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Nous vous avions expliqué comment Roland et Marie-Louise Castelain ont racheté la brasserie des frères Delomel en 1966 et comment, depuis, les générations se sont succédé à la tête de l’entreprise. À Bénifontaine (62), on commercialise aujourd’hui quatre marques : la Chti, la Jade bio, la Castelain et la Cadette. « 130 000 hectolitres. Sur un marché français de 22 millions d’hectolitres », tient à situer celui qui qualifie sa brasserie de « PME indépendante familiale ».
S’il est presque né dans une cuve de brassage et qu’il a partagé son temps entre la brasserie familiale et la ferme de son autre grand-père à quelques rues de là, Nicolas Castelain s’est demandé s’il ajouterait son prénom à la liste. « J’ai grandi dans ce milieu très entrepreneurial, où on se fait par soi-même et où on peut travailler sérieusement sans se prendre au sérieux », salue celui qui est très tôt passionné « par le vivant, par ce qui bouge et n’est pas facile à maîtriser ».
Un défi permanent qu’il retrouve dans le monde de la brasserie, où « il y a des bonnes années et des mauvaises pour les céréales. On l’accepte moins que dans le monde viticole mais on doit le faire : c’est au brasseur de s’adapter à la matière première et de réussir à offrir le même produit final malgré tout », exhorte-t-il.
Bac scientifique en poche, il intègre logiquement l’ISA de Lille (l’Institut supérieur d’ingénieur agri agro). « J’aimais le côté agricole, notamment la dimension biologique, mais je voulais m’ouvrir le champ des possibles, ce qu’offrait une école d’ingénieurs qui forme autant à la protection de l’environnement qu’à la banque », synthétise Nicolas Castelain. Diplômé, il ressent le besoin de se spécialiser en brasserie et part approfondir ses connaissances à Louvain-la-Neuve, en Belgique. Ses parents le laissent choisir son destin, qui opère alors un détour.
Nous sommes aux débuts des années 2000 et la question de la reprise de la brasserie commence à se poser. « J’ai voulu prendre un peu de temps et je suis allé travailler dans une entreprise spécialisée dans l’hygiène alimentaire, avant de revenir en 2007. » L’ingénieur prend la responsabilité de la partie fabrication – brassage, fermentation, conditionnement, logistique ,- une production alors de 40 000 hectolitres par an.
Un an plus tard, Yves, son père, passe la main à Annick, sa tante. Il forme avec elle un binôme qui développe, en plus des capacités de production permises par les nouveaux bâtiments en 2013, les nouvelles marques qui viennent rejoindre l’historique Chti et la pionnière Jade bio : la Castelain, une gamme de bières « épicuriennes », et la Cadette, davantage dans l’air du temps.
En 2018 Nicolas Castelain prend la direction générale de la brasserie, Annick prend sa retraite l’année suivante. Bertrand, le frangin de Nicolas, n’est pas loin puisqu’il gère le nouvel équipement : Le Spot, ouvert en avril dernier et qui ambitionne de proposer une expérience immersive dans l’histoire de la brasserie.
Un passage de relais marqué, génération après génération, par une tradition de l’innovation. « Nous essayons de garder notre côté pionnier », glisse Nicolas Castelain qui rappelle que l’engagement environnemental n’est pas un effet de mode ici. Si la Jade bio est la première bière biologique à voir le jour en France en 1986, l’année des premières Biocoop notamment, il lui faudra un quart de siècle pour rencontrer son public français, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays plus en avance sur la question de l’alimentation organique.
Un engagement qui s’est par exemple traduit par le récent partenariat avec l’association Terre de liens et la remise d’un chèque de 25 000 euros. « Et pour l’agriculture biologique plus encore qu’en conventionnel, il est important de travailler sur le long terme, c’est pourquoi nous nous engageons toujours sur le temps long avec nos fournisseurs », raconte Nicolas Castelain, pour expliquer pourquoi son houblon bio provient surtout d’Alsace, où sa culture a été plus précoce, et comment il le relocalisera une fois ses engagements achevés.
Parce que le local fait sens pour la brasserie aussi, qui a commencé à se fournir en orge bio auprès d’Unéal dans les années 80, de l’orge ensuite malté chez Malteurop qui a arrêté, puis repris l’activité bio il y a quelques années. Un engagement enfin avec la coopérative de houblonniers régionaux Coophounord, pour favoriser la filière.
Aussi adhérent de l’association des brasseurs de France, Nicolas Castelain aime son métier d’échanges, qui touche tous les publics. Pas pour rien que les collaborations se multiplient, avec A pro bio et trois autres brasseurs régionaux pour la bière bio 100 % Hauts-de-France Haute pression ou encore pour Grande boucle, bière brassée avec la brasserie Tandem, de Wambrechies : des recettes inédites et du partage pour « du plaisir à l’état brut », ne perd pas de vue le jeune patron. La créativité – peu de matières premières mais une infinité de possibilités – et l’exigence de la récolte font dire à Nicolas Castelain qu’il a « un beau métier ». Et si le marché de la bière est « globalement en baisse », il continue d’écrire l’histoire familiale, tranquille et déterminé.
Justine Demade Pellorce
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