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Comme par hasard, ce jour-là à Ambleteuse (62), sur la Côte d’Opale, il vient de pleuvoir… Trois fois rien. Pas de quoi enrayer les dégâts de la sécheresse qui frappe particulièrement ce secteur côtier du département.
Simon Cuvillier, 32 ans, est installé depuis sept ans sur l’EARL de Houppe-Vent, avec sa belle-sœur et sa belle-mère, Hélène et Béatrice Bouly. Ensemble, ils élèvent 80 vaches laitières, des vaches allaitantes pour les veaux, et cultivent 190 hectares : 50 % en blé, escourgeon, betteraves et lin, et 50 % pour nourrir les bêtes (pâtures, betteraves et maïs fourrager). Alors que l’été n’est pas encore fini, il s’attend déjà à un hiver difficile et même à une année 2023 compliquée. D’autant qu’Hélène vient de les rejoindre sur l’exploitation, en avril, et s’est vue attribuer une capacité de 300 000 litres de lait par an.
« Seul, je produisais 680 00 litres de lait par an avec 70 vaches laitières. Dans le plan établit avec la banque, nous devions atteindre les 800 000 litres cette année et d’ici deux ans maximum, le million, avec 110 vaches », explique Simon Cuvillier. Pour cela, l’entreprise devait réformer petit à petit les bêtes qu’elle gardait en allaitantes pour se lancer dans l’élevage viande. « Elles étaient 30 et là on se rapproche de 0. C’était prévu mais la sécheresse a accéléré ce processus. On a donné la priorité aux vaches laitières. »
Pour les nourrir, ils ont déjà dû puiser dans leurs stocks, faute de pouvoir les faire pâturer des pâtures complètement grillées. « Aujourd’hui les exploitations tournent à 50 % en herbe et le reste en maïs », précise Hélène Bouly. Pas de pâturage possible, mais pas non plus de ressemis de la prairie. Avec les sols extrêmement secs, « on ne peut pas planter d’herbe car on ne peut pas travailler les sols… »
« En fait, on ne sort plus les vaches et on les nourrit comme en hiver pour maintenir la production. Le stock devait normalement nous durer jusqu’en octobre au moins. On va le terminer avec trois semaines d’avance. » Pour faire face à cette situation, ils vont devoir « ensiler 2 à 3 ha de maïs, pour faire la transition et lui laisser le temps de fermenter », détaille Hélène Bouly. Soit un ensilage trois semaines plus tôt que d’habitude. « On devrait ensiler le reste la semaine du 5 septembre selon notre Coop (La Flandre) », ajoute-t-elle.
Une décision prise à contrecœur pour sauver les meubles car « ni le rendement ni la qualité ne sont au rendez-vous. Les maïs sont arrivés à maturité trop vite et bon nombre d’entre eux n’ont même pas d’épis… Quand ils en ont, ils sont encore au stade laiteux. On estime à 40 % la perte en grains. »
Or, sans grains, la qualité nutritive de ces maïs est moins bonne : « Normalement, il faudrait que l’UFL (unité fourragère lait) soit de 1, avec 32 % de matière sèche. Là, on va ensiler à 40 % de matière sèche donc je pense que l’UFL sera de 0,7, peut-être 0,8 », estime Simon Cuvillier.
L’exploitation va donc devoir supplémenter ses bêtes en achetant du concentré mais là aussi, cela aura un coût : « Nous signons des contrats à six mois pour le soja. On va devoir en racheter et le prix a augmenté de 30 %. On va aussi acheter du maïs aux voisins. Je pense qu’on va devoir acquérir deux fois plus de compléments que d’habitude pour atteindre nos objectifs en lait », explique Simon Cuvillier.
« On n’a pas vraiment le choix car on a des engagements à tenir avec la banque », admet Hélène Bouly. « Il ne faudrait pas deux années comme ça », ajoute son beau-frère.
En plus de la sécheresse, l’exploitation a subi les attaques des sangliers, qui se sont multipliées cette année. Ils détruisent les champs « dès qu’il y a un peu de grain. Nous sommes au milieu de zones conservatoires et bien que les chasseurs aient le droit de réguler la population de sangliers, c’est compliqué. »
Là-dessus, pas moyen de faire jouer l’indemnisation de la Fédération de chasse du Pas-de-Calais car « il faut faire venir un expert et l’attaque s’est produite il y a une semaine. Le délai est trop court, il faut ensiler. » Pour la perte de rendement, pas moyen de faire jouer l’assurance récolte non plus car « j’ai fait mes calculs et la perte équivaut à la franchise… », soupire Simon Cuvillier. Entre les sangliers et l’augmentation des coûts de productions, les deux agriculteurs ne voient pas d’autres solutions que celle d’une revalorisation du prix du lait à 0,99 € le litre en supermarché (lire aussi en page 12) ou bien « une répartition plus équitable des marges. On est la source de production et au final on gagne peut-être un tiers du prix de vente. C’est flou finalement combien prennent les différents acteurs, et ce malgré la loi Egalim », peste Simon Cuvillier. « En fait on ne sait pas vraiment où va l’argent », concède Héléne Bouly.
Ce qu’espère l’entreprise ? « Que la laiterie avec laquelle on travaille va pouvoir renégocier les prix d’achat par les GMS à la hausse à la fin de l’année. Un plan sécheresse c’est très bien mais ça ne suffira pas, commente Simon Cuvillier. Si on veut maintenir une activité laitière sur la Côte d’Opale, il faut agir. » Selon Hélène Bouly, « on est environ une exploitation laitière par commune actuellement. Si on ne fait rien, si on ne revalorise pas, dans 10 ans il faudra diviser ce nombre par trois. »
Eglantine Puel