, courgettes, potimarrons. Face à lui, Bryan vend quelques poules : des rousses pour les œufs, des poules soie pour l’ornement. Pour lui, Audruicq c’est un peu le village gaulois. Il habite Autingues, à une dizaine de kilomètres de là, et croit savoir que Berck ayant interdit la vente de volailles vivantes, Audruicq reste le seul. Façon village gaulois.
Cette spécificité, Bernard Bonnière la revendique. Éleveur-sélectionneur d’animaux d’ornement (poules, coqs et lapins), il vient de temps en temps à Audruicq, pour rehausser les allées de plumes noires, bleues, vertes ou rouges, de poils doux comme du velours et d’animaux plus flamboyants les uns que les autres. Des animaux qui font le plaisir des collectionneurs et le bonheur des gamins. Pour le professionnel, le joyeux mélange des genres qui existe à Audruicq crée une forme de “zizanie, parce que certains paient une patente et d’autres non” – comprendre que les professionnels paient une taxe sur les animaux vendus et pas les particuliers -, mais juge que ça fait partie du charme des lieux. Patrick et Patricia sont justement intéressés par quelques-unes de ces jolies cocottes d’ornement. Ce qu’ils aiment à Audruicq ? “Les petits producteurs avec une table de camping, deux courgettes et un sac de haricots.” C’est cette somme de petites choses qui font du marché d’Audruicq un grand. Pas parce qu’il serait le plus beau mais parce qu’il est vrai. L’argument survivra-t-il au filtre télévisuel ? Verdict le 24 juin.
Justine Demade Pellorce