Votre météo par ville
Un homme toque à la porte fermée de la friterie Mestré. À travers la vitrine, il crie à Nicolas, l’employé qui prépare le service du soir de transmettre ses félicitations au patron. Aurèle Mestré l’entend, sort une tête et reconnaît le propriétaire d’un bar voisin de la rue Gambetta. Ce dernier lui tombe dans les bras : ” Mec, c’est un truc de fou, champion du monde de la te-fri ! (frite en verlan, ndlr) ” Eclat de rires général. ” Quand je vois toute l’énergie que vous avez mis dans la friterie, c’est mérité. J’ai toujours aimé ce que tu faisais “, dit le patron de bar, promettant de venir bientôt manger un poulet frites. ” Bientôt “ semble ambitieux : il lui faudra attendre que tous les curieux, venus pour tester la meilleure frite authentique du monde, rendent la place aux clients réguliers.
Depuis son sacre, le 7 octobre dernier à Arras, Aurèle Mestré ne sait plus où donner de la tête. ” Je n’ai plus le temps de grand-chose “, confie-t-il dans un sourire. Il a reçu presque tous les médias de France et a dû doubler sa production de frites : ” En pommes de terre crues, avant, on sortait 125 kg par jour environ. Maintenant, on est plus autour de 200, 250 kg “, explique le jeune homme de 32 ans. Sa friterie ouvre à midi chaque jour, excepté le lundi. À midi moins dix, les files d’attente atteignent déjà vingt mètres de long. Parfois, il craint que le soufflé ne retombe. Mais il positive : ” Pour l’instant, je capitalise, j’en profite un maximum. Et puis d’un autre côté, ça ne me ferait pas de mal d’être un peu moins sollicité. “
Concernant sa participation au championnat international de la frite, c’est le Comité de tourisme d’Arras, organisateur de l’événement, qui l’a démarché. Il a hésité puis a accepté, se disant simplement ” que ça serait marrant “. Il avait même oublié de prévenir sa mère. Ou alors elle avait oublié, ” parce qu’elle n’écoute pas vraiment “ ce qu’il raconte. Son frère et ses amis étaient perplexes.
Mais lui, malin, savait les retombées médiatiques qui l’attendaient. On l’avait annoncé grand favori. Le Lillois a toutefois eu ” un petit coup de chaud “ face aux Japonais qui ont remporté la demi-finale avec des commentaires dithyrambiques. La finale a rebattu les cartes : surtout, Aurèle Mestré défendait une ” frite authentique “, telle qu’il la sert dans sa friterie : taillée large, cuite une première fois dans l’huile de tournesol, une seconde dans la graisse de bœuf. Une recette qu’il a développée ” un peu comme ça “, en faisant, petit, des frites avec ses parents. ” À la maison, c’était à l’huile. Ailleurs, c’était à la graisse de bœuf, mais je trouvais le goût trop prononcé. Alors, j’ai tenté d’alterner les deux “, décrit-il, avec une simplicité déconcertante.
On lui fait remarquer qu’il a de l’instinct. Il rit : ” Je dirais plutôt que je suis un peu à l’arrache. “ Il prend pour exemple ses études, ” plutôt chaotiques ” : une première année de médecine à la faculté catholique de Lille, une licence sciences de l’ingénieur en quatre ans au lieu de trois, puis une entrée à l’École des hautes études d’ingénieur (HEI) – Junia en troisième année, qu’il redouble. Il finit par obtenir un poste de chef de projet dans l’industrie à Soissons. Mais il s’ennuie, trouve la tâche trop normée et se refuse à ” lécher des bottes pour prendre en responsabilité “.
En décembre 2020, il sature, quitte son job et déménage de Soissons pour rejoindre Lille. Parce qu’il ” déteste chercher du travail “, l’entrepreneuriat s’impose. Il a toujours apprécié cuisiner, principalement car il aime manger – ” et quand on aime manger, à un moment, on est forcé de se mettre à la cuisine “ – et envisage d’abord un bar à manger avec du fait maison. Dans le Vieux-Lille, parce que c’est le quartier le plus adapté pour une telle offre. Mais les loyers sont exorbitants et beaucoup, dans le secteur, ” s’y cassent la gueule au bout de six mois “. Aurèle Mestré change alors de zone de recherche et visite un local dans le quartier de Wazemmes. Plus populaire, moins cher et surtout, avec une seule friterie déjà existante, dans les halles du marché. ” J’ai dit bingo “, se souvient-il.
En décembre 2021, il signe le bail du local. Après neuf mois de travaux, il ouvre la veille de la braderie de Lille 2022 avec un pari (gagnant) : le fait maison (à part les sauces et les desserts). En plus des frites, il sert de jolies croquettes, dont la saveur varie selon les jours. Ce mardi-là, c’était maroilles.
” Se lancer, quitte à se planter”, défend Aurèle Mestré. Jusqu’ici ce leitmotiv lui réussit : ” Je n’ai pas tant de projets ratés que ça. “ Sa friterie tourne presque trop bien. Il a dû recruter et l’équipe compte désormais cinq personnes. S’il parvient à transformer l’essai et à pérenniser son succès, il devra s’agrandir encore.
Et ensuite ? Comme à son habitude, il fourmille déjà d’idées : ” Mon principal axe de développement serait d’ouvrir d’autres friteries, avec une fabrication centralisée ici. Sinon, j’ai d’autres idées de restaurants. Si un jour j’ai l’occasion de vendre la friterie pour un bon prix et de repartir ailleurs, ça ne me fait pas peur. “ De toute façon, il l’aura, cette friterie Mestré, gravée dans la peau. De fait, il a promis, sur la grande scène d’Arras, devant les milliers de personnes venues assister au championnat, qu’il se ferait tatouer le logo de sa friterie, floqué d’un ” champion du monde “, sur la fesse.
Aurèle Mestré en quatre dates
Décembre 2020. Il quitte son poste de chef de projet dans l’industrie à Soissons et déménage à Lille pour se lancer dans la restauration.
Décembre 2021. Il signe le bail du local situé au 305 rue Léon Gambetta, à Lille, dans le quartier de Wazemmes. S’ensuivent neuf mois de travaux pour le transformer en friterie digne de ce nom.
Septembre 2022. La veille de la braderie de Lille, la friterie Mestré ouvre ses portes.
7 octobre 2023. Un an plus tard, Aurèle Mestré est sacré champion international de la frite authentique.
Marion Lecas